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 Présidentielle : quels résultats les candidats de la “bienveillance” peuvent-ils espérer dans un monde qui ne l’est pas
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Pragmatisme

Sept exemples qui montrent concrètement qu'être bienveillant n'est pas l'apanage du bon politicien.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico : Les programmes politiques de Benoit Hamon et Emmanuel Macron les positionnent comme des candidats de la bienveillance, dans le sens où ils refusent de proposer des politiques "anxiogènes" aux Français. Mais si la politique ne relève pas du machiavélisme le plus cynique, peut-elle être pour autant uniquement de "bon sentiment" ? Quel équilibre peut-il être trouvé ?

Eric Verhaeghe : Il me semble que depuis 1789 et la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, nous deviendrions surtout envisager la politique comme la Révolution l'a voulu : en assurant l'intérêt général et en respectant la transparence sur les décisions publiques. Tout citoyen doit pouvoir demander compte à un élu, quel qu'il soit, de sa gestion et de son administration. Un candidat qui se fait élire en n'annonçant pas la couleur de son programme ne respecte pas les règles de la démocratie. 

Voici 7 exemples de positions politiques qui souffrent de trop de "bienveillance" :

1- Il faut entretenir une relation hostile avec l'Amérique de Trump et la Russie de Poutine, car ce sont des ennemis des Droits de l'Homme.

Eric Verhaeghe : Bien entendu que ni Macron ni Hamon ne rompront la relation historique avec les Etats-Unis. Sur le fond, leur mandat sera de cinq ans. Ils "survivront" donc pendant dix-huit mois au premier mandat de Trump. Nul ne sait ce que sera le pouvoir réel de Trump dans six mois. Au train où il va, il risque d'être un président empêché de fait, et rien n'exclut que la machine institutionnelle américaine ne se grippe face à lui. Un président français prudent et prévoyant prendra donc le temps de faire le dos rond et laissera passer l'orage en attendant d'y voir plus clair. Avec Poutine, j'imagine mal que le prochain président français ne prenne une position plus dure que celle de Hollande, déjà très hostile par rapport à notre tradition. Il faut se montrer raisonnable: la France composera avec l'ordre du monde. 

2. La sortie du nucléaire est une bonne chose pour l'avenir, et il faut toujours l'encourager. 

Eric Verhaeghe : Je crois que tout le monde est convaincu en France que le nucléaire est la pire source d'énergie qui existe, à l'exception de toutes les autres. Nous sommes tous d'accord pour en sortir. Sauf qu'on la remplace par quoi? A oins de transformer la France en champ d'éoliennes (et de tripler le prix du kilowatt, ce qui serait très impopulaire), de revenir au charbon, dont les effets polluants sont colossaux, ou de proclamer l'ère d'une sobriété et d'une décroissance dont les Français n'ont pas pris conscience, il faudra bien composé avec la réalité. Là encore, il est très à la mode de dire "à bas le nucléaire". Mais l'expérience des faits obligera à revenir au bon sens. 

3. Les robots détruisent de l'emploi, donc il faut taxer les robots pour financer le salaire universel

Eric Verhaeghe : La taxation des robots illustre bien l'espèce de mélancolie française et sa peur instinctive du progrès. La France, peuple de la terre et de l'agriculture, aime bien ce qui ne change pas ou pas beaucoup. Reste que, une fois passé ce lieu commun, les choses se présentent de façon différente. Contrairement à ce qu'on croit, la robotisation, qui améliore la productivité, est facteur de croissance donc de lutte contre le chômage. Imaginer qu'une entreprise va recruter des humains coûteux parce que les robots sont taxés est une aberration. Il faut avoir conscience, une fois pour toutes, que, en situation de marché unique, une entreprise préfère s'installer à l'étranger pour s'équiper de robots plutôt que de rester en France pour payer des taxes sur ses robots. Le projet de Hamon participera à la désindustrialisation du pays, et à rien d'autre. 

4. Faciliter les échanges commerciaux tel le TAFTA et le CETA est une bonne chose par nature.

Eric Verhaeghe : Le multilatéralisme commercial, interprété comme du libre échange, est devenu une religion moderne. Mais Macron, qui fait en effet partie de ceux qui répètent à l'envi qu'être ouvert d'esprit, c'est accepter un système où l'on vend en France à dix euros des jean's fabriqué en Chine par des enfants de huit ans, n'a probablement pas mesuré la dimension très polémique et sensible du sujet. Le TAFTA est un marqueur fondamental pour l'opinion publique. Ce sujet très clivant pourrait, pour le coup, lui jouer un vilain tour. 

5. La laïcité, et l'idée "bienveillante" selon laquelle il faudrait accepter plusieurs cultures au sein d'une même société. Cette idée a-t-elle déjà été mise en place dans l'histoire ? Qu'a-t-elle donné en termes de résultat qui permettrait d'illustrer son inefficacité ? 

Guylain Chevrier « Il n’y a pas une culture française, il y a une culture en France et elle est diverse » a déclaré Emmanuel Macron, croyant sans doute par là donner des gages d’ouverture à une certaine diversité culturelle. Il y a bien une culture française, ne lui en déplaise, non seulement en termes de forme de pensée et d’œuvres culturelles, mais d’institutions laïques d’une République qui en garantissent l’accès. C’est-à-dire, à une éducation à la connaissance et à la liberté de l’esprit, que d’autres cultures, d’inspiration religieuse, ethnique, régionaliste, qui ont leurs qualités, n’ont jamais pour autant apportée. Par ailleurs, l’idée promue ici, recouvre une conception de la laïcité dite « ouverte », qui remplace la primauté de l’égalité en droits et en devoirs, par celle de la reconnaissance des différences qui conduit à la différence des droits. Elle encourage ainsi, ce qui sépare au lieu de ce qui unit, à un moment où la crise économique et sociale que nous traversons crée une crise de la cohésion sociale à haut risque. L’ancien ministre de l’économie a bien ici tout faux !

6. L'immigration, le fait d'accueillir ceux qui le souhaitent avec le moins d'encadrement possible. Quels effets possibles ont pu être théorisés lorsque le législateur applique cette politique migratoire ? Quels exemples montrent là encore qu'une intention bienveillante, humaniste, produit des conséquences néfastes ?

Guylain Chevrier : Hier soir, au 20 h de France 2, on nous parle de la Serbie comme du cul-de-sac de l’Europe pour les migrants, depuis que l’Union européenne a décidé de fermer ses frontières. On nous avait invités, il n’y a pas un an, à leur accueil inconditionnel au nom de la générosité humanitaire. Mais la réalité a depuis rattrapé la fiction. Pour les trois quarts, il s’agit d’hommes seuls, marqueur d’une immigration économique, et non de réfugiés. Ensuite, ils viennent de Syrie, Libye, Pakistan, Afghanistan…, des pays très éloignés culturellement des sociétés démocratiques censées les accueillir. On a ainsi favorisé la venue massive de migrants économiques, dans une Europe largement dominée par un chômage de masse, tout en niant l’exigence que constitue leur intégration sociale, mais aussi politique. Car le risque, à ne pouvoir les intégrer, c’est de voir s’installer des regroupements communautaires, avec une segmentation de notre société, et avec elle, la montée de revendications identitaires détricotant notre modèle commun, pour le remplacer par plus de divisions, un risque accru d’affrontements, et finalement, plus d’inégalités. 

7. Parmi les candidatures que nous qualifions de bienveillantes, il y a celle de Benoît Hamon qui dans le domaine de la justice souhaite revenir sur la culture de la détention. Dans le monde quels ont été les effets d’une culture différente ? Cela peut-il être contre-productif ?

Guillaume Jeanson : Plus que la seule détention, le véritable enjeu réside dans la « certitude de la punition ». Dès 1764, Cesare Beccaria affirmait que « la certitude d’une punition même modérée fera toujours plus d’impression que la crainte d’une peine terrible, si à cette crainte, se mêle l’espoir de l’impunité. » Les exemples étrangers venus confirmer ce précepte sont légion, comme le rapporte le criminologue Maurice Cusson : en Australie, une grève de la police à Melbourne en 1923 a conduit des milliers d’individus à se livrer à des pillages. Pour y mettre fin, il a fallu que le gouvernement engage des milliers de citoyens pour agir en tant qu’officiers de police. Au Danemark, lorsqu’en 1944 les forces allemandes d’occupation ont arrêté les policiers danois suspectés d’actes de résistance, ils les ont remplacés par un personnel improvisé et inefficace. Lors des sept mois qui ont suivi, les vols à main à armée commis à Copenhague ont été multipliés par dix. 

La France témoigne aussi dans son histoire de l’effet contre-productif que peut induire une approche « bienveillante » et excessivement anti-carcérale. A cet égard, Xavier Bébin rappelle dans son livre intitulé « Quand la justice crée l’insécurité » qu’à la faveur du décret de grâce et d’amnistie voulue par Robert Badinter en 1981, plus de 5000 détenus ont été remis en liberté en quelques mois, le taux de criminalité faisant un bond de 20% l’année suivante. Ce constat ne doit pas occulter cependant une autre réalité. Celle d’exemples intéressants menés dans les pays scandinaves qui, en responsabilisant les détenus par la valeur du travail, reposent sur des types de détention allégée, sans être pour autant « contre-productifs ». 

Tout en se gardant d’un excès de naïveté fantasmant une généralisation simpliste de ce modèle pour mieux occire notre prison réputée fallacieusement « école du crime », peut-être serait-il judicieux d’expérimenter ce qui semble « productif » à l’étranger. Pour ce faire, il faudrait bien sûr veiller, d’une part, à l’adapter scrupuleusement à la faible dangerosité de certains profils délinquants (ex : délits routiers) et, d’autre part, à respecter ce précepte liminaire d’une plus grande « certitude » de la peine.

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