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"Mes atouts physiques, je les garde pour moi et ceux qui me sont chers" : le témoignage de Samira, voilée mais "fashion-victim"
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Bonnes feuilles

La France. La connaît-t-on ? Comment la raconter ? Anne Nivat, reporter de guerre, familière des lointains conflits en terres irakienne, afghane ou tchétchène, porte pour la première fois son regard sur l’Hexagone. Pour cette immersion dans six villes de France, à l’heure où les journalistes sont parfois taxés d’arrogance, la reporter de terrain se place à hauteur de ces femmes et de ces hommes côtoyés durant des semaines, chez qui elle a vécu. Extrait de "Dans quelle France on vit" d'Anne Nivat, aux Editions Fayard (1/2).

Anne  Nivat

Anne Nivat

Anne Nivat est reporter de guerre et écrivain française.

Elle s'est spécialisée depuis dix ans dans des zones sensibles (Tchétchénie, Irak, Afghanistan…), parfois sans autorisation.

 

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Samira m’a donné rendez-vous à la cafétéria de Cora, décidément un lieu de rencontre prisé. J’arrive en avance et me poste dans un angle qui me permettra de la voir arriver. Peu de monde en cette heure encore matinale et je repère immédiatement la jeune femme au port de reine et au large sourire, vêtue d’une tunique vert émeraude assortie à la couleur de son foulard. De fines lunettes de soleil Dior rehaussent l’éclat de son teint pâle et ses grands yeux marron.

Samira, 27  ans, dernière de sept enfants, a grandi dans un bourg de 6  000 habitants où les familles d’origine marocaine n’étaient qu’une poignée. Elle dit avoir passé une enfance heureuse et ordinaire, ses deux parents étaient employés chez le géant laitier Lactalis. En famille, les coutumes et les rites français tels la dinde de Noël et les œufs de Pâques étaient respectés et appréciés. « Grâce à mes parents, je ne me suis pas sentie différente », insiste-t-elle. C’est seulement en quittant le cocon familial à 21 ans que la jeune fille prend conscience de sa condition. Pourtant, elle ne se sent que « musulmane d’identité », non pratiquante. Vendeuse chez Décathlon et dans d’autres enseignes de sport des villes avoisinantes, Samira a déjà ressenti des préjugés envers les Maghrébins, qu’elle qualifie pudiquement d’« irrespect », mais pas au point –  elle insiste  – que cela l’ait jamais empêchée de trouver du travail. « Toutes ces barrières que j’ai pu faire tomber avec un sourire ! », lancet-elle gaiement. Il faut dire que le sien est particulièrement désarmant.

C’est dans la ville du Mans que la jeune femme va devenir pratiquante. À l’occasion d’un ramadan, elle se rend avec une copine dans une des mosquées de la ville pour poser des questions sur la façon de prier. Les barbus orientent les deux jeunes femmes vers l’épouse de l’un d’eux. « C’était la première fois que je rencontrais des femmes en jilbâb , et même en niqâb ! Ça me faisait bizarre ! se souvient Samira. Le lendemain, à son tour, Samira décide de se voiler la tête. Je lui en demande les raisons. « Je vais essayer d’expliquer : j’avais toujours été entourée, mais je me sentais quand même seule. Je sers à quoi ? Je fais quoi ? Voilà les questions qui me taraudaient. Il me manquait de la sincérité. Avec cette brusque irruption de la douceur, l’islam a donné un sens à ma vie, je me suis sentie apaisée. » Ses parents s’en étonnent – dans la famille, seule sa sœur aînée est voilée. Tout comme ses amis laïcs, ils croient que c’est une tocade.

Samira préfère rire des remarques désobligeantes, parfois méchantes, ou, tout simplement, purement racistes (du style « rentrez chez vous en Arabie saoudite ! – inutile de préciser que Samira est française) entendues dans son sillage quand elle revêt le jilbâb. Remarques qu’elle tente de désamorcer à sa façon, par le sourire. « Les gens sont tellement étonnés de me voir sourire ! Ils en sont même choqués ! Ça les déstabilise ! Et puis, faut pas croire, en privé, nous, les musulmanes croyantes, on est toutes des fashion victims ! » Dans l’espace privé, Samira ne rechigne pas à porter un décolleté ou une minijupe, mais, en public, elle n’a pas envie d’être « reluquée » : « Mes atouts physiques, je les garde pour moi et ceux qui me sont chers. » Rien à voir avec une quelconque « soumission », prévient-elle. Et de poursuivre dans une veine que ne renieraient pas certaines féministes antivoile : « Voir partout des femmes nues, ce n’est pas dégradant pour la femme ? Les femmes sont constamment utilisées comme des objets sexuels et ne sont pas appréciées à leur juste valeur. » Selon Samira, le voile contribuerait à contrer tout cela. « De quel droit vous vous permettez de parler à notre place et affirmez que nous ne sommes pas libres ? » aimerait-elle demander à toutes celles [et à tous ceux] qui l’affirment sans douter.

À leur retraite, les parents de Samira sont revenus vivre à la Madeleine. Parfois, entre deux contrats, leur fille habite chez eux où elle découvre les joies de la vie au quartier. L’accueil chaleureux des voisins, la bienveillance, le respect, le sens de l’hospitalité, de la solidarité l’impressionnent. J’ai, pour ma part, toujours rencontré ces qualités dans les pays musulmans où j’ai séjourné ; elles sont à l’opposé des idées reçues sur les quartiers en France. En revanche, Samira n’est pas habituée à voir toute une partie de la population « zoner », traîner au quartier, et encore moins aux cris et aux disputes. Les moteurs de voitures ou de motos gonflées à bloc pétaradant pour de rapides courses-poursuites avec la police l’horripilent, encore plus quand c’est pour meubler le désœuvrement de leurs propriétaires. Et puis ces trafics de drogues que l’on devine sans réellement les voir la désespèrent.

Si Samira tient à son voile et prend du plaisir à le porter, elle n’a aucune difficulté à l’ôter pour aller travailler. Réaliste, la jeune femme sait que dans le contexte actuel, mieux vaut travailler que rester inactive. « Je suis française, je sais faire la part des choses. Si je refusais d’enlever mon voile, je ne travaillerais pas ou me débrouillerais pour travailler chez moi », affirme-t-elle. Assistante scolaire dans une école maternelle publique, Samira respecte la loi. Elle se voile au sortir de l’établissement, parce qu’elle assume son choix et en est fière. Ce voile l’aide à vivre.

« À Pôle emploi où je m’étais rendue une fois voilée, la conseillère s’est étonnée de ma nature joyeuse : “Vous respirez la joie de vivre !”, m’a-t-elle dit. Pour cette femme – je ne la blâme pas, femme voilée égale femme triste. Il est grand temps de sortir de ces idées reçues ! » Le sourire de Samira s’estompera uniquement quand nous aborderons le sujet du terrorisme. Ne lui parlez pas des « valeurs de la République » toujours brandies, selon elle, dans le mauvais sens : « La France tue, elle bombarde des civils et l’a fait en Afghanistan et au Moyen-Orient ! Ce n’est pas pour autant que je ne suis pas française ! Qui va oser définir à partir de quoi, à partir de quand, on est français ? Faut arrêter d’appuyer, d’enfoncer le clou. On parle que de ça. Non, c’est vrai, on dirait qu’ils veulent mettre l’animosité dans les cœurs… »

Extrait de "Dans quelle France on vit" d'Anne Nivat, aux Editions Fayard 

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