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Une défiance généralisée à l’égard de l’élite, symptôme du mal français
©Reuters

Bonnes feuilles

Les auteurs de cet ouvrage, réunis dans un collectif non partisan sous le nom de Simplicius Aiguillon, mettent, pour la première fois, un nom sur les responsables réels du mal dont souffre la France : les 5 000 membres d'une hyperélite française qui dirigent de droit ou de fait le pays, et dont l'archétype est "le Cinq-Mille". Ils sont hauts fonctionnaires, élus, personnalités politiques, grands patrons du public ou du privé, journalistes vedettes et autres communicants... Extrait de "Les Cinq-Mille", publié chez Cherche-Midi (2/2).

 Simplicius  Aiguillon

Simplicius Aiguillon

 Simplicius Aiguillon est un collectif d'auteurs non partisan.

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Les conséquences sur la société en sont décisives, car tous ceux qui hors des sentiers battus se révèlent actifs et dynamiques, compétents et novateurs sont éliminés des boucles de décision. Par construction, ils ne sont pas membres des Cinq-Mille et n’en adoptent pas les codes ; en particulier la langue de bois, véritable signe de reconnaissance, instrument de pouvoir sur le reste des citoyens. Ainsi les « pigeons », entrepreneurs dont on se souvient du mouvement de protestation ainsi nommé, s’envolent vers d’autres horizons ; on peut comprendre qu’ils ne tolèrent plus le mépris des élites à leur égard. Dans le langage des élites, le Français moyen a fait place au citoyen lambda, nivellement par le bas décidé par des sociologues échevelés convaincus de l’inéluctable abrutissement des masses. Les élites sont certaines de leur supériorité, elles ont également décrété l’infériorité du peuple dépourvu à leurs yeux de sens critique. Il est concevable que le citoyen, qui n’a jamais été autant et aussi vite informé, placé devant ce mépris que lui manifestent les élites, transforme sa défiance en hostilité, voire en colère qu’il serait inconséquent de traiter par le surcroît de morgue d’une dialectique excommunicatrice.

Le phénomène des Cinq-Mille sécrète une défense de système que trahit une succession de scandales sans sanctions, rapidement étouffés ou enlisés dans d’interminables procédures. On ne peut évidemment sans imprudence citer les scandales mort-nés. Un exemple néanmoins : « C’est une victoire pour toutes les victimes de l’amiante. C’est presque historique. Nous sommes en route vers le procès pénal que l’on attend depuis dix-huit ans ! » s’enthousiasme Alain Bobbio, secrétaire général de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva), après l’arrêt de la Cour de cassation, qui a invalidé l’annulation de la mise en examen de Martine Aubry et de huit autres personnes, dont les responsables principaux d’Eternit, fabricant d’amiante, et des lobbyistes du Comité Permanent Amiante (CPA). « Nous souhaitons que les responsables de cette catastrophe sanitaire, qui va entraîner 100 000 morts d’ici à 2025, selon les autorités sanitaires, soient jugés, et rapidement. Les premières plaintes ont été déposées il y a dix-huit ans ! » martèle le porte-parole de l’Andeva 1. À l’origine des dysfonctionnements, la même cause revient : le conflit d’intérêt. Les grands groupes financiers se partagent le terrain de jeu économique grâce à une « synergie » entre public et privé. Le corps des Ponts et Chaussées gère le TGV et les autoroutes ; le corps des Mines s’occupe de l’énergie avec EDF et Aréva ; l’Inspection des finances concentre son intérêt sur les banques et la finance. Ainsi prévaut un esprit de répartition des « vaches à lait » plus que de création de richesse.

La gestion de l’économie par les grands corps de l’État a produit la dette actuelle par un défaut d’analyse des besoins réels de la société civile et du monde de l’entreprise dont le tissu actif est plus constitué de PME que de multinationales. Elle a aussi entraîné une défaillance des investissements productifs, qui sont phagocytés par des projets dont l’intérêt principal est de pérenniser le système nourricier des Cinq-Mille. Ainsi, pour faire « tourner » les grandes entreprises du BTP, la France se dote de kilomètres d’autoroutes désertes et de ronds-points à la nécessité discutable et dont l’effet d’entraînement sur le reste de l’économie est nul.

Un si bel exemple s’étend par contagion aux autres secteurs économiques, ainsi qu’en atteste la confusion des genres dans le monde de l’industrie pharmaceutique qui a démontré sa dextérité à utiliser la Sécurité sociale pour faire des Français les premiers consommateurs de médicaments au monde. Face à la pauvreté visible qui réapparaît, on voit désormais des entreprises privées emporter, de préférence à des associations dites non lucratives, des appels d’offres, pour des opérations de lutte contre la pauvreté 1. Il y a de l’argent à faire dans la pauvreté, observent les commentateurs, sans réaliser qu’il y en a toujours eu mais qu’il se perdait dans les frais généreux (essentiellement de communication) de certaines associations dites bénévoles.

Le vieillissement des décideurs, l’obsolescence des industries, dont les innovations datent des années 1970, produisent un système qui gère les mêmes priorités sans remise en question ni renouvellement. De vieilles recettes inefficaces et l’éloignement des laborieux de la société civile sont le produit de cette physiologie sociale. En réalité, il s’agit de façon plus ou moins consciente de faire peser le risque sur la population pour garantir le train de vie des Cinq-Mille. Inamovibles, ils ne créent plus de valeur et détruisent l’environnement économique qui seul permet la croissance et la richesse 1. Ayant fait leur deuil de la croissance, ils se replient sur le partage du travail. Il n’est donc pas singulier que les Cinq-Mille aient préempté le mythe de la croissance zéro 2, qui n’est partagé ni pratiqué nulle part ailleurs dans le monde. Pourquoi rechercher les satisfactions monétaires, quand l’État pourvoit avec largesse à vos besoins ? La haute fonction publique et politique ne ressent aucune nécessité d’une croissance économique, quant à l’élite économique elle est déjà en mesure d’aller la chercher ailleurs dans le monde, où les élites intellectuelles et morales ne regardent pas leur action comme infamante.

La mondialisation des grandes entreprises – qui vivent, pour partie, des marchés publics – permet aux Cinq-Mille de prendre des mesures de « justice fiscale » qui ne s’appliquent jamais à ces multinationales et dans tous les cas préservent leurs intérêts 3. Le train de vie des élites politico-administratives majoritairement perçu en nature n’est jamais touché par l’impôt et les variations de la fiscalité ; quant à celui de ceux qui dans le privé ont des rémunérations importantes, il n’est jamais menacé car ils disposent de canaux d’optimisation. Dès lors que les Cinq-Mille ne sont jamais concernés par les décisions qu’ils prennent, ils peuvent s’imposer un principe moral qui consiste à être généreux avec l’argent du contribuable. C’est en particulier le cas pour l’État providence qui est devenu une sorte de pyramide de Ponzi. Le système de la répartition, aussi utilisé par Bernard Madoff, fonctionne tant qu’il y a plus d’entrants que de sortants, mais explose si le mouvement s’inverse. Il est cependant interdit de mettre en question la Sécurité sociale, supposée être la meilleure du monde, puisque les élites, maîtres de l’argument final qui clôt toute discussion, et qui par définition ont réponse à tout, ont décidé que les Français y étaient attachés.

La sphère médiatique entérine le système des Cinq-Mille dont elle fait partie. Elle véhicule les idées reçues par les élites, mais aussi, quand des scandales éclatent, elle se borne à la dénonciation des dérives individuelles en tant que dysfonctionnements aberrants, sans que jamais l’on ne puisse en tirer de conclusions sur les tares structurelles du système des Cinq-Mille.

Les élites françaises n’ont pas inventé l’État providence mais en combinant le système allemand de Bismarck et celui britannique de William Beveridge, elles ont créé un système à la française qui combine l’assurance contre les aléas de la vie et une certaine redistribution des richesses. Indiscutable dans ses intentions, ce mécanisme a été dévoyé par l’illusion que les prestations et services publics ne coûtent rien, et qu’il suffit de demander pour obtenir. L’État subvient aux besoins de tous. Ce monde merveilleux n’existe pas. Il faut bien que quelqu’un paye. Au contribuable, on expose que son impôt a pour contrepartie la solidarité et le service public. Mais qu’en reste-t-il quand l’école de qualité (privée) est payante, quand la sécurité se privatise, quand les hôpitaux se paupérisent et que les mendiants réapparaissent dans les rues où l’on meurt parfois de froid en hiver ? D’une part, le développement croissant du secteur privé est l’exacte mesure de la mauvaise qualité du service public, de l’autre, lorsque la solidarité se transforme en assistanat, elle se retourne contre ceux qu’elle était censée aider. Pourtant, les Français n’ont jamais payé autant d’impôts. Il est donc clair que la gestion des deniers publics est en cause.

Le coût du clientélisme. Les biens publics de l’État, des collectivités et des entreprises contrôlées, et plus précisément les logements sont une monnaie par laquelle les soutiens et allégeances sont rémunérés. Le procédé est soit celui du logement de fonction, soit celui de l’attribution préférentielle de logements par des bailleurs sociaux. On y reviendra, mais pour mieux faire comprendre en quoi consiste cette seconde méthode, on peut se référer à un article récent de Mediapart. Alors que 140 000 ménages franciliens sont inscrits comme demandeurs de logements sociaux à Paris, et que moins de 12 000 logements de ce type ont été attribués en 2012, Mediapart dénonce cinq adjoints de Bertrand Delanoë qui bénéficient d’un logement social où ils payent des loyers deux fois, voire trois à quatre fois inférieurs au prix du marché. Une autre adjointe occupe un logement de fonction dans une école maternelle dans laquelle elle ne travaille plus. « Interrogés, ils assument 1 », s’indigne le Fouquier-Tinville du Net qui voudrait faire accréditer l’idée que cette situation serait exceptionnelle alors qu’elle est monnaie courante.

Le spoil system à la française consiste aussi à empiler les postes, car la fonction publique ignore le licenciement. Les placards des grandes sociétés en lien avec l’État et les collectivités locales sont peuplés de fantômes sans emploi défini mais grassement payés, attendant l’heure d’une hypothétique résurrection. Le clientélisme prend des formes diverses, dont le népotisme, évidemment, qui conduit à créer des emplois non nécessaires ou plutôt uniquement destinés à être pourvus par des obligés.

La Cour des comptes évalue le nombre de fonctionnaires à 5,2 millions. Ils sont 6,9 millions, si l’on comptabilise tous les salariés rémunérés avec l’argent public sans avoir le statut de fonctionnaire. Les emplois publics territoriaux ont augmenté de 71,2 % depuis 1980, la fonction publique hospitalière de 53,4 %, et celle de l’État de 14,3 %. Dans la bataille des chiffres, certains objecteront que la France est dans la moyenne des pays de l’OCDE. Doit-on leur rappeler que ces pays sont au nombre de 34, et sont loin d’être homogènes ? Si la France est dans la moyenne, elle ne tient pas le rang de grande puissance auquel elle prétend.

La gabegie. Les subventions aux associations… Les marchés publics qui sont attribués aux amis politiques par des simulacres de procédures de mise en concurrence… Le commerce des autorisations en tous genres… Le pouvoir des politiques est exorbitant, par l’intermédiaire des POS, PLU ou autres documents d’urbanisme, ils rendent des terrains constructibles ou non. La valeur en est évidemment changée du tout au tout, et sans recours pour ceux qui en sont victimes. Ces opérations sont légales donc invisibles.

Extrait de "Les Cinq-Mille", Simplicius Aiguillon, publié chez Cherche-Midi, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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