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Ce que le “moment Cohn-Bendit” révèle de la dissolution du politique dans les eaux sans vie du marketing
©JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

Remaniement cosmétique

L'éventualité de la nomination de Daniel Cohn-Bendit, à la suite du départ de Nicolas Hulot, fait évoluer de plus en plus la vie politique française vers le marketing politique.

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Dans le contexte de la démission de Nicolas Hulot de son poste ministériel, l'éventualité de la nomination de Daniel Cohn-Bendit pour le remplacer a été étudiée par l’exécutif. Dans quelle mesure cette hypothèse peut-elle démontrer, une nouvelle fois, l'importance prise par le marketing politique au détriment du politique lui même ? 

Maxime Tandonnet : Oui, nous sommes en plein dans la politique moderne. Il faut se souvenir d'une phrase clé prononcée par le président Macron: "Je ne suis que l'émanation du goût du peuple français pour le romanesque". Aujourd'hui, la politique médiatisée prétend avant tout offrir un spectacle aux Français, avec ses héros et ses monstres, ses batailles, ses victoires et ses échecs, la litanie des sondages quotidiens... L'intérêt général n'est que secondaire dans ce schéma. Le but principal est de sublimer l'image d'un personnage et tendre vers le Graal suprême qui serait la réélection en 2022. Le fond du problème est que, dans les milieux dirigeants, nul ne croit plus vraiment dans le politique en tant que service du bien commun. La politique est devenue avant tout une affaire de postures, de messages et de symboles. Le roman qui s'écrit aujourd'hui est celui du "bien" post frontières, qu'incarne l'équipe au pouvoir en France, contre le mal nationaliste qui renaît à travers le Brexit, Salvini et Orban, le "populisme" sous toutes ses formes. L'idée de nommer ministre M. Cohn Bendit était bien dans la logique de  ce message: ce dernier incarne le souvenir de mai 1968 et les valeurs de l'époque, en particulier le dépassement de l'Etat nation comme source de l'autorité politique.  

Qu'est ce que la République a à perdre d'une telle situation ou l’enracinement territorial des élus, le temps long d'une carrière, formant une forme de "creuset politique", perd de son importance au profit du tout marketing ? Comment le fond est-il finalement en train de céder à la forme ? 

Des notions comme l'intérêt général, le bien commun, la res publica, la chose publique sont passées au second rang de la vie politico-médiatique. Le débat d'idées a disparu. L'essentiel est dans l'apparence, la perception qu'ont les électeurs de la situation générale et l'image qu'ils se font de leurs dirigeants. L'image l'emporte sur tout le reste. Un homme est élu président de la République sur son image télévisuelle. Cette image gagnante s'impose comme l'acte de naissance et le principe originel d'un quinquennat. Sa sauvegarde ou sa promotion devient le but en soi de la vie politique qui glisse dans le culte de la personnalité. Le danger de ce fonctionnement est la fuite permanente dans un monde virtuel. L'objectif est de valoriser une image, par la communication et les manipulations, et non pas d'améliorer la réalité qui dans ce schéma, n'a qu'une importance secondaire. De fait, les relais naturels entre le monde  politique et la nation s'effacent dans la lumière aveuglante élyséenne: Premier ministre, ministres, députés et sénateurs. Le gouvernement qui est par définition la courroie de transmission entre le pouvoir d'Etat et le monde réel est quasiment annihilé. Le parlement, qui doit servir de relais permanent entre l'Etat et la France profonde est réduit à néant et entièrement dépendant de l'Elysée. Le peuple lui-même se sent en rupture complète avec le système politique: 87% des Français estiment que les politiques ne tiennent aucun compte de leur point de vue (CEVIPOF 2018).

En quoi l'importance prise par le marketing, par l'image, peut-elle cacher en termes de concentration du pouvoir ? Ne s'agit-il pas de la leçon de la démission de Nicolas Hulot ? 

Une erreur fondamentale est de parler de concentration du pouvoir ou de l'autorité. En réalité, il vaudrait mieux parler de concentration de l'impuissance. Toute l'attention médiatique converge vers l'Elysée. Plus rien n'existe (ou presque) que l'image élyséenne dans la vie publique, médiatique, journalistique française. L'Elysée veut s'occuper de tout, rendre les arbitrages, prendre les décisions dans les plus infimes détails, et toujours attirer à lui la lumière des caméras qui d'ailleurs, s'en donnent à coeur joie: il est tellement plus facile d'adorer ou de lyncher que de réfléchir au fond des sujets! Cependant,  isolé dans sa tour d'ivoire, ayant aboli de fait les véritables sources d'autorité gouvernementale, le Premier ministre, les ministres, et amputé des relais sur le terrain que seraient des parlementaires puissants et respectés, l'Elysée ne maîtrise plus rien et les difficultés s'accumulent. Dès lors, l'institution présidentielle conçue pour rayonner de son prestige devient au contraire le bouc émissaire de tous les échecs, les frustrations, les déceptions. Comme vous le dites, la démission de M. Hulot, suivie d'une nouvelle chute de la cote de confiance du chef de l'Etat, est emblématique de cette logique infernale. C'est pourquoi de mandat en mandat, les présidents de la République sont toujours plus impopulaires les uns que les autres... Mais attention! Cela ne tient pas uniquement à la personnalité de l'actuel président. Bien sûr, cette dérive atteint aujourd'hui son paroxysme. Mais elle est en cours depuis des années. Or, la prise de conscience de la déraison qui s'est emparée du système est totalement absente. Les opposants au président Macron, sans exception, n'ont qu'une idée en tête: prendre sa place pour faire exactement comme lui. Tant qu'une lueur de clairvoyance ne viendra pas éclairer le monde politique sur la débâcle de la démocratie française, rien ne sera possible...

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