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Cette autre Europe qui s’organise, ou quand un jeune dirigeant européen frappe un grand coup sur la scène internationale (et non, il ne s’agit pas d’Emmanuel Macron)
©HANS PUNZ / APA / AFP

Autre vision

Pour sa première visite à l’étranger depuis sa réélection, en mars, Vladimir Poutine a choisi... l'Autriche. Le Kremlin a demandé à Sebastian Kurz d'organiser une rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Le Kremlin a demandé à Sebastian Kurz, le chancelier fédéral néo-populiste (remarquez la nuance) de l'Autriche, d'organiser une rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Alors qu'Emmanuel Macron a beaucoup insisté pour être l'intermédiaire honnête entre les deux antagonistes, peut-on imaginer que ce soient les populistes qui occupent cette place demain ? Et qu'ils deviennent les vrais leaders de l'Europe après-demain ?

Florent Parmentier : L’Autriche peut jouer à plusieurs titres le rôle d’intermédiaire honnête entre les deux pays : elle a longtemps été un pays neutre, sa taille relativement modeste la rend moins susceptible d’arrière-pensées que l’on retrouve chez les grandes puissances, et son gouvernement peut trouver des points communs avec certains comportements des Présidents américain et russe.

De plus, l’Autriche a récemment choisi de ne pas suivre les Britanniques dans la politique punitive faisant suite à l’affaire Skripal, et s’avère désireuse de remettre en question les sanctions européennes à l’égard de la Russie. Les néo-populistes autrichiens, pour reprendre le terme de la question, sont sans doute critique de la bureaucratie bruxelloise, mais très heureux avec le cadre libre-échangiste, puisque l’économie du pays est très extravertie.

Si Macron a fait des pas vers Donald Trump puis vers Vladimir Poutine, on peut avancer que ce n’est pas là que sa politique étrangère a pour le moment le plus fait bouger les lignes. Mais les populistes ne sont pas du tout un bloc homogène en Europe, et probablement encore moins concernant le positionnement par rapport à la Russie. Tous se retrouvent en revanche sur une ligne très méfiante, voire hostile, vis-à-vis de l’arrivée de réfugiés du Moyen-Orient.

Cyrille Bret : Quand le chancelier Kurz (et non le président de la République d’Autriche qui est le Vert Alexander Van der Bellen) est érigé en potentiel intermédiaire entre les Etats-Unis et la Russie, il entre une part de tactique circonstancielle et une part de tradition historique. Du côté de la tactique : Sebastian Kurz, issu du parti classique catholique conservateur ÖVP laminé au précédentes élections présidentielle, est une figure nouvelle qui a besoin de travailler sa stature internationale. Pour le moment, ce chancelier trentenaire s’est illustré en donnant des signes de rapprochement avec les mouvements souverainistes hostiles à l’islam et aux migrations : sur le plan intérieur, en scellant une coalition avec les populistes d’extrême droite du FPÖ, sur le plan régional en se rapprochant du groupe de Visegrad constitué par la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la Tchéquie et sur le plan international en exprimant de forts doutes sur la nécessité de maintenir les sanctions contre la Russie suite à l’annexion de la Crimée et à la guerre dans le Donbass. Du côté de la tradition historique : une fois réduite à un territoire limité, la République d’Autriche a rompu avec son statut impérial. Durant la Guerre Froide elle était un poste avancé de l’économie de marché dans le bloc soviétique. Observant une neutralité militaire à la charnière entre l’OTAN et le Pacte de Varsovie, elle a usé de son statut de passerelle entre l’est et l’ouest. Sebastian Kurz joue ainsi sur les deux plans : la tactique dont il a besoin pour asseoir son statut et la tradition historique pour jouer aux pacificateurs de l’Europe.

De l'Autriche, l'Italie ou encore la Hongrie, qui menace le plus l'ambition de leadership affichée par la France aujourd'hui ?

Florent Parmentier : L’ambition de leadership affichée par la France est indéniable, et elle n’est pas illégitime si l’on considère la place de ce pays après le Brexit ; seul membre à disposer d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations-Unies, seule puissance nucléaire, seule Armée au rayonnement international, ses principales faiblesses sont essentiellement économiques. Elle s’est dotée d’un message clair et plus optimiste que ces dernières années.

Les gouvernements à la tête des trois pays mentionnés, aussi bien que celui à la tête de la Pologne, ne disposent pas de ces atouts. Cela ne les dispense pas de jouer un rôle international, mais cela ne va pas sans poser de difficultés ; quand les populistes sont divisés en interne, on insiste sur le caractère brouillon et non-préparé de la prise de pouvoir, lorsqu’ils ne sont pas divisés, on craint le retour du culte du chef.

Le leadership d’une Europe populiste est donc une construction assez malaisée, qui profitera vraisemblablement au pays le plus peuplé. Les regards peuvent donc se tourner vers l’Italie, dont le sort est extrêmement important pour la dynamique européenne.

Cyrille Bret : En l’état actuel, aucun des trois pays ne peut prétendre avoir un rôle moteur de l’Union européenne : l’Autriche est prospère et jouit d’une aura favorable dans l’Europe central et dans l’Europe germanique mais elle peine à dépasser le statut de leader régional ; la Hongrie bénéficie de l’exposition médiatique continentale de son Premier ministre réélu récemment, Viktor Orban, et de son influence au sein du groupe de VIsegard dont elle assure la présidence tournante, mais elle est handicapée par son peu de prestige à l’Ouest et par son faible effet d’entraînement économique. Quant à l’Italie, elle renouvelle largement la donne politique européenne en raison de son poids historique, démographique, économique et symbolique notamment dans son statut de poste avancé en Méditerranée. Mais les incertitudes pesant sur la longévité de son gouvernement et sur la stabilité de son paysage institutionnel ne lui permettent (pas encore?) de rivaliser avec le poids de l’Allemagne, de la France ou encore des Pays-Bas sur la scène politique continentale.

Jusqu'à quel point cette "alliance populiste" européenne peut-elle fonctionner et jouer un rôle stratégique dans la reconfiguration que connaît l'Europe aujourd'hui ? Quel impact pourrait avoir dans cette perspective les prochaines élections européennes de 2019 ?

Florent Parmentier : L’ « Alliance populiste » est une construction malaisée, il n’est pas certain que le consensus puisse fonctionner systématiquement. Avec quelques points communs toutefois : une critique des institutions bruxelloises autant qu’une promotion d’une identité chrétienne de l’Europe, une peur de l’arrivée massive de migrants, une volonté de s’adresser aux catégories perdantes des évolutions économiques... La plupart des régimes néo-populistes, sauf la Pologne, se trouvent relativement complaisant vis-à-vis de la Russie de Vladimir Poutine.

Les élections européennes sont encore loin, et de nombreux réalignements sont encore à prévoir si l’on considère les résultats des dernières élections européennes en 2014. Néanmoins, un bloc fort autour de ces valeurs au Parlement européen pourrait inévitablement rendre les prises de décision plus difficiles.

Cyrille Bret : Dans la perspective des élections européennes de 2019, il convient de se garder des illusions d’optique. Si plusieurs partis nationaux renouvellent profondément l’offre politique par des thèmes proches (opposition aux élites classiques, lassitude à l’égard des partis historiques, hostilité à l’islam politique, refus des migrations, souverainisme, etc.), les divergences entre eux interdisent, pour le moment du moins, de les considérer comme un front uni : entre la Pologne du PiS et la Hongrie d’Orban, la relation avec la Russie est une pomme de discorde; entre l’Italie actuelle et l’Autriche, les rivalités régionales restent importantes et l’européisme est mise en doute en Italie alors qu’il n’est pas discuté en Autriche. Une alliance populiste n’est pas encore née car chacun de ces partis procèdent de mouvement nationaux ayant une équation bien particulière.

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