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"Séparer le gratin des nouilles" : la critique anti-Macron ravageuse mais un peu stérile de Jean-Louis Borloo
©PORNCHAI KITTIWONGSAKUL / AFP

Audacieuse métaphore

Jean-Louis Borloo a critiqué Emmanuel Macron dont il juge la vision de la société "inefficace et dangereuse", ajoutant que le "gratin se sépare des nouilles".

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Les critiques sont fréquentes mais peut-on toutefois reconnaître à Emmanuel Macron qu’il a le mérite de faire un diagnostic sur l’état de la France et d’évoquer des sujets sensibles comme les inégalités, le manque de croissance, ou encore le populisme ?

Michel Ruimy : Tout d’abord, une observation : la société française, plus que d’autres, est complexe en ce qu’elle est parcourue d’aspirations contradictoires qui favorisent l’immobilisme du fait des ruptures et des conflits qui ont jalonné son histoire et qui ont aussi façonné les mentalités.

Par ailleurs, la Droite et la Gauche, une fois au pouvoir, ont mené par la suite une politique proche, à quelques mesures symboliques près. Les Français percevaient donc la vie politique comme un théâtre d’ombres.

Ensuite, au plan économique, chacun sait que les résultats de la France, comparés à ceux de nos principaux partenaires, sont aujourd’hui médiocres dans des domaines où elle était traditionnellement parmi les premières, en particulier ceux des politiques publiques de l’éducation, du logement, de la recherche… Dans une vision plus englobante, Emmanuel Macron est parti d’un constat connu, partagé et formulé dans de nombreux rapports et études, venant d’experts ou d’hommes politiques de gauche comme de droite : la France connaît, depuis plus de vingt ans, un retard important en matière de réformes, ce qui à ses yeux nuit à sa compétitivité économique, à la situation des comptes publics et à son crédit politique auprès de ses partenaires européens et au-delà.

Pourtant, ils sont nombreux ceux qui, parmi les élus ou les économistes mais aussi dans l’opinion, voient dans un retour au bon sens de la gestion publique un risque de « fracture sociale ». En effet, si, à tort ou à raison, on a déjà le sentiment de décrocher, pourquoi ne pas défendre alors, au minimum, le statu quo ?

Cette situation de crise a sans doute contribué à faire exploser, il y a 1 an, le cadre traditionnel de notre vie politique. En plus de son talent personnel et de circonstances favorables, Emmanuel Macron tente aujourd’hui d’établir ce que Valéry Giscard d’Estaing et ce que les partis du centre, à différents moments, avaient tenté sans succès.

L’élection présidentielle, malgré ses péripéties qui ont en partie occulté le débat politique, a représenté un choix très clair. Emmanuel Macron a été élu sur un ensemble de mesures destiné à adapter la France au monde d’aujourd’hui. Pour lui, la réforme répond désormais à un principe : celui de l’urgence politique, à la fois, incontournable et indispensable. Il l’a dit durant sa campagne présidentielle, et répété depuis.

Pour le moment, les critiques portent sur la façon d’agir, et pointent éventuellement les mêmes problèmes, mais ni la droite ni la gauche ne proposent rien et n’ont pas la capacité de rassembler sur un projet.

Selon vous, peut-on dire qu’Emmanuel Macron propose une vision et une ligne économique pour le pays, en cohérence avec ses idées ?

Votre question revient à définir ce qu’est le « macronisme ». En fait, le macronisme n’est pas un programme mais, à ce jour, une conduite du changement : on y parle volontiers de « fluidités », de « mobilité », d’« agilité » pour se remettre « en marche ».

Faute de résultats à présenter au bout d’1 an, le chef de l’Etat s’attache à poser des éléments solides qui donnent corps à son action : respect des promesses, rythme des réformes... Il y a 1 an, Emmanuel Macron entrait par « effraction » à l’Elysée selon son mot avec des intuitions forgées dans l’ombre de François Hollande et l’ambition affirmée de « transformer » le pays.

1 an plus tard, le macronisme n’a pas encore les résultats prouvant son efficacité, pas plus qu’il n’a de marges de manœuvre pour redistribuer. Puisque le « en même temps » n’existe pas - on ne peut pas « libérer » et « protéger » dans un même geste - et que l’objet reste indéfini, il faut donner à le voir, poser des éléments solides. « Je fais ce que je dis » est devenu le leitmotiv du Président, « le rythme des réformes doit se poursuivre » étant son autre mantra.

Ainsi, n’ayant pas de contours, le macronisme doit paraître en mouvement, comme un devenir. Les réformes s’enchaînent : après la SNCF, il y aura les retraites, la fonction publique, l’organisation de l’Etat. Pour ne pas être déceptif, il lui faut conserver la curiosité et les attentes de la campagne. La promesse est devenue un dogme. A défaut de résultats et donc de preuves, il faut maintenir la confiance.

Cependant, le nombre de réformes comme leur rythme suscite aussi chez certains le sentiment d’une déstabilisation, faute de savoir ou de pouvoir relier ces projets à une stratégie nationale.

Par ailleurs, l’héritage de beaucoup d’hésitations passées a créé dans certains secteurs des blocages particulièrement difficiles à dénouer sans déclencher une hostilité certaine. Cet instinct de préservation est facilité dans un contexte de dynamisme économique retrouvé. L’embellie récente pourrait, sans pédagogie, favoriser l’incompréhension des efforts demandés : pourquoi consentir à des évolutions perçues comme des sacrifices alors que les indicateurs économiques s’améliorent ? Ce décalage perçu peut rendre, à moyen-terme, l’opinion plus encline à se mobiliser et à participer à des mouvements sociaux d’ampleur, freinant ainsi le processus de réforme.

C’est pourquoi, ce risque de blocage conforte la nécessité d’une approche méthodique, qui viendrait renforcer l’ardeur. Néanmoins, Emmanuel Macron n’est pas pressé de définir le macronisme. Le trouble qui subsiste est son meilleur allié. Sa doctrine existera, peut-être, à la fin de quinquennat pour une éventuelle prochaine campagne électorale.

Comment expliquer que le champ politique ne parvienne pas à proposer des alternatives, en dehors de la seule attitude d’opposition critique ?

L’enjeu des sociétés sociales-démocratiques européennes est de trouver leur place dans la mondialisation tout en protégeant leurs populations de ses excès. L’approche d’Emmanuel Macron est-elle plus libérale que celle des sociaux-démocrates de l’après-guerre, mais les conditions sont aujourd’hui différentes. Les démocraties contemporaines doivent être aussi attentives tant à l’organisation du travail qu’à la protection sociale.

Dans le contexte actuel, l’un des grands atouts d’Emmanuel Macron est l’état de faiblesse des quatre principaux partis d’opposition. En effet, le Parti socialiste (PS), Les Républicains (LR), le Rassemblement national (ex - Front national) et la France insoumise sont encore dans l’effet de souffle de l’élection présidentielle : ils ont des difficultés, pour diverses raisons, pour apparaître comme des alternatives incontestables.

Leur relative impuissance est leur point commun. En fait, traditionnellement, sous la Vème République, en situation de crise, il y avait assez rapidement une opposition qui se construisait. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. On est face à quatre oppositions éclatées, incapables de développer des stratégies d’alliance et de constituer des pôles alternatifs. Et comme rien n’existe sur le plan politique, les attentes se reportent sur le terrain social.

La reconstruction ne sera pas une sinécure. Les deux anciens grands partis de gouvernement, qui sont sortis laminés du scrutin de 2017, ont été délaissés par une partie de leur électorat et ont dû se choisir un nouveau chef. Mais la stratégie de Laurent Wauquiez divise la droite et Olivier Faure est réduit à promettre la « renaissance du parti dans un temps long ». Tous deux font le pari d’un retour au clivage Droite - Gauche. Mais, il semble que la « pureté cristalline » des années 1980 de cette dichotomie ait complètement disparu. Aujourd’hui, on voit apparaître une démocratie informe et instable. En outre, les prochaines élections européennes en 2019 risquent d’être un révélateur pour ces partis car n’ayant pas réussi à trouver une ligne directrice claire, ils risquent d’être coincés entre le choix pro-européen d’Emmanuel Macron et les positionnements eurosceptiques de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon.

Quant au Rassemblement national, actuellement en crise, et à La France insoumise, qui n’ont pas changé de chef, ils ont également du pain sur la planche. Notamment, le parti de Jean-Luc Mélenchon, qui s’enferme dans sa radicalité, rêvant d’un clivage entre le peuple et les élites mais qui a échoué, jusque-là, à devenir le porte-drapeau du mouvement social.

Tous ces partis ont 4 ans pour espérer renverser la vapeur, en tablant sur l’échec d’Emmanuel Macron. C’est presque une éternité...

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