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#WauquiezGate : où peut nous mener le jeu de massacre auquel tourne la vie politique française ?
©AFP

Dans le mur

L'affaire Laurent Wauquiez à l'EM Lyon n'est que le dernier épisode tiré d'une série sur la vie politique française qui semble au fil des saisons virer à la dérive.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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L'affaire Laurent Wauquiez à l'EM Lyon n'est que le dernier épisode tiré d'une série sur la vie politique française qui semble au fil des saisons tourner de plus en plus au jeu de massacre. Mais qui, selon vous est le plus responsable entre des politiques qui tendent le bâton pour se faire battre fidèles à l'adage communicationnel que l'on attribue généralement à Léon Zitrone " Qu'on parle de moi en bien ou en mal, peu importe, l’essentiel, c'est qu'on parle de moi" et des partis politiques qui semblent de plus en plus vides d'idées ?

Jean Petaux : Les spin doctors anglo-saxons qui ont envahi, dans les années 80 et encore plus dans la décennie suivante, le monde de la communication publique et politique à grands coups de phrases chocs fonctionnant comme des mantras auprès de leurs « clients » (les politiques) ont deux slogans qui se répondent et confirment votre réflexion : « Bad buzz is still  buzz » et « No press is bad press ». Pas besoin d’avoir fait 10 ans d’anglais pour les comprendre. Il n’y a rien de nouveau dans cette manière de faire. Les acteurs politiques, d’abord acteurs avant d’être politiques, ont toujours recherché l’exposition publique et la lumière des projecteurs. Si on voulait rester dans le monde anglo-saxon on devrait même employer le mot « sunlights » qui dit bien, littéralement en français ce qu’il veut dire : « la lumière du soleil ». Seulement depuis le mythe d’Icare (qui ne date pas des spin doctors…) on connait aussi les risques et la fin tragique qu’encourent ceux qui s’approchent trop près du soleil… Sa lumière ne fait pas qu’éblouir elle chauffe tellement qu’elle brûle, tout simplement… Ou fait fondre. Dans le mythe : les ailes d’Icare. Dans la vie réelle : les réputations.

La responsabilité des uns et des autres, dans ce que vous qualifiez de « jeu de massacre » est bien évidemment partagée. Se poser la question de savoir qui provoque cette situation, entre les politiques et les médias, appelle une réponse aussi compliquée (ou absurde) que celle qui consiste à répondre à la question suivante : « qui a précédé l’autre entre la poule et l’œuf ». Médias et politiques sont consubstantiellement liés, tout comme le discours politique (le « mutos » qui va donner le « mythe ») est indissociable de « l’art politique ». Il est plus que probable que Laurent Wauquiez savait qu’il allait être enregistré. Démarrant son « cours » par une mise en garde sévère interdisant tout enregistrement de ses propos, devant des « non-professionnels » des médias qui ne sont donc aucunement liés par une quelconque règle déontologique du « off » et du « on », il leur défend d’utiliser ses propos à l’extérieur. Se faisant il donne immédiatement une « pseudo-rareté » à ses paroles et leur confère (avant même de les prononcer), une « valeur » négociable sur le marché des médias. On peut ainsi considérer que le président de LR a tout simplement instrumentalisé les élèves de cette école de management en s’en servant comme « médiateurs » pour faire passer un message qu’il n’aurait jamais pu tenir sur le plateau d’une grande émission de télévision en prime time (la dernière fois qu’il en a fréquenté une il a fait le plus mauvais score qu’a réalisé un invité sur ce plateau) ou dans les colonnes d’un journal avec une interview classique. 

La conséquence de ce genre de calcul c’estque l’essentiel devient aujourd’hui le fiel. Autrement dit le fond est perdu. Ce qui est d’ailleurs significatif c’est que ce ne sont pas les médias traditionnels (les « vieux médias » : la presse écrite ou le bimédia, la télé, la radio) qui ont été en première ligne dans l’affaire Wauquiez. Ce sont des jeunes gens qui utilisent les moyens technologiques de leur temps et recourent eux-mêmes à un intermédiaire installé à la marge dans le paysage audiovisuel français pour diffuser cet enregistrement « clandestin ». Le « Quotidien » est une émission d’infotainment qui traite sur le mode du divertissement l’actualité politique ou autre. C’est le canal de diffusion que les jeunes ont choisi en sachant très bien que les réseaux sociaux allaient s’en emparer immédiatement. Sans doute que Laurent Wauquiez a fait la même analyse. Il s’est trouvé dans la situation de telle ou telle vedette du spectacle se faisant « shooter » par un paparazzi en ayant parfaitement vu que ce dernier était là et en s’offusquant à grands coups de « papier bleu » pour obtenir des dommages et intérêts de l’organe de presse qui s’aventurerait à publier les photos (« volées »…) à sa « une ». Tout cela procède d’une hypocrisie et d’un cynisme qui ne sont pas en décalage avec la trajectoire politique antérieure de Laurent Wauquiez, et sans doute pas non plus avec ce qu’il donne à voir de sa personnalité. Il n’est pas incertain d’ailleurs qu’il n’en tire pas un profit politique au titre de : « Ce type dit ce qu’il pense et a raison de les dézinguer tous… ». En période de « dégagisme ambiant » ce n’est pas si maladroit que cela.

Sur ce fond de "bfmisation" de la vie politique quelle responsabilité est à attribuer aux médias selon vous ? Comment peut-on expliquer ce manque de clairvoyance de leur part sur leur propre part de responsabilité ?

Les médias font avec la matière qu’elles ont à traiter. Ou qu’elles se donnent la peine d’acheter. Que les produits ne soient pas toujours d’une qualité sélectionnée et parfaitement calibrée on le constate plusieurs fois par jour. Mais encore une fois il serait totalement erroné de considérer que les médias sont les seuls et uniques responsables de ce processus de superficialité exponentielle. Ce ne sont même pas les responsables « in fine ». Les relations entre politiques et médias sont très anciennes, on l’a déjà dit, mais surtout elles se caractérisent par leur « caractère systémique ». Les deux protagonistes sont liés entre eux comme les objets d’un « mobile ». Que l’un de ces objets se mette en mouvement et c’est tout le système politico-médiatique qui va s’ébranler, tourner, s’agiter. Jusqu’à un retour au « calme » tout provisoire (généralement aujourd’hui entre 48 et 72 heures pour des affaires qui ont du mal à « feuilletonner »). Cette agitation, on parle même « d’emballement médiatique », peut surprendre mais elle n’est que le produit d’une forte concurrence entre les médias et surtout d’un grégarisme propre à la tribu journalistique.

L’urgence de l’information, la précarisation croissante des journalistes, l’instantanéité de la publication, la concurrence quasi-sauvage et la rétraction du marché des annonceurs,  transforment les rédactions en une ruche permanente. Et si un « coup » (à défaut d’un « scoop ») sort dans tel ou tel média, les autres se précipitent sur le « morceau » comme des affamés. Soit pour « aller plus loin », soit pour essayer de tirer un profit commercial de l’intérêt soudain que va susciter tel ou tel événement : politique, fait divers, sportif, etc. Cela n’est pas  nouveau encore une fois. Il suffit de regarder le dernier Spielberg, « Pentagone papers » pour voir les efforts considérables que déploie Ben Bradley-Tom Hanks pour sortir le « Washington Post » de son statut de « journal local », entre 1970 et 1971. La  nouveauté, aujourd’hui, tient à la multiplication des supports de médiatisation de l’information, à leur rapidité dans le processus de diffusion et à leur caractère viral qui fait que l’on peut presque utiliser le terme de « pandémie » pour qualifier la manière avec laquelle une information peut désormais être connue du monde entier, sans aucune restriction de classe, de culture, etc. C’est ce qui rend d’ailleurs terrible le développement des fake news, les délires du « dark net » et les potentielles campagnes de haine contre tels ou tels groupes. 

Enfin, et c'est peut-être là l'essentiel, quelle est la place de la responsabilité collective que nous portons tous face à cette vie publique qui tourne au jeu de massacre ? Les Français ont beau se lamenter, ils restent friands de ces petites séquences.

Les journalistes et les politiques figurent dans les derniers rangs des classements des professions ou des groupes constitués dans tous les sondages mesurant la popularité et/ou la cote de confiance. Ils y trônent avec les huissiers de justice et les notaires. Ce qui n’est pas glorieux pour ces deux dernières professions… Mais pas loin d’être mérité… Au premier rang figure en revanche les pompiers, les infirmières, et quelques autres « sauveteurs de l’humanité ». Les Français mettent donc dans le même sac (de cordes…) politiques et médias estimant que les uns et les autres ont partie liée et contribuent à dégrader le monde qui va. L’antiparlementarisme en France a toujours été une valeur sûre, quant à l’anti-journalisme c’est aussi une forme récurrente de détestation de ce qui pense, écrit, réfléchit. Un des arguments qui revient en boucle contre les journalistes est aussi stupide que celui concernant l’œuvre de Picasso : « Quel escroc ce Picasso, mon fils de cinq ans peut en faire autant… ».

En ce qui concerne les journalistes, comme tout un chacun peut écrire (ou se croit en mesure de le faire), chaque idiot qui passe peut s’autoproclamer journaliste. Tout comme chacun, au prétexte qu’il parle, s’instaure spécialiste de « communication ». Et d’ailleurs la multiplication des supports de communication a permis à des dizaines de « timbrés » d’écrire des commentaires stupides au pied de tel ou tel article sérieux. « Journaliste ce n’est pas un métier » ; « politique ce n’est pas un  métier… pourquoi dès lors respecter ces deux types de « guignols » ? Mais, sans crainte du paradoxe, les Français qui ne sont pas de culture religieuse pour rien (peu importe la religion d’ailleurs…) sont de grands hypocrites. Des voyeurs qui se délectent de toutes les petites séquences médiocres qui sont rapportées par tel ou tel média. Depuis Saint-Simon à la cour de Versailles les méchancetés colportées dans le dos de tel « puissant » sont appréciées plus que de raison. Sans parler des histoires de sexe, sans parler des histoires de fric et sans parler des histoires liées faits divers. Les éventuelles lamentations des Français face à la possible dégradation de la « production » du couple politico-médiatique sont donc à ranger au rayon des « larmes de crocodile ». Si nous parlions plus haut du cynisme et de l’hypocrisie communément partagés dans le monde politique, considérons qu’on les retrouve très largement aussi dans le peuple que les élus représentent.

Quelles pourraient être les conséquences de ce jeu de massacre auquel nous assistons si les dynamiques restent les mêmes ? 

La principale conséquence que l’on peut envisager est liée à l’accélération de la diffusion des informations et à leur dimension virale. Tout allant désormais très vite on peut considérer que le « taux d’obsolescence » des politiques peut aller aussi en s’accélérant. Non pas que nous aurions une tendance à avoir des politiques de plus en plus jeunes (encore que la jeunesse peut leur avoir encore épargné de s’être fait « griller » dans ce que vous appelez le « jeu de massacre ») mais nous pourrions voir arriver un nouveau type d’actrices et d’acteurs politiques issus d’autres « tribus » que la politique. Certains pouvant être âgés par exemple mais qui seraient vierges de « petites phrases ». Même si l’on a vu que la machine à dévorer qui est celle des réseaux sociaux a englouti une toute jeune future vedette de la chanson candidate de « The Voice » . Aujourd’hui âgée de 22 ans, elle est « tombée » pour des post écrits à 20 ans. Ce qui d’ailleurs n’enlevait rien à la sottise et à la nullité de ces derniers. De ce point de vue-là ce qui s’est passé lors des dernières élections législatives en juin 2017 est un fait à marquer : plus de 75% de taux de renouvellement de l’Assemblée nationale, toutes formations politiques confondues avec, bien évidemment, une part considérable de parlementaires LREM. On a là l’illustration que « l’innocence » en politique peut être un argument électoral positivement discriminant. L’innocence est la conséquence de la nouveauté. Seulement le souci majeur c’est qu’elle ne dure pas… Tout comme la nouveauté.

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