“Hollande, c’est fini” : maintenant que l’idée s’installe ouvertement à gauche, qu’est-ce que ça change pour la fin du quinquennat ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La question commence à se poser même dans son camp : Hollande verra-t-il la fin de son quinquennat ?
La question commence à se poser même dans son camp : Hollande verra-t-il la fin de son quinquennat ?
©REUTERS/Regis Duvignau

Au revoir Président

C'était une des rengaines d'une partie de la droite depuis des mois : François Hollande ne pourra pas finir son mandat. Mais vendredi, dans une interview au Parisien Magazine, c'est une socialiste -de surcroît, ancienne ministre- qui le dit: "François Hollande, c'est fini".

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Dans une interview au Parisien Magazine publiée vendredi, la députée socialiste et ancienne ministre de l’Ecologie Delphine Batho déclare notamment que « François Hollande, c’est fini ». La fin du quinquennat est-elle d'ores et déjà actée jusque dans les rangs de la gauche ?

Jean Petaux : Compte tenu de la personnalité de Delphine Batho, du contentieux personnel qu’elle a eu avec le président de la République et le premier ministre Ayrault  (elle a été la première ministre démissionnée d’office  du gouvernement Ayrault pour cause de dérapage médiatique incontrôlé….), on peut estimer que sa prise de position au « Parisien Magazine » est fortement marquée par sa propre histoire. Au-delà de ça il est vrai qu’elle n’est pas la première au PS à laisser entendre que François Hollande ne pourra se représenter en 2017. Peut-on considérer pour autant que tout le PS partage sa position ? Je ne le crois pas. Il est bien trop prématuré pour condamner ainsi François Hollande. Son score dans les sondages atteint des profondeurs abyssales selon la formule consacrée mais les scores de ses autres éventuels concurrents au PS ne sont pas bien meilleurs. Il y a d’ailleurs une forte probabilité pour qu’aucune personnalité politique socialiste n’échappe au naufrage du PS en 2017 si naufrage il doit y avoir. Le seul qui, jusqu’à maintenant, semblait résister au fort vent anti-PS était Manuel Valls, il est en train de « rentrer dans le rang » désormais même s’il conserve un certain avantage sur l’ensemble de ses camarades.

Pour reprendre et compléter la formule de Delphine Batho, il aurait sans doute été plus exact alors de dire : « Le PS c’est fini ». Mais là encore cette « prédiction » me semble plus qu’aléatoire, du fait d’une impossibilité évidente à estimer ce qui peut advenir dans les 30 prochains mois ; du fait d’une incertitude tout à fait normal sur l’état de la droite dans ce même laps de temps et du fait surtout que François Hollande lui-même n’a sans doute absolument pas renoncé à se représenter. Trois raisons, parmi d’autres, pour considérer  ici que l’horizon 2017 n’est pas forcément encore dessiné, même dans ses grandes lignes. Il n’en demeure pas moins vrai qu’hormis la situation très particulière de la présidence Pompidou où, à partir de l’été 1973, de manière d’ailleurs parfaitement indécente, une partie du personnel politique de droite et de gauche évoquait, sans se cacher, la mort prématurée de Georges Pompidou et donc des élections présidentielles anticipées (il décéda le 2 avril 1974 et les élections eurent lieu les 5 et 19 mai), c’est la première fois, à ma connaissance, qu’en présence du président en place, des éléments de son propre camp s’interrogent ouvertement sur « l’après »… Sous François Mitterrand en 1994-1995 la question se posa naturellement parce qu’il était clair que le président de la République ne repartirait pas pour un troisième septennat ; sous Jacques Chirac en 2005-2006 la situation était la même. En revanche pour Giscard en 1979 et Sarkozy en 2010, à deux ans de la fin de leur mandat, nul ne songeait dans leur propre parti à contester leur « droit » quasi-automatique, à leur propre succession. Même dans la situation de « premier président de cohabitation » à l’été 1986, personne au PS n’osa imaginer que François Mitterrand ne pourrait se représenter en 1988. Même moqué tous les soirs à la télé par les « Guignols », Jacques Chirac revêtu de la tunique de « Super-menteur » en 2000, ne fut lui aussi remis en cause à droite pour une candidature à un second mandat. C’est dire combien François Hollande est désormais fragilisé jusque dans son propre camp.

Alors que le gouvernement ne veut plus affronter les blocages en raison de son impopularité, comme l’illustre l’abandon de l’écotaxe après une simple menace de grève, ou encore le revirement de Manuel Valls sur la GPA, est-on désormais entré dans une phase d’immobilisme à deux ans de la probable primaire socialiste ? Quelles en seront les conséquences  concrètes pour le pays ? Fait-il tirer un trait sur les réformes ?

C’est une hypothèse possible en effet. François Hollande et Manuel Valls font peut-être l’analyse (pour des raisons différentes d’ailleurs liées à leur statut lui-même différent) que le pays est au bord de l’explosion sociale et donc politique. Je pense qu’ils n’ont pas forcément tort et il n’y a rien là d’ailleurs de surprenant tant la crise de confiance semble désormais profonde. Pour reprendre une phraséologie qu’on n’entend plus beaucoup mais dont le « bruit » est sans doute assez puissant dans la tête de nombre de leaders politiques, économiques, voire syndicaux : « les conditions objectives d’une crise sociétale majeure sont réunies ». A partir de là on ne va pas reprocher au président de la République de ne pas souffler sur les braises pour que démarre une sorte de « grand incendie ». Que ne dirait-on si tel était le cas ? En revanche il est clair qu’une fois de plus un certain nombre de réformes structurelles, forcément douloureuses, forcément problématiques et forcément synonymes d’oppositions conjoncturelles plus ou moins fortes, vont être encore différées. Une fois de plus on considérera qu’il est « urgent d’attendre ». Ce type de comportement n’est en rien nouveau d’ailleurs. Où sont les réformes de structure de Nicolas Sarkozy, celles qui auraient du faire mal, à partir de la rentrée 2009 ? Où sont-elles même depuis son élection en 2007 ? J’entends par là des mesures comparables, du point de vue du coût et du risque politique pris par leur auteur, à celles que Gerhard Schröder a fait adopter en Allemagne dans les années 2002-2003 et qui lui ont coûté la chancellerie en 2005 ? Sarkozy pas plus que ses prédécesseurs ou son successeur n’ont mis en chantier des réformes structurelles profondes à partir du milieu de leur mandat présidentiel. C’est une sorte de loi non écrite. Il s’ensuit une longue période d’immobilisme pour le pays, tellement « scotché » d’ailleurs qu’il parvient à peine à redémarrer une fois l’élection présidentielle suivante advenue.

Mais j’ajouterai une dimension en rapport avec la question précédente. Si François Hollande avait perdu tout espoir de se représenter, s’il n’avait pas une ou deux chances sur dix encore pour être candidat à sa propre succession, en 2017, il adopterait une posture de « desperado » ou de « kamikaze » qui ferait qu’il n’aurait plus rien à perdre et qu’il pourrait se lancer dans une démarche extrêmement volontariste et dynamique sans être pusillanime. En conséquence de quoi, comme ce n’est pas ce qu’il fait (du moins pas encore) j’y vois la preuve qu’il ménage son propre avenir. Ce qui vaut pour François Hollande me semble, bien évidemment, valoir bien plus nettement encore pour son premier ministre Manuel Valls.

Dans ce contexte, un départ prématuré de Manuel Valls est-il inéluctable ? Quel pourrait être son calendrier ?

On a vu à la fin de l’été 2014 que tout est toujours possible en matière de vie gouvernementale. Donc naturellement qu’un départ prématuré de Valls de l’hôtel de Matignon est possible. De là à dire qu’il est « inéluctable » je ne m’y risquerais pas. Sur quelle base pourrait-il avoir lieu ? Sur un  « limogeage » décidé par le président de la République ? Ce serait stupide : François Hollande a intérêt à garder Manuel Valls comme premier ministre le plus longtemps possible ne serait-ce que pour le « brûler » le plus possible et éviter ainsi qu’il ne se pose en rival (un de plus) en 2016-2017. Sur une « motion de censure » votée à l’Assemblée nationale par une majorité de « frondeurs » ? Ceux-ci ont montré leur grand courage politique et l’attachement profond qu’ils portent à leur mandat de députés il y a quelques semaines en exposant leur opposition forte à la politique gouvernementale par un geste tout aussi fort…. : l’abstention (sourires….). Donc il y a peu à attendre de ce côté-là. Reste la « démission » du premier ministre lui-même : modèle Jacques Chirac été 1976 : « Je ne dispose pas des moyens nécessaires à l’accomplissement de ma mission ». Mais là encore ce qui a pu valoir dans une opposition frontale entre le président de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing et son premier ministre (qui avait plus que contribué à le faire élire deux ans plus tôt…) n’est absolument pas transposable en 2014. Je vois donc mal Manuel Valls claquer la porte du gouvernement dans un avenir proche. Mais plus il attendra plus il aura du mal à se différencier du président Hollande. Regardez combien il est difficile aujourd’hui pour François Fillon, premier ministre de Nicolas Sarkozy pendant cinq années de faire admettre aux Français que « lui ce fut lui et moi c’est moi »…

Quel destin pour Ségolène Royal qui avec l'abandon de l'écotaxe s'inscrit dans l'immobilisme hollandais ?

Le destin de quelqu’un qui croit en son destin… Et c’est déjà quelque chose d’essentiel, j’allais dire une « condition nécessaire », pour réussir en politique. Mais, pour autant, la propre trajectoire politique de Ségolène Royal montre que ce n’est pas une « condition suffisante ». Si elle devait devenir un jour premier ministre, à la suite de Manuel Valls, j’ai peur que le ridicule ne menace la France. Parce qu’on n’était loin d’imaginer en 1959 que le général de Gaulle aurait des enfants avec Michel Debré ou que Georges Pompidou puisse en avoir avec Pierre Messmer… Quant à des enfants fruit d’une union féconde entre François Mitterrand et Michel Rocard, on comprend bien l’impossibilité manifeste d’un tel événement… La rumeur a pu prêter une relation proche entre François Mitterrand et Edith Cresson, mais ce ne fut qu’une rumeur de plus à ce moment-là. Si Ségolène Royal était nommée à l’hôtel de Matignon, la formule assassine de Laurent Fabius lors de la primaire de 2006, à l’adresse de Ségolène Royal (qui lui coûta fort cher d’ailleurs) : « Mais qui va garder les enfants ? » ne pourrait être reformulée pour une seule et unique raison c’est que les enfants du président de la République (Hollande) et de son premier ministre éventuel (Royal) auraient passé l’âge d’être gardés… Plus sérieusement, Ségolène Royal pourrait-elle être candidate par exemple à la primaire socialiste de l’automne 2016 (si tant est qu’il y en ait une) contre François Hollande (si tant est qu’il s’y présente) ou contre d’autres de ses camarades ? Sur le papier bien sûr que « oui ». Dans les faits  cela ferait sa troisième candidature aux primaires… Pas certain qu’elle en ait elle-même envie… Parce qu’elle risque, une fois de plus, dans le cadre d’une primaire ouverte, de connaître le sort qui fut le sien en 2011. Sûr qu’elle n’a pas envie de revivre cet épisode de nouveau par contre.

Quelle réaction peut-on attendre des autres ténors socialistes qui rêvent de la course à l'Elysée ? Avec quelles conséquences sur la majorité et sur le parti ?

Au cas par cas les réactions diffèrent naturellement. Montebourg va s’agiter sur les plateaux de télé, dans les meetings du PS, dans les rencontres et colloques divers et variés. Il va cultiver un peu plus sa posture de « Tartarin de chef-lieu de canton ». Le sort de Mélenchon le guette sans doute plus qu’il ne le craint…  Hamon va redevenir le parfait apparatchik qu’il a toujours été et va s’employer avec forces manœuvres et louvoiements (plus une stratégie de nouvelles adhésions militantes bien « ciblées ») de prendre le contrôle de Solférino et de liquider l’actuel premier secrétaire au prochain congrès national du PS. Ce qui risque de faire une crise de plus que le président Hollande aura bien du mal à gérer… Martine Aubry continuera à mettre ses pas dans ceux de son père, dans un comportement tel que décrit méchamment par François Mitterrand en son temps : « Jacques Delors : il veut bien être président, mais il ne veut pas être candidat ». Elle est partie très tard dans la campagne des primaires de 2006 et elle fut battue. Elle montre un certain dédain pour l’ensemble de la situation politique actuelle. Est-elle un recours possible ? Pas aux côtés de François Hollande sans doute. Contre lui ? Rien n’est moins sûr. Les conséquences de tout cela sur la majorité et sur le parti ? Aucunes dès lors que la majorité, brinquebalante, cahin-caha, ne se fera pas hara-kiri. Quant au Parti Socialiste, il tient plus du théâtre d’ombres aujourd’hui, certes comme tout parti au pouvoir sous la Vème République, que d’une formation politique porteuse d’un projet. S’il y a une chose certaine au moins dans toutes ces accumulations d’incertitudes, c’est bien celle-ci. Le PS ne sera jamais Lazare et ne risque pas de faire comme lui : se réveiller et marcher.

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