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"La loi de 1905 s'adresse d'abord au citoyen en tant qu'homme libre"
©Jean-Pierre MULLER / AFP

Laïcité

A l'heure des débats sur la laïcité et sur les valeurs centrales de la République après les récents attentats, le maire de Saint-Etienne, Gaël Perdriau, revient sur deux notions essentielles : la Liberté et la Justice.

Gaël Perdriau

Gaël Perdriau

Gaël Perdriau est maire de Saint-Etienne et vice-président du parti Les Républicains. 

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Dans le tumulte actuel, nous devons prendre le temps de la réflexion et de l’échange. Au moment où les jugements péremptoires, souvent dictés par ces sœurs jumelles que sont la peur et l’ignorance, sont devenus monnaie courante, il est fondamental que l’on se donne un temps de respiration intellectuelle. Le temps de la raison.

Le temps du temps, alors que nous vivons au rythme effréné d’une actualité en proie aux commentateurs qui ne vivent que des minutes faites de 59 secondes.

Un temps d’autant plus précieux que nous vivons peut-être ce que Virgil Gheorghiu définit comme étant la 25ème heure, cette heure de la folie humaine qui ne connaît plus aucune limite. Cette heure où la raison s’efface devant le déferlement de la violence. Pour contrer cette folie, nous ne manquons pas d’affirmer que la tolérance, souvent associée à la laïcité, est la réponse. Au risque de choquer, j’assume de ne pas aimer la tolérance car elle est ambiguë.

Si la tolérance évoque, d’une part, le respect, l’ouverture et la compréhension, autant de valeurs auxquelles je souscris sans réserve, elle est aussi porteuse de l’idée, parfois mortelle, dès lors qu’on touche à l’intime des pensées de chacun, d’une hiérarchie des valeurs.

Ainsi, se montrer tolérant c’est aussi affirmer que, compte tenu de ce que l’on croit conforme à son système de pensée, on accepte une certaine différence. Qui peut affirmer que son système de pensée est le meilleur ? N’est-ce pas une forme de condescendance ? N’est-ce pas là une manière subtile et élégante d’affirmer sa supériorité ? N’est-ce pas là une manière discrète d’affirmer son pouvoir absolu sur autrui ? 

Être tolérant serait alors recourir à une méthode civilisée, exempte de toute forme de force, mais ne différant en rien des objectifs poursuivis par les ennemis de la tolérance qui utilisent la violence comme seul moyen d’expression. Ceci est vrai chaque fois que l’on fait de la tolérance l’objectif de la réalisation de l’humanisme républicain et non un simple outil à son service.

C’est la raison pour laquelle une société devrait, d’abord et avant tout, reposer sur deux autres principes : la Liberté et la Justice.

La liberté est d’abord et avant toute chose, cette capacité que nous avons à exister par nous-mêmes et à nous mouvoir dans le maquis dense de la pensée. Nos idées, nos opinions, nos croyances ou nos convictions ne peuvent se forger que dans une liberté dont la conscience de ses limites s’appelle responsabilité.

La responsabilité ne peut se comprendre que si elle s’appuie sur la sanction. Une sanction qui doit, à chaque instant, faire peser une menace réelle pour les ennemis de la liberté. Les récents événements, le meurtre odieux de Samuel Paty, ont démontré à quel point la violence d’un acte puise aussi sa raison d’être dans la violence des paroles trouvant, parfois, refuge sous le parapluie d’une tolérance devenue, cette fois, aveu de faiblesse.

Voilà pourquoi la Liberté n’est rien sans la responsabilité qui appelle la Justice. Il appartient à la justice de se montrer impitoyable avec ceux qui ne veulent qu’une chose : détruire notre société. Comme je viens de le dire, la liberté de penser, écrire, ou s’exprimer ne peut être un droit sans limites. Elle doit cheminer de pair avec un impératif de justice qui devrait guider chaque citoyen et plus spécialement chaque décideur.

Chaque décision que nous sommes amenés à prendre doit concourir à édifier une société ou Justice et Liberté cheminent ensemble pour bâtir cet humanisme républicain dont découle la tolérance, l’outil privilégié de cette construction si complexe où l’homme s’épanouit. 

Néanmoins, tout ceci ne serait que théorie sans le socle permettant de régir l’expression des opinions les plus intimes sur l’espace public. En tant que maire de Saint-Etienne, je ne peux oublier qu’Aristide Briand, alors député de la Loire porta sur les fonds baptismaux ce texte, envié dans le monde entier, la Loi de 1905.

L’expression des convictions les plus intimes, à commencer par les opinions religieuses, se doit d’être régie de manière rigoureuse pour ne pas raviver le risque de guerres de religion qui ont si cruellement marqué le passé de la France. Une Nation qui a toujours entretenu, avec la religion, un rapport particulier comme en témoignent les exemples de Philippe le Bel ou au moment de la Révolution Française sans oublier les luttes de la IIIème République. La France a toujours posé la question de la séparation du spirituel et du temporel.

La question à laquelle nous devons alors répondre est : comment gérer et régler les rapports sociaux découlant du fait religieux ? Ces rapports qui débordent de la sphère privée vers la sphère publique. En énonçant ainsi le problème, bien évidemment, se pose la difficile question de la croyance spirituelle qu’elle s’exprimer indistinctement dans la pratique d’une religion ou dans le refus de croire en une puissance métaphysique.

La France après tant de siècles a donné naissance la loi de 1905, posant le principe d’une République indifférente aux cultes mais se reconnaissant le devoir d’en garantir le libre exercice dans le respect des lois républicaines. Une loi qui, paradoxalement, n’évoque jamais, de manière explicite, la laïcité. Une laïcité déduite donc de l’interprétation du texte.

Le génie de ce texte repose dans la volonté de faire de cette loi un texte garantissant la liberté de chacun et non un moyen de protéger les différences. C’est en cela que le texte fait de la tolérance un moyen au service de la justice et de la liberté reconnue à chaque citoyen d’exprimer sa foi, quelle qu’elle soit, ou son absence, sans avoir à craindre des poursuites du moment qu’il respecte la loi républicaine.

Nul ne peut s’arroger le droit de modifier cette loi sans la précaution d’en protéger l’esprit qui garantit les libertés fondamentales au travers de la liberté d’expression. Le citoyen est un homme libre qui est vu, par la suite, comme porteur de différences pour lequel l’Etat offre le cadre protecteur de la loi pour qu’elles trouvent le point d’équilibre leur permettant de s’exprimer. 

Attention à ne pas inverser cette logique car alors, demain, nous serons obligés d’établir des catalogues sans fin sur ce qui est autorisé ou pas. Le voile, la kipa, la croix voire les rayonnages de nos supermarchés. Nous commettrions une erreur, transformant une loi protectrice des libertés en machine de guerre tournée contre les religions

La laïcité doit rester ce principe, qui tout en garantissant les libertés fondamentales de chacun, lui permet d’exprimer ses différences dans l’espace public sans qu’elles puissent effacer les lois de la République. Là aussi, il appartient au législateur de créer les conditions permettant de rechercher, tous les jours, ce point d’équilibre entre l’intimité de la pensée et son expression sur l’espace public. La religion, bien entendu, fait partie de cette sphère intime qu’il convient de protéger tout en évitant le risque de la voir déborder.

Veillons ensemble à ce que le climat de peur, lié à la crise sanitaire, économique, sociale, de l’autorité de l’État ou encore du sentiment d’appartenance nationale ne devienne le prétexte à une dérive attentatoire à nos libertés et qui désignerait des pans entiers de la société comme suspects de crimes commis par une minorité de fous auxquels il ne faut laisser aucune place.

Tribune libre de Gaël Perdriau, maire de Saint-Etienne, président de Saint-Etienne Métropole, vice-président Les Républicains

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