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 Le quinquennat du renouveau générationnel est-il en train de zapper totalement le débat nécessaire sur la solidarité entre générations en France ?
©DR

Passé sous silence

Le sujet de la fracture générationnelle n'a pas été abordé lors de la campagne pour la présidentielle, ni même depuis. Elle regroupe pourtant de forts enjeux, dont celui de la dépendance.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : La campagne présidentielle avait laissé peu de place au débat relatif à la fracture générationnelle, un thème qui n'a pas été plus repris au sein des deux discours de l’exécutif en ce début de semaine. Seule la décision de la hausse de la CSG, qui a pu être présentée comme un moyen de faire contribuer plus largement les retraités, a permis d'aborder ce thème. En quoi un tel exemple peut-il révéler une approche biaisée de cette question de la fracture générationnelle, d'un rapport punitif vis à vis d'une catégorie, plutôt que de vouloir faire converger les intérêts des uns et des autres ?

Alexandre Delaigue :Ce n’est même pas vraiment une façon de faire contribuer plus largement les retraités. C’est plutôt la version croupion d’une vraie question : le financement de la protection sociale repose très largement sur les revenus du travail, ce qui augmente son coût et pénalise l’emploi. L’idée est donc de faire reposer celui-ci moins sur les revenus du travail, plus sur les autres revenus. Certains sont hostiles à cette évolution qui modifierait fortement le paritarisme à la française, d’autres y sont favorables. L’idée de fusionner impôt sur le revenu, CSG dans un grand impôt à large assiette pour financer la protection sociale est préconisée depuis longtemps par Thomas Picketty. Comme cela commence à devenir une habitude avec ce gouvernement, plutôt qu’un débat de fond sur notre fiscalité, on a droit à un expédient : augmenter la CSG de quelques points.

Philippe Crevel : Emmanuel Macron, par sa seule élection à la Présidence de la République à 39 ans, a imposé le principe de la fracture générationnelle. Né en 1977, le nouveau Président a précipité à la retraite les femmes et les hommes politiques nés dans les années 50, les sexagénaires comme François Hollande, Nicolas Sarkozy ou François Fillon. Le rajeunissement du personnel politique, rajeunissement que nous n’avions pas connu depuis de décennies, intervient au moment même où la France s’engage dans la voie du vieillissement. Depuis 2015, il y a, plus de personnes de plus de 60 ans que de jeunes de moins de 20 ans. La France compte 16 millions de retraités, ce chiffre devrait atteindre 20 millions en 2030.

Emmanuel Macron a été silencieux durant la campagne en ce qui concerne la prise en compte du vieillissement de la population. Il n’a pas promis comme Nicolas Sarkozy la création d’une 5e branche de la Sécurité sociale pour la dépendance ou l’adoption d’une grande loi comme l’ont fait Jacques Chirac et François Hollande.

Sa promesse d’augmenter la CSG afin de financer les exonérations de charges sociales dont profiteront les actifs revient à majorer les prélèvements sur les retraités et les bénéficiaires de revenus du patrimoine. Emmanuel Macron a tenu à préciser que seuls les retraités soumis au taux de 6,6 % de CSG seront concernés par la hausse de 1,7 point. Le taux de la CSG passera donc pour 60 % des retraités de 6,6 à 8,3 %, Le titulaire d’une retraite de 2000 euros (pension de base et complémentaire) pourrait y perdre 400 euros par an ou encore 300 euros pour une pension de 1500 euros. Il faudra en outre savoir si la majoration de CSG est déductible ou pas de l’impôt sur le revenu.

Par ailleurs,  les détenteurs de capitaux se concentrant majoritairement chez les plus de 50 ans, ce sont bien les seniors qui sont visés par la hausse de la CSG

Cette décision peut s’appuyer sur le fait, qu’aujourd’hui, le niveau de vie des retraités dépasse, par unité de consommation, celui de l’ensemble de la population, environ de 6 %. Il y a donc l’idée au nom de la solidarité nationale de faire payer les retraités. Mais, cela n’est qu’une photographie à un instant t. Le Conseil d’Orientation des Retraites, dans son dernier rapport a souligné que le niveau de vie des retraités a déjà commencé à baisser du fait des réformes engagées depuis 1993 et en raison des augmentations des prélèvements décidées depuis quelques années. D’ici 2040, le niveau de vie pourrait être amputé de 15 à 20 %, la baisse étant beaucoup plus sensible pour les cadres.

Alors que la République en marche visait le renouveau de la politique en France, en quoi cette question de la fracture générationnelle est elle laissée de côté ? Quels sont les enjeux prioritaires à traiter dans ce cadre, en pensant notamment à la question de la dépendance ?

Alexandre Delaigue : Le problème de cette idée de fracture générationnelle, c’est que c’est un cliché sans grande consistance, un avatar de cette tendance à multiplier les inégalités diverses et variées au lieu de se focaliser sur celles qui sont réellement fondamentales : les inégalités de revenus et de patrimoine, les inégalités entre classes sociales. La différence entre un cadre et un ouvrier est bien plus significative qu’entre un ouvrier retraité et un ouvrier en activité !

Il n’est pas facile de transformer une femme en homme, ou une personne de couleur issue de l’immigration en « français de souche ». Mais par contre, nous sommes tous à un moment jeunes, puis adultes, puis vieux. Les inégalités entre âges sont donc des différences entre nous-mêmes à différents âges de la vie.

On voit souvent deux arguments: premièrement, les retraites en France sont plus élevées qu’ailleurs en Europe, ce qui est vrai. Ensuite, une grande part du patrimoine, en particulier immobilier, est détenue par les personnes âgées, tandis que les jeunes font face à des prix des logements élevés qui les empêchent d’accéder à la propriété. Mais ces deux arguments manquent de sens parce que les actifs d’aujourd’hui hériteront du patrimoine de leurs aînés. Par définition quand tous les vieux seront décédés leurs logements appartiendront à ceux de la génération suivante !

Par ailleurs il n’est pas illogique de faire plutôt supporter les ajustements du système social aux actifs qu’aux retraités, car ces derniers ont moins de possibilités pour s’adapter. Si on m’augmente mes taxes cela ne m’enchante pas évidemment, mais je peux essayer de faire une ou deux heures supplémentaires pour combler cela. Nous n’avons pas envie d’avoir à demander aux retraités de reprendre un emploi à 75 ans pour parvenir à subvenir à leurs besoins, comme c’est le cas dans de nombreux autres pays riches, en particulier les USA !

Et comme vous l’indiquez la question des retraités est lourdement impactée par l’injustice portant sur la dépendance. Si vous avez la chance d’avoir une vieillesse sans incidents, vous pourrez rester dans votre maison, et décéder dans votre lit d’une crise cardiaque. Mais si par malheur vous devenez dépendant, infirme ou atteint de démence, soit cela tombe de manière disproportionnée sur vos enfants, soit vous devez allez dans un établissement pour personnes âgées dépendantes, dans lequel vous devrez payer minimum 3000 euros par mois si vous voulez éviter de passer votre journée à baigner dans vos excréments.

Nous avons tout à inventer pour permettre aux personnes âgées de vivre leur grand âge de manière agréable. Mais ce n’est pas un sujet vendeur, la réglementation empêche en pratique toute innovation en matière de prise en charge des personnes âgées dépendantes. Dans ces conditions, c’est malheureux, mais la seule chose qui leur rende une vie digne est d’avoir des revenus suffisants pour ne pas échouer dans un mouroir sinistre.

Philippe Crevel : La fracture générationnelle s’exprime de plusieurs façons. Il y a le chômage des jeunes qui dépasse depuis des années 22 % et qui peut atteindre dans certaines villes 40 %. Il y a les difficultés à trouver un emploi stable, à temps complet. Il y a des difficultés à trouver un logement. Il y a des difficultés à passer son permis de conduire et à acheter une voiture. De l’autre côté, les plus de 55 ans sont propriétaire à 75 % de leur résidence principale ; ils achètent des voitures neuves. Les retraités ont dépassé depuis deux ans les actifs pour le nombre de nuitées en hôtel. Il y a deux mondes. Il faut évidemment prendre en compte cette situation. Certes, les retraités bénéficient des fruits de leur travail, de l’accumulation d’une vie. Mais ils ont bénéficié de circonstances favorables, la forte croissance et l’inflation qui a élimé les remboursements des emprunts. Mais, il ne faut pas accuser les retraités d’égoïsme car aujourd’hui, ils redistribuent une partie de leurs revenus au profit de leurs enfants et petits-enfants. C’est l’inverse de ce qui se faisait il y a encore quelques décennies. Pour éviter une société fragmentée, il faut cesser de faire tout financer par les prélèvements obligatoires. Il faut desserrer les contraintes qui pèsent sur les jeunes en matière de passif social à payer. Il faut oser faire des arbitrages. Dans plusieurs pays dont l’Allemagne, le législateur a fixé un plafond pour les dépenses de retraites à ne pas dépasser. Il faudrait faire de même en France.

Depuis une quinzaine d’années, les pouvoirs publics tournent autour du problème de la dépendance qui sera une réalité d’ici 2020 en raison de la montée en âge des premières générations du baby-boom. De promesses en promesses, le dossier de la dépendance s’est enlisé. Faut-il instituer une couverture universelle, faut-il faciliter la souscription d’assurance spéciale dépendance ? Sur le sujet, le flou est de rigueur. L’idée que les actifs cotisent pour leur retraite et que les retraités cotisent pour leur éventuelle dépendance serait assez logique. Une solidarité de génération pourrait ainsi s’exprimer. La dépendance n’est pas une certitude ; elle est un aléa et rentre, de ce fait, dans la logique de l’assurance. Pour cela, le cadre doit être clair. Il faut que l’Etat, les acteurs publics, définissent les règles et acceptent de partager les données avec les organismes d’assurances. Par ailleurs, au nom de la mutualisation, il faut sans nul doute aller vers un système d’assurance obligatoire. Elle pourrait reposer sur des accords de branche professionnelle. Au moment de la liquidation des droits à la retraite, les nouveaux retraités seraient rattachés à une caisse de dépendance.

En quoi pourrait consister une approche globale de la fracture générationnelle, permettant de réduire cette fracture, tout en évitant une approche punitive de l'une ou l'autre catégorie?

Alexandre Delaigue : Il y a énormément d’innovations à rechercher pour les personnes âgées, pour sortir du tout-médicalisation qui préside au fonctionnement des EHPAD. Créer des lieux de vie dans lesquels on se préoccupe du bien-être des gens plutôt que de chercher à les maintenir en vie quelques mois de plus par exemple. Quelle importance qu’un vieillard de 85 ans boive un peu trop d’alcool, fume, si cela lui fait plaisir ? Pourquoi priver les personnes âgées dépendantes d’animaux de compagnie ?

Pour maintenir les gens à domicile, un recours à l’immigration pourrait s’imposer, pour avoir du personnel abondant à des prix raisonnables (ce qui sera, pour les personnes immigrées employées, infiniment mieux que ce qu’elles pourraient trouver comme perspectives chez elles). Bref c’est un domaine dans lequel on a besoin d’être inventif.

Et pour les jeunes générations ou les actifs, leur problème se résume à un seul : la croissance est trop faible. Faites passer le taux de croissance français de 1 à 2% au cours des 20 prochaines années et votre « fracture générationnelle » disparaîtra. Mais il est bien plus commode de se dire victime des vieux que de s’attaquer aux vrais obstacles à la croissance économique.

Philippe Crevel : La France ne connaît pas de fracture générationnelle. Même si les jeunes considèrent qu’ils n’auront plus de retraite, à tort, par ailleurs, ils n’en veulent pas à leurs aînés. A la différence des années 60 ou 70, les relations intergénérationnelles sont plutôt pacifiées. Les parents, voire les grands parents et les enfants aiment les mêmes affaires, les mêmes musiques…. L’élection d’Emmanuel Macron est issue d’une synthèse au 2e tour des votes des jeunes actifs et des retraités. Certes, au 1er tour, une partie de la jeunesse a voté Jean-Luc Mélenchon. Ce vote contestataire ne peut être assimilé à celui en faveur du PC ou de l’extrême gauche dans les années 50 à 80. Il s’inscrivait dans un romantisme révolutionnaire, dans la recherche d’un idéal anticapitaliste. Les jeunes considèrent que leurs parents sont maltraités par le système économique. Ils ne les accusent pas d’être des mercenaires au service du grand capital.

Emmanuel Macron et le Gouvernement devra éviter d’opposer les générations faute de quoi leur popularité sombrera. En France, il est difficile d’opposer jeunes et vieux. Le vieux se remémore sa jeunesse qu’il idéalise et le jeune pense à sa vieillesse, un peu trop par ailleurs.

Une responsabilisation des acteurs en ce qui concerne la santé, les dépenses sociales doit concerner toutes les générations. Il y a des économies à réaliser à tous les niveaux, des aides au logement aux dépenses de santé. Il faut remettre en avant les solidarités locales, familiales pour éviter de transférer tous les coûts sociaux sur le secteur public. Par ailleurs, il faut éviter de faire du vieillissement une plaie. Il faut, repenser le système productif pour faciliter le maintien en emploi des plus de 55 ans. Pour cela, il faut imaginer des dispositifs innovants. Ainsi, il serait possible d’instituer des systèmes de lissage des augmentations du coût du travail avec l’âge. Il faut permettre des respirations professionnelles et mettre l’accent sur la formation tout le long de la vie professionnelle. Par ailleurs, le report de l’âge de départ à la retraite à 65 ans est indispensable pour alléger le fardeau financier qui pèse sur les actifs.

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