"Je resterai jusqu'à la fin du quinquennat" : Manuel Valls a-t-il fait preuve d’acte de loyauté ou d’un défi subtil à François Hollande ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Manuel Valls a-t-il fait preuve de loyauté envers François Hollande ?
Manuel Valls a-t-il fait preuve de loyauté envers François Hollande ?
©Reuters

Matignon et son enfer de paradis

Invité au "20 heures" de France 2 dimanche 7 décembre, Manuel Valls s'est inscrit fermement dans la durée à Matignon. Pas d'effet d'annonce malgré les derniers couacs gouvernementaux ou sondages en sa faveur, il s'est contenté de défendre l'action de son gouvernement.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

Voir la bio »

Atlantico : Dès les premières minutes de son interview, Manuel Valls a balayé les rumeurs qui font état depuis plusieurs semaines de son envie de départ de Matignon et a également réaffirmé sa "loyauté" à l'égard d'un chef de l'Etat handicapé par un niveau d'impopularité historique. Quelle est la réalité des relations entre le président de la République et son Premier ministre sous le régime de la Ve République ? 

Jean Petaux : Il y a sans doute autant de réponses possibles que le nombre de titulaires du fauteuil de Matignon depuis 1958, c'est-à-dire 21. Raphaëlle Bacqué a cherché à faire la synthèse de ces histoires plurielles dans un livre remarqué : L’enfer de Matignon. Quelques mois plus tôt, Bruno Dive et Françoise Fressoz, deux autres observateurs fin et précis de la vie politique française, avaient carrément intitulé leur ouvrage La Malédiction Matignon… comme celle qui aurait frappé Howard Carter le découvreur de la tombe de Toutankhamon et qui inspira Les 7 boules de cristal à Hergé…

S’installer rue de Varenne reviendrait, à coup sûr, à contracter une forme de maladie gravissime tenant tout à la fois du "coup de blues permanent" (François Fillon) ou de "l’agitation perpétuelle" (Jacques Chirac, une première fois de 1974 à 1976, une seconde après rechute sévère de 1986 à 1988).On en a vu d’autres se prendre pour Dieu quand le seul, le vrai, même mourant (ce qui est ennuyeux pour Dieu, il faut bien l’avouer) était encore à l’Elysée (Balladur, 1993-1995). D’autres encore s’imaginer en bardes poètes courant à moitié nu sur la place de La Baule (Villepin, 2005-2007).

Dans cette nosographie particulière on aura une pensée spéciale pour celui qui parlait une langue étrange et totalement incompréhensible du commun des mortels français (Rocard, 1988-1991), pour celle qui dégringola plus vite encore que n’importe lequel de ses mâles prédécesseurs et successeurs (Cresson, 1991-1992), et, in fine, pour celui qui "emmerdait la terre entière avec son aéroport" comme le lui a fort aimablement dit un de ses ministres coutumier de ce genre de saillie verbale (Ayrault, 2012-2014).

Manuel Valls a répondu à Laurent Delahousse qui l’interrogeait sur ce fameux "enfer" que serait Matignon, qu’il ne se sentait pas du tout en enfer et, qu’à l’inverse, « il servait son pays, chose rare ! ». « Je me sens libre. Je ne suis pas entravé »…  Autre manière de souligner que « lui c’est lui et moi c’est moi »… A propos de cette phrase qui a fait beaucoup parler, Laurent Fabius qui la prononça en septembre 1984, en étant Premier ministre invité de l’émission « L’Heure de vérité » (grosse audience dans les années 80), a raconté bien plus tard, à Raphaël Bacqué justement, le « making of » de cette formule : « Quelques jours avant l’émission, je vais voir François Mitterrand pour en discuter avec lui. « Voilà président, lui dis-je, j’ai réfléchi en particulier à une question que l’on ne manquera pas de me poser puisqu’elle est sans cesse abordée dans la presse : est-ce que le Premier ministre a vraiment une existence autonome où est-ce que c’est simplement le directeur de cabinet du président ? ».

Pour bien comprendre, il faut se rappeler qu’avant mai 1981 Laurent Fabius était effectivement le directeur de cabinet du premier secrétaire du Parti Socialiste… François Mitterrand. Et Fabius de poursuivre la relation de son échange avec le président de la République : « Vous m’avez dire qu’il fallait que je m’affirme… ». Réponse du Sphinx présidentiel : « Mais oui, vous avez tout à fait raison et il faut que l’on trouve une formule pour que cette affirmation soit claire ». Laurent Fabius terminant alors son récit ajoute : « Il était assis à son bureau, j’étais de l’autre côté, nous discutons et la formule « lui c’est lui, moi c’est moi » naît de notre conversation. Mitterrand opine du chef : « C’est très bien, très bien »…

Est-ce que François Hollande et Manuel Valls sont des adeptes du « lui c’est lui, moi c’est moi » ? A l’évidence les derniers propos du Premier ministre penchent plus vers une « relation fusionnelle » que vers l’écriture d’une petite musique originale et différente de la partition du locataire de l’Elysée. Qu’on en juge : « Nous discutons beaucoup avec le président de la République. (…). Loyauté, confiance (…) Je suis en tandem avec le président de la République (…). Nous décidons ensemble ». L’ancien directeur de la communication du candidat Hollande à la présidentielle, Manuel Valls, ne semble pas habité par la même préoccupation que son actuel ministre des Affaire étrangères, hôte de Matignon, il y a 30 ans.

Pourquoi Manuel Valls n’a-t-il pas cherché à se différencier du chef de l’Etat ? 

Trois explications sont possibles. La première relève de la loyauté raisonnée : tels « Pincemi » et « Pincemoi » dans un bateau, si  Pincemi-Manuel se met à faire tanguer la barque de la dyarchie au sommet de l’Etat (dont la ligne de flottaison est assez basse, il faut le rappeler) il est clair qu’il tombera alors à l’eau en premier et se fera… pincer par Pincemoi-François qui sera resté, momentanément, à flot.

La deuxième explication est plus de l’ordre d’une forme de « pari pascalien » : puisqu’il existe une infime probabilité pour que la victoire se profile à l’horizon 2017 (tout comme les existences de Dieu et de son paradis ne sont pas garanties…) autant parier sur son avènement et en profiter pleinement, en tant que co-vainqueur avec le PR (comprendre « Président de la République »). C’est un pari mais c’est aussi un défi. Il s’agit-là d’ailleurs de la troisième explication possible…

Un défi aux lois de la pesanteur politique d’abord qui veulent que quand on chute longuement, on s’écrase plus sûrement qu’on ne remonte en chandelle. Avec ce mystère commun au Phénix, à Super-Mario et aux carrières politiques : ce n’est pas parce qu’on s’est crashé qu’on meurt… On peut repartir avec une « nouvelle vie ». 

Mais dans le mot défi, il y a un autre sens. Celui qui consiste à « défier ». Autrement dit, littéralement, « aviser que l’on renonce à la foi jurée ». Défier signifie ainsi « provoquer », « lancer un défi » ou « mettre au défi ». D’une certaine façon, Manuel Valls a rappelé au président de la République, de manière plus que subliminale, le message que celui-ci lui avait adressé le 14 juillet 2014 dans son entretien avec les journalistes lors de la Fête national : « Entre le chef du gouvernement et moi il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. Si j’ai choisi Manuel Valls c’est parce qu’il met de la rapidité, de l’organisation et aussi de la rapidité ».

Manuel Valls a rappelé ce soir qu’il était le meilleur (sous-entendu de son point de vue évidemment « le seul ») atout existant encore dans le jeu de François Hollande.  Se permettant même, dans cette fidélité proclamée et revendiquée d’indiquer très clairement son opposition absolue à l’introduction d’une proportionnelle intégrale pour l’élection des députés (sur le modèle de la réforme adoptée à l’initiative de François Mitterrand qui avait provoqué la démission de Michel Rocard du gouvernement en 1985) : « L’introduction de la proportionnelle, c’est une des propositions du candidat François Hollande. C’est à lui de décider. Mais une proportionnelle intégrale, je ne veux pas prendre cette responsabilité-là. Cela reviendrait à faire entrer 150 députés Front National à l’Assemblée »… Loyal oui, mais pas jusqu’à se perdre… Et puis le défi au chef de l’Etat c’est aussi « essaies donc de me virer si tu l’oses… tu te feras plus de mal qu’à moi… et dans ton état, manquerait plus que ça ».

Peut-on parler de "Cohabitation froide" ?

Ainsi va, cahin-caha, le char de l’Etat en période de « cohabitation froide » entre un président de la République et un Premier ministre du même « bord politique ». Dans l’ouvrage de Raphaëlle Bacqué cité plus haut, Michel Rocard qui n’a jamais fait mystère des relations exécrables qu’il entretenait avec François Mitterrand, pendant les trois années qu’il résida rue de Varenne, raconte : « Il (François Mitterrand) avait d’ailleurs dit à Ambroise Roux - grand patron de l’époque – qui est venu me le raconter après ma démission : « Je vais le nommer puisque les Français semblent en vouloir. Mais ils ne se rendent pas compte… Vous verrez, au bout de dix-huit mois, on verra au travers ». Et Rocard de conclure ce rappel des propos de Mitterrand, en commentaire à Raphaëlle Bacqué : « Phrase élégante »…  

Le président de la République est toujours tenté de considérer son Premier ministre comme un rempart, un bouclier, un fusible. Dans tous les cas, l’objet en question prend des coups, reçoit des chocs électriques et devient vite le « Monsieur Malaussen » de service.  Mais il arrive parfois que le Premier ministre, pour des questions de circonstances, sauve directement la mise au Président. Tel fut le cas de Georges Pompidou lors de la crise de mai 1968. Vainqueur des législatives qui suivirent en juin, le titulaire du fauteuil de Matignon depuis avril 1962 le paya cash : de Gaulle le plaça d’autorité « en réserve de la République » et confia la « primature » à son fidèle Couve de Murville.

Si Valls apparait comme le sauveur de Hollande, pas certain que celui-ci lui en soit gré. Raison pour laquelle, entre loyauté et défi, le Premier ministre joue habilement dans les deux octaves… Son épouse appréciera. « Je suis là jusqu’en 2017 » a dit Manuel Valls se faisant un devoir de tordre la rumeur qui circule d’un départ anticipé… L’ennui c’est qu’en dehors de Jacques Chirac à l’été 1976, un Premier ministre ne décide pas de son sort sous la Vème République.Il a des envies, mais c’est le Président qui conclue…  En d’autres termes : le principe de plaisir éventuellement revendiqué par le locataire de Matignon se heurte au principe de réalité toujours présent, en dernière instance, chez l’hôte de l’Elysée.

Cela n’aura pas empêché un dernier salut de l’artiste Premier ministre avant de quitter le plateau télévisé : « Je sais que c’est en moi-même que je réussirai »… Mais là on n’a pas su si le Premier ministre parlait de Matignon et de son enfer ou de l’Elysée et de son paradis…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !