Marine Le Pen plus proche de l'Elysée que jamais... mais Le FN a-t-il vraiment les compétences pour gouverner la France ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
 Marine Le Pen plus proche de l'Elysée que jamais... mais Le FN a-t-il vraiment les compétences pour gouverner la France ?
©Reuters

Problème

Gouverner n'est pas l'affaire que d'un homme (ou d'une femme). Après la présidence vient le temps des nominations aux postes-clé de la République. Et si François Hollande a eu du mal à trouver les "500 hommes" nécessaires pour gouverner la France, il devrait en être de même pour Marine Le Pen en cas de victoire...

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan est docteur en science politique. Il est chargé de cours au Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et à l’Institut Supérieur de Management Public et Politique.  Il a publié en 2010 Culture Territoriale chez Gualino Editeur,  Droit constitutionnel et gouvernances politiques, chez Gualino, septembre 2014, Développement durable des territoires, (Gualino) en 2016, Culture territoriale, (Gualino) 2016 et En finir avec le Président, (Editions François Bourin) en 2017.

 

Voir la bio »
Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

Voir la bio »

Atlantico : Pour gouverner efficacement à l'Elysée, on considère qu'il faut environ 500 personnes capables d'occuper les différents postes à la tête de l'Etat et de son administration. Certains commentateurs ont pointé du doigt la difficulté qu'a eu François Hollande à trouver ces 500 hauts-fonctionnaires ou dirigeants. Qu'est-ce qui rend difficile cette transition du pouvoir ? Dans le cas d'une victoire du Front National ce printemps, ne devrait-on pas voir se problème être amplifiée par des questions idéologiques ?

Olivier Rouquan : Ces 500 hauts fonctionnaires environ, dépendent directement ou indirectement du Président, car ils sont soit nommés en Conseil des ministres, soit par le biais du Premier ministre sous influence directe du chef de l’Etat – ainsi va l’usage des nominations dans les ministères, afin de contrôler les ministres par le bas… Le Président est donc doté d’une influence réelle dans l’appareil d’Etat, du fait d’une coutume, plus que de prérogatives juridiques. Le problème n’est donc pas de structurer des fidélités et loyautés autour d’un Président dans le top management administratif ; avant son arrivée au pouvoir, les présidentiables des partis de gouvernement enrôlent des énarques, X, etc., chargés d’alimenter leurs programmes. Ces derniers attendent ensuite de leur implication des désignations à des postes exécutifs à hauteur de leurs espérances. Cette dynamique transactionnelle fonctionne encore pour LR et le PS… y compris pour F. Hollande en 2012.

Mais au-delà des nominations, pour atteindre l’efficacité, il s’agit de désigner des hauts-fonctionnaires non seulement compétents sur le papier et/ou fidèles, mais au fait des dernières évolutions, disposant de relais et de réseaux dans l’Administration intermédiaire et surtout, préoccupés de stratégie et de bon management public. L’enjeu fort est en effet devenu le bon management RH, du fait de la désorganisation de l’Administration, entrainant la démobilisation de nombre de cadres intermédiaires. Déboussolés ou mécontents, sans trahir leur devoir d’obéissance, ces derniers savent que les réformes de papier finissent dans le découragement et ont un impact minime ou négatif sur les administrés ou usagers... Ces dix dernières années sont pleines d’ajustements administratifs venus du haut, coûteux en temps, en énergie, parfois en subsides, et qui ne répondent pas aux attentes, ni des agents, ni des citoyens. Si bien que les meilleures planifications centrales se perdent dans les sables de la complexité.

Je remets donc en cause l’idée qu’en France, l’on puisse "gouverner efficacement avec 500 personnes" ! Ce présidentialisme coutumier des réseaux de hauts responsables administratifs ne suffit pas - et d’autant moins dans le cadre du quinquennat -, à une bonne conduite du changement. Il y a en France un insuffisant intérêt pour la culture managériale durable (et pas seulement pour la politique du chiffre), qui a contribué à fragiliser considérablement l’efficacité de l’appareil administratif.  Il y a aussi une insuffisance à faire monter les talents, les innovations et à ouvrir les recrutements, ne serait-ce qu’aux docteurs venus des universités – ce dernier point est un grand renoncement pourtant peu commenté du quinquennat actuel, ayant cédé au vieux corporatisme de "l’élitisme républicain"… Pour comprendre les transitions administratives manquées, ces facteurs me semblent beaucoup plus explicatifs que les éventuels ratés du clientélisme du sommet.

Enfin, vous posez la question du FN, qui n’est pas un parti de gouvernement. A cet égard, il se trouvera toujours des hauts-fonctionnaires pour rejoindre le char d’une éventuelle victoire et d’autres… moins téméraires, pour faire œuvre d’une telle neutralité, devoir de leur charge, qu’ils exécuteront sans mot dire. Mais il s’en trouvera aussi, souvent le long de la ligne hiérarchique, pour contester le sens des mesures prises, faire trainer, organiser une résistance passive à certaines directives… L’ampleur de ces dynamiques sera d’autant plus forte que les expériences locales de gestion de ce parti seront mauvaises – et quelques retours d’expérience l’indiquent déjà. Bref, une éventuelle victoire du Front national risque dans un premier temps, de rajouter à la désorganisation des services publics et donc à une perte supplémentaire d’efficacité de l’Etat.

Qu'en sera-t-il de Marine Le Pen si elle devait arriver au pouvoir ?

Jean-Philippe Moinet : L'incompétence, en cas d'accession de Marine Le Pen à l'Elysée, serait un élément de catastrophe nationale de plus. Les responsables du FN ne sont évidemment pas incompétents en soi, ils sont consubstantiellement inexpérimentés, ils se sont mis politiquement hors des champs de compétence des partis de gouvernement, par construction ils se sont placés dans une bulle idéologique radicalement "anti système", qui peut faire une force électorale (jusqu'à un certain point) mais aussi une grande faiblesse politique, quand il s'agit d'agir (avec efficacité, hors système autoritaire, qui peut devenir une tentation). Les dirigeants du FN ont toujours refusé une logique de gestion, encore plus de co-gestion (avec d'autres) du pouvoir. Ils préfèrent marteler certains thèmes, occupant la fonction tribunicienne de l'ancien PC, avec "l'alternative nationale" en perspective, centrée sur des boucs-émissaires: l'étranger, l'Europe... C'est une situation très confortable quand il s'agit de récupérer les protestations liées à toutes sortes de crises, c'est la spécialité de toutes les extrêmes droites, de tous temps, de récupérer - de provoquer quand ils le peuvent - les problèmes et les peurs. Mais cela produirait une incompétence flagrante, et un désordre national, en cas d'accès du FN au pouvoir national.

Marine Le Pen, elle-même, n'a jamais eu aucune responsabilité, en terme de politique publique elle n'a jamais été amenée à gérer aucun budget public, aucune grande et même petite décision. Ni au niveau local, ni au niveau national. Ses mandats lui ont donné des tribunes mais elle ne s'est jamais fait remarquer en traitant sérieusement des dossiers, en travaillant des prises de décision. Le FN a fait son succès dans une critique radicale du "système". En tant de crise et de doute, ça marche. Elle doit d'ailleurs faire face à une redoutable concurrence en ce domaine: celle de Jean-Luc Mélenchon, et d'une certaine manière, d'Emmanuel Macron, voire de François Fillon (quand il pilonne les médias). Ca peut marcher mais cela ne créée par de la compétence, ni de la crédibilité, présidentielle et gouvernementale.

Dans les temps actuels, où les mouvements populistes et les démagogies faites de contre-vérités se portent bien, on peut bien sûr se demander si la compétence, le sérieux, la crédibilité, l'expertise et même l'expérience sont des critères favorisant l'élection... Mais une fois l'élection passée, la compétence et le principe de réalité s'imposent. La gauche en a fait la rude expérience en 2012. Le FN, depuis 2011, fait croire qu'avec un énarque qui multiplie les plateaux télés ont peut construire un mouvement capable d'assumer les responsabilités d'Etat: c'est une duperie nationale de plus ! Et le fait d'avoir misé sur un seul homme en la matière (Florian Philippot) prouve un grand vide derrière. Il y a bien sûr une série d'élus locaux, issus des rangs de l'extrême droite lepéniste la plus doctrinale (qui ne reniaient rien des positions du père), il y a des élus plus jeunes, en formation accélérée dans les collectivités locales, il y a des élus locaux ralliés d'autres formations (de droite, mais qui n'avaient pas forcément brillé pour leur compétence, mais ont vu au FN une terre d'accueil pour faire carrière rapidement). Il y a aussi, en cas d'accession au pouvoir, une possible cohorte d'opportunistes qui, dans l'administration d'Etat, pourront apporter leurs compétences techniques. Cela s'est vu dans d'autres périodes de l'histoire, où l'extrême droite est parvenue au pouvoir. Tout cela est possible mais cela ne produit en rien, d'emblée et à priori, un bloc de compétences dignes d'un grand pays comme la France, cinquième puissance mondiale. Sans parler des fractures, politiques et sociétales, que le FN provoquerait, un énorme doute pèse donc sur le niveau de compétences du FN. Cela n'est pas un sujet de campagne, mais cela peut le devenir. Au-delà des 25 ministres qu'il faut réunir et rendre crédible sur la scène nationale et internationale, il faut en effet ces 500 hauts dirigeants que le FN devrait, en ce cas, trouver ailleurs : dans "le système" qu'ils n'ont cesse de critiquer, pour faire des voix.

Un indice d'incompétence et d'impréparation de Marine Le Pen s'est d'ailleurs vu, dés son premier déplacement de campagne présidentielle, sur le thème de la ruralité dont elle dénonçait "l'abandon". Dans une petite ville, visitant une maison des services publics, elle s'est tournée vers le maire sans étiquette, pour déplorer la charge qu'il lui incombe et dénoncer l'abandon de l'Etat. Pas de chance: cette maison était tenue et maintenue, grâce aux efforts de l'Etat, avec des services publics nationaux comme la Poste, le maire n'accompagnant qu'accessoirement ces efforts... Quand on rentre dans le concret et les réalités, le FN, même au plus haut niveau, est souvent pris en flagrant délit d'incompétence, et de démagogie. Les deux éléments étant liés.

Le FN semble pourtant avoir fait un effort conséquent pour se préparer à cette étape, et a beaucoup insisté sur sa capacité à mobiliser des équipes compétentes pour gouverner. Quelles sont les barrières qui l'empêchent aujourd'hui de rassembler une telle équipe ? Pourrait-il un jour passer cet autre "plafond de verre"?

Jean-Philippe Moinet : Les barrières sont celles que le FN porte en bandoulière. Marine Le Pen a beau proclamer que son mouvement détient des compétences, les ressources humaines du FN sont limitées pour exercer le pouvoir. Bien sûr, elle a du monde pour surfer sur les multiples vagues (et raisons) de protestations. Mais construire des politiques publiques crédibles, c'est autre chose. Sauf à rompre avec le pacte républicain et démocratique, en choisissant la voie autoritaire, pour imposer des décisions qui rompent avec les fondamentaux du droit français et européen. Là réside d'ailleurs le danger. Ce n'est pas l'accession au pouvoir, c'est la manière dont il serait utilisé. On sait que la tradition, l'histoire et la culture de l'extrême droite conduit, pour se maintenir au pouvoir, non pas à faire les choix que la compétence et la raison commandent, mais à opter pour des postures, faire de la surenchère sur des boucs-émissaires et en venir à des mesures autoritaires. Mais, heureusement, même si dans le contexte de toutes les incertitudes une vigilance redoublée s'impose, nous n'en sommes pas là.

Les deux partis de gouvernement actuels sont-ils les seuls à pouvoir trouver ces 500 personnes ? N'est-ce pas un argument de plus dont pourrait se saisir le Front National, peu avare en critique des technocrates ?

Jean-Philippe Moinet : Les deux principaux partis de gouvernement n'ont aucunement le monopole des compétences, et ne peuvent, seuls, trouver les 500 à 1000 dirigeants de haut niveau, dont l'Etat a besoin, non seulement pour être dirigé mais aussi (surtout ?) pour s'adapter au monde d'aujourd'hui. Le temps du monopole du pouvoir par un parti est terminé, cela ne eut tenir durablement. C'est d'ailleurs la faiblesse stratégique du FN aujourd'hui. Il attire des électeurs, mais il ne pourra pas gouverner seul. Or, il n'a pas d'allié.

Au-delà du PS  et de LR, non seulement il y a des composantes et des ressources alliées, écologistes et centristes par exemple, mais il y a le grand gisement d'acteurs de la société civile et d'acteurs de l'Etat, qui n'ont pas fait carrière en politique mais qui peuvent être aisément, et en nombre, en situation de compatibilité et d'engagement avec un Président de la République et un gouvernement de coalition, qui ne proviennent pas de l'extrême droite.

Bien sûr, le FN utilise le filon populiste du rejet des "technocrates", de la "caste des énarques" présentés comme coupés des réalités du pays... c'est une facilité électoraliste qui est proportionnelle à son manque de crédibilité. In fine, ce sera bien sûr aux citoyens de choisir.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !