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Un seul candidat à la tête de la FIFA : l'organisation internationale du football a-t-elle un sérieux problème avec la démocratie ?
©RHONA WISE / AFP

Carton rouge

Les 211 fédérations membres de la FIFA se sont rencontrées mercredi dernier pour leur congrès annuel, au cours duquel Gianni Infantino, le président de la FIFA, ne s'est pas opposé à la prolongation du mandat présidentiel commencé en février 2016.

Thierry  Granturco

Thierry Granturco

Thierry Granturco est avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles, spécialiste de droit du sport, il est actif dans le milieu du football professionnel depuis plus de 20 ans après avoir lui-même joué à haut niveau...

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Jean-Baptiste Reynaud

Jean-Baptiste Reynaud

Jean-Baptiste Reynaud est avocat, docteur en droit, chargé d'enseignement en droit du sport. Il est l'auteur d'une thèse qui porte sur les fédérations sportives. Il tient un site internet : www.avocat-reynaud.fr

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Atlantico : L'élection du président de la FIFA est-elle démocratique ? Quelles en sont les étapes clés ?

Thierry Granturco : Les fédérations sportives nationales ont un fonctionnement très peu démocratique, et celui des fédérations internationales l’est encore moins. Alors penser que les élections au sein de la FIFA peuvent être démocratiques, est du coup une pure vue de l’esprit. 

Faisons un arrêt sur image pendant 2 minutes. En France, nous élisons un Président de la République qui nomme un gouvernement au sein duquel siège un Ministre ou un Secrétaire d’État aux sports. 

Le Ministère délègue à la FFF le pouvoir d’organiser le football sur notre territoire.

Le Président de la FFF est alors élu selon un processus totalement verrouillé qui permet à un nombre de personnes très limité de voter. Soyez sûr que si les quelques 2.164.000 licenciés de la FFF pouvaient voter, il y aurait très peu de chance que Noël Le Graët soit élu. Il a été, dès 1991, président de la LFP pendant 9 ans avant de sièger à la FFF, d’en devenir vice-président de 2005 à 2011 puis Président depuis 2012.

Dans quel régime démocratique, garder le pouvoir de 1991 à 2019 est-il possible ?

Mais soit ! La FFF reste juridiquement sous tutelle du Ministère des sports, de sorte que théoriquement, le Ministère pourrait remettre de l’ordre là où il y en a besoin. 

En tout état de cause, une fois élu à la tête de la FFF, le Président vote entre autres pour élire le Président de la FIFA. Qui, une fois élu, n’est lui sous tutelle de… personne ! 

Pour forcer le trait, nous pourrions dire que la FIFA vote ses propres règlements, qu’elle les met en œuvre, qu’elle en contrôle la bonne application, qu’elle vote ses budgets et qu’elle contrôle qu’elle les a bien dépensés. Elle est à la fois un parlement, un gouvernement, une administration et une Cour des comptes. 

Par conséquent, la gouvernance du sport et la démocratie sont aujourd’hui des notions antinomiques.

Ceci étant dit, la procédure d’élection du Président de la FIFA obéit à un règlement électoral, établi en interne par la FIFA. Ce règlement détermine comment et quand se porter candidat, définit les pouvoirs d’enquête de la Commission d’éthique qui a pour mission, entre autres, d’éviter que les candidats à la Présidence soient sujets à des conflits d’intérêts et qu’ils se soient indûment fait financer leur campagne électorale.

Les candidats ne peuvent être proposés que par des fédérations nationales et doivent être soutenus par au moins 5 d’entre-elles.

Une Commission électorale vérifie le tout et les élections ont alors lieu.

Jean-Baptiste Reynaud : Le principe voudrait que les élections soient démocratiques. Or la démocratie, selon une définition vulgarisée, c'est le pouvoir au peuple. L'élection la plus démocratique en France est celle du président de la République parce qu'elle se fait au suffrage universel. L'élection du président de la FIFA est démocratique parce qu'à cette occasion, tous les membres de la FIFA sont invités à se prononcer. Sont membres de la FIFA uniquement les fédérations sportives nationales. C'est par exemple la FFF qui représente la France. Parmi les votants, il y a donc les deux cents et quelques représentants des fédérations nationales.

En ce qui concerne la procédure d'élection, elle a l'air démocratique parce que chaque fédération pourrait proposer un candidat. Néanmoins, il y a des gardes fous et c'est ici qu'il faut nuancer le caractère démocratique de ces élections. En France dans les élections présidentielles, une condition pour être candidat est de réunir 500 signatures d'élus de la République. Par conséquent, les candidatures sont limitées. En ce qui concerne la FIFA, il y a aussi une condition : celle de réunir l'accord de cinq membres de la FIFA, c'est-à-dire de cinq fédérations nationales.

Aujourd'hui, si Gianni Infantino est le seul et unique candidat, ce n'est pas parce qu'il aurait interdit à d'autres personnes d'être candidats, car d'autres candidats peuvent l'être. Pour preuve, lors de la précédente élection, il y avait cinq candidatures au premier tour et quatre au second tour.

Certains (Platini et Blatter notamment) ont reproché le manque de légitimité et l'absence de transparence d'Infantino lors de son premier mandat qui nuisent à la crédibilité de la FIFA. Quels sont les conflits d'intérêt et autres entraves qui fragilisent la légitimité du président de la FIFA ?

Thierry Granturco : La FIFA est effectivement loin des standards de bonne gouvernance, tels qu’on les connaît dans le milieu de l’entreprise. Mais, par conviction ou forcé par les justices suisse et américaine, Gianni Infantino a rendu la FIFA plus transparente qu’elle ne l’a jamais été. Y compris sous la présidence de Sepp Blatter et la vice-Présidence de Michel Platini.

Je n’ai par ailleurs pas d’informations selon lesquelles Gianni Infantino serait véritablement en situation de conflit d’intérêts. Il me semble toutefois que si tel était le cas, le processus de filtre des candidatures à la présidence de la FIFA l’aurait décelé. Et même si sa candidature devait être acceptée alors qu’un conflit d’intérêts devait véritablement exister, il y a alors peu de doutes que des recours seront intentés.

Concernant la crédibilité d’Infantino à la tête de la FIFA, il ne faut pas perdre de vue que la FIFA est une multinationale, gérant des milliards d’euros de chiffre d’affaires et des centaines de salariés. Elle doit être gérée par un manager de très haut niveau. De très-très haut niveau. Comme une société commerciale multinationale doit l’être. Est-ce que Gianni Infantino est suffisamment compétent pour être ce manager-là ? Je ne sais pas.

Ce sera aux électeurs au sein de la FIFA de le décider. Pour ce qui relève de la France et de la FFF, nous verrons de toute façon bien si Noël Le Graët lui apporte sa voix. Il me semble cependant déjà acquis que la FFF le fera. Comme elle l’avait fait lors de sa première élection. C’est donc bien, quelque part, qu’il doit être légitime.

Jean-Baptiste Reynaud : Ici, il faut prendre beaucoup de précautions. Ces déclarations sont faites par des personnes qui sont en conflit direct ou indirect avec Gianni Infantino. Platini était le président de l'UEFA lorsque Infantino était secrétaire général et c'est parce qu'il a retiré sa candidature que Infantino a pu se représenter. Blatter, qui a également fait un procès en légitimité, a aussi eu quelques difficultés avec Gianni Infantino parce que lorsque ce dernier est arrivé au pouvoir au sein de la FIFA, il n'a pas pu faire autrement que critiquer la présidence précédente (celle de Blatter).

Il faut garder à l'esprit que la légitimité provient principalement des urnes, en tout cas sur le plan des élections présidentielles. Quand on regarde les résultats des élections de la FIFA, on ne peut donc pas dire qu'il n'a pas été légitime. Aujourd’hui, la FIFA reste une association de droit suisse – elle a son siège en Suisse. Néanmoins, c'est une association avec des moyens financiers beaucoup plus conséquents qu'une grande partie des entreprises. Du fait de l'attrait que peut représenter le football pour le grand public, il y a donc des intérêts financiers qui sont devenus très importants et des contrats qui doivent être signés par la FIFA, notamment pour des partenariats avec des sponsors. C'est parfois la course à celui qui va plus « sponsoriser la FIFA » : il peut donc y avoir des arrangements entre des puissances économiques et des dirigeants de la FIFA.

On n'a pas attendu les scandales de la FIFA liés à la présidence de Blatter ou l'affaire Platini pour savoir qu'il existait des conflits d'intérêt dans le sport de haut niveau et les instances sportives. Ce qui s'est passé au Comité International Olympique, à savoir les scandales financiers, lors de la présidence de Juan Antonio Samaranch, en est un bon exemple. Qui dit intérêt du public dit médiatisation, sponsoring et intérêts financiers : il y a nécessairement des risques de conflits d'intérêt et des contrats qui sont passés entre des puissances économiques et la FIFA, et potentiellement des sommes versées à des dirigeants en échange de la signature d'un partenariat. Aujourd'hui, sagissant d'Infantino, il faut être très précautionneux parce qu'il y a des suspicions liées à ce qu'on appelle le « football leaks », les révélations de la fin de l'année dernière. Des enquêtes sont en cours et il faut respecter un principe essentiel : la présomption d'innocence. Sauf erreur, Infantino n'a jamais été condamné pour la moindre infraction pénale ou conflit d'intérêt vis-à-vis de la FIFA.

Platini reproche par exemple à Infantino d'avoir été virulent vis-à-vis de la FIFA lorsqu'il était à l'UEFA : il cherche à montrer qu'il n'est pas légitime d'être président de la FIFA. L'UEFA et la FIFA font partie du même bord parce que ce sont des instances représentatives du football. Rien n'empêche Infantino de critiquer la FIFA et, lors de sa présidence, de tenir d'autres propos, même s'il y a eu des révélations faites sur des rencontres entre un procureur suisse et Infantino. Les problèmes sont donc plus compliqués qu'on ne le croit.

Michel Platini affirme avoir été "tué" par l'administration de Blatter afin qu'il ne soit pas élu président et se positionne en quelques sortes en "François Fillon de la FIFA". Les élections pour la présidence de la FIFA ont-elles des points communs avec des élections politiques ? 

Thierry Granturco : Laissons dire à Michel Platini ce qu’il a envie de dire. Je précise néanmoins que les procédures auxquelles il a été soumis et qui ont abouti à sa suspension de toutes fonctions dans le milieu du football, sont les mêmes que celles qu’ont subi de nombreux dirigeants avant lui, sans qu’il ne s’en offusque. Et les mêmes, à quelques différences près, de celles appliquées par l’UEFA durant sa présidence.

Comme lui, je les condamne comme étant souvent contraires à nos droits fondamentaux, sur lesquels les fédérations sportives, nationales comme internationales, ont l’habitude de régulièrement et voluptueusement s’assoir. Et quand, dans leur bulle, on leur fait remarquer l’illégalité de leurs procédures ou autres règlements, elles répondent en donnant l’impression à ceux qui s’interrogent, qu’ils commettent un crime de lèse-majesté. Comme s’il fallait accepter, sans discuter, que les fédérations sportives puissent impunément vivre dans une zone de non-droit.

Michel Platini a été vice-président de la FFF, président de l’UEFA et vice-président de la FIFA. Il était donc supposé bien connaître ces procédures. Mais il a depuis lors découvert l’envers du décors. Il ne verra sans doute plus jamais l’endroit du décors de la même manière. 

Du coup, les élections à la FIFA génèrent effectivement, comme les élections politiques, des petits-arrangements entre amis, des nominations promises en cas d’élections, des soutiens calculés, des compromis de couloirs pour la recherche de majorités et d’une manière générale, la violence du combat entre candidats ou potentiels candidats. Y compris des coups bas.

La prochaine élection n’a pas échappé à la règle.

Jean-Baptiste Reynaud : Il faut avoir à l'esprit qu'une fédération sportive peut être qualifiée d'Etat sportif, puisque les trois éléments qui permettent de caractériser un État sont un territoire, un gouvernement et une population. C'est vrai qu'aujourd'hui, quelque soit le degré d'échelon territorial sur lequel on se place, on a aujourd'hui un fonctionnement des fédérations sportives qui ressemblent au fonctionnement d'un Etat. Qui dit Etat, dit pouvoir, gouvernance, élections, et qui dit élections dit guerre de pouvoir. C'est pour cela que lorsqu'il existe une consultation démocratique pour l'élection d'un ou de plusieurs dirigeants, on a automatiquement des « boules puantes » selon le terme de François Fillon.

On peut voir un certain parallèle entre l'affaire Fillon et l'affaire Platini. Les candidats, pour deux élections différentes, étaient deux grands favoris : les sondages mettaient Fillon à 30% au premier tour. Il s'avère que l'affaire qui est sortie au moment des élections l'a empêché d'être au second tour. Ce n'est pas par hasard que lors de l'élection d'Infantino il y ait des « boules puantes » qui sortent aussi. La nuance qu'on peut apporter, c'est que Platini n'a pas pu aller au bout de sa candidature, contrairement à François Fillon. C'est vrai que cela pose beaucoup de problèmes par rapport à la présomption d'innocence : même si Fillon est renvoyé devant un tribunal correctionnel, il est aujourd'hui présumé innocence dans l'affaire des emplois fictifs. Platini a été présenté comme étant coupable d'avoir touché indûment un million d'euros : il est présenté aux yeux de tous comme étant un voyou alors qu'en fait il a été blanchi par la suite – ça ne l'a pas empêché d'être suspendu de toutes fonctions au sein de la FIFA. Malgré la présomption d'innocence, une suspicion envers un candidat peut avoir des conséquences sur l'élection. Sauf qu'aujourd'hui, Infantino est le seul candidat.

Il suffit de regarder l'historique des grandes fédérations sportives internationales et des comités olympiques pour voir qu'il y a une certaine durée dans les mandats : Blatter a été président de 1998 à 2015. Il y a une sorte de monarchie qui s'instaure, avec un chef omniprésent et un mandat rarement de courte durée. Cela va de pair avec le système sportif, lequel est basé dans le monde entier sur la représentation unitaire, c'est-à-dire un seul représentant par échelon territorial d'une discipline sportive. Il n'y a donc pas de concurrence entre les fédérations sportives. Le principe d'unité se retrouve également au niveau des dirigeants : c'est pour cette raison qu'on a souvent des mandats de longue durée.

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