Happy Birthday Lizzie : la loyauté inspirée par la Reine à ses sujets est-elle différente de celle inspirée par la République à ses citoyens ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La reine Elizabeth II d'Angleterre fête ce lundi 21 avril ses 88 ans
La reine Elizabeth II d'Angleterre fête ce lundi 21 avril ses 88 ans
©Reuters

Tout est dans le sac à mains

La reine Elizabeth II d'Angleterre fête ce lundi 21 avril ses 88 ans. Après 62 ans de règne, la souveraine est toujours autant appréciée de son peuple. François Hollande, lui, aura mis deux ans pour décevoir une large majorité de Français. Un contraste qui ne tient pas à la nature du régime, mais à la capacité à incarner la nation.

Jacques Charles-Gaffiot

Jacques Charles-Gaffiot

Jacques Charles-Gaffiot est l'auteur de Trônes en majesté, l’Autorité et son symbole (Édition du Cerf), et commissaire de l'exposition Trésors du Saint-Sépulcre. Présents des cours royales européennes qui fut présentée au château de Versailles jusqu’au 14 juillet 2013.

 

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Atlantico : Ce lundi 21 avril, Elizabeth II fête ses 88 ans. Le Président de la République, au même titre que la Reine d'Angleterre, représente son pays, à ceci près qu'il dispose de leviers dans la conduite de l'Etat. Qu'est-ce que cela traduit de l'incarnation de la Nation ?

Jacques Charles-Gaffiot : Si le Président de la République française incarne incontestablement l’Etat, il n’est pas certain que François Hollande (comme un grand nombre de ses prédécesseurs) apparaisse comme le meilleur représentant de la Nation, concept au caractère intemporel, dépassant très largement le seul exercice du pouvoir. Le suffrage universel, qui aurait pu faire émerger de la masse des citoyens français le candidat le plus idoine pour les représenter, n’a pas réussi à octroyer à ce primus inter pares l’auréole faisant de lui non seulement l’arbitre veillant sur les destinées du pays mais également le médiateur pondéré permettant de conjuguer le passé, le présent et l’avenir à l’abri des angoissantes convulsions ressenties sporadiquement au sein du corps social.

De plus, depuis deux ans, l’actualité vient régulièrement ébranler la stature de l’actuel chef de l’Etat. Dépourvu de l’autorité naturelle émanant par principe de la fonction présidentielle, l’hôte contemporain de l’Elysée connaît la cote de popularité la plus médiocre jamais enregistrée jusqu’à nos jours. Sur ce point, son nouveau Premier ministre ne lui est guère d’un grand secours. A diverses reprises, notamment lors des défilés de la Manif pour tous avec son corollaire portant sur le traitement de la présence des veilleurs dans l’espace public, Manuel Vals s’est montré certes autoritaire mais dépourvu d’autorité, cette ascendance spontanée permettant l’instauration d’un consensus général. Ces deux personnages politiques se sont butés sur le même écueil (et ils ne sont pas les seuls), celui du mensonge. L’un et l’autre ont pensé être suffisamment habiles pour faire accroire aux Français quelques contre-vérités, à commencer par la fiction de la « présidence normale » ou encore, par exemple pour le second, la honte d’avoir fait réduire des deux tiers les estimations du nombre de manifestants anti mariages gay sur le pavé parisien, tromperie suivie de répressions abusives perpétrées à leur encontre.

La considération (quasi unanime) dont jouit Sa Majesté, la reine Elisabeth II, se place aux antipodes de semblables tripatouillages qui, toujours à plus ou moins long terme, discréditent à la fois les hommes et la fonction, ce qui apparaît plus dommageable. D’une façon des plus factuelles, soulignons tout d’abord la longévité de ce règne établissant une pérenne stabilité au royaume tout entier. La souveraine britannique, qui a promis au peuple anglais de le servir jusqu’à son dernier souffle, a connu René Coty ainsi que tous les présidents de la Ve République. Gageons qu’elle aura même probablement l’occasion de rencontrer le successeur de François Hollande ! Depuis 1952, date de son avènement, avec dignité, abnégation et une volonté sans faille, elle s’est efforcé de travailler pour consolider le bien commun. Elisabeth II reste fidèle à la promesse énoncée voici 62 ans et, sans doute plus d’une fois durant toutes ces années, aura-t-elle du savoir renoncer à ce qui lui tenait le plus à cœur pour effectuer « son métier de roi » pour reprendre la belle expression de Louis XIV (car il n’y a que nous, Français, qui considérons l’image des souverains sous l’angle de celui chimérique des « rois fainéants » ; l’école républicaine à la Vincent Peillon oblige !). Vivant en retrait, et le plus possible en dehors du tourbillon pernicieux des sphères médiatiques, la reine assume les hautes fonctions dont elle a hérité sans qu’il puisse être pensable que des paparazzi viennent un jour la surprendre nuitamment chevauchant un scooter, la tête dissimulée sous un casque, pour quitter en tout incognito sa résidence de Buckingham !

La Reine d'Angleterre est-elle simplement un symbole, comme on l'entend souvent ?

Plus que la réalité, les symboles façonnent davantage notre vie quotidienne. Ils traduisent nos aspirations les plus profondes et leur sélection annonce durablement nos orientations. Une mode à deux sous, venue une fois encore d’Amérique du Nord, entraîne depuis quelques mois les amoureux sur les ponts de notre capitale pour y attacher cadenas et antivols avant d’en jeter la clé dans les eaux de la Seine. Cette singulière vision "cadenacée" de l’amour entre deux êtres, ne saurait conduire bien loin et les protagonistes de ces piètres serments se libéreront sans doute de leurs chaînes sentimentales aussi vite qu’ils auront voulu les river durablement par un geste aussi antinomique sur les parapets des ponts de Paris.

La reine d’Angleterre est donc certes un symbole. Mais toute l’organisation sociale et politique du Royaume-Uni réside dans ce symbole. Ainsi, Elisabeth II ne figure pas seulement au sommet de la hiérarchie, mais son empire s’applique de façon anodine dans tous les rouages de la société. La souveraine ne cherche jamais à s’imposer mais elle sait se faire accepter partout. Placée au-dessus de la réunion de toutes les prétentions personnelles de ses sujets, elle se tient en véritable arbitre, apanage qui n’est ni celui d’un ancien chef de parti politique, d’un compétiteur à la probité douteuse, d’un démagogue à succès, d’un Tartuffe ou d’un glaçant idéologue. Par ailleurs, sans vouloir prétendre que la vie des cours ressemble à celle des bisounours, le principe héréditaire conduisant aux marches du trône garantit un moindre degré de compétition dans la course au pouvoir. Ce mode de dévolution permet au futur souverain d’être préparé dès sa plus tendre enfance à l’exercice de l’autorité, de mesurer jour après jour les obligations qui en découlent en apprenant davantage à savoir renoncer à sa propre volonté que de jouir des fastes du pouvoir. Mander à l’Elysée ou à Matignon, comme l’actualité française vient de nous l’apprendre, un cireur de luxe pour entretenir 30 paires de chaussures de marque est un comportement de frais bourgeois glouton, nouvellement installé dans les ors de l’Ancien régime, dévorant compulsivement avantages et prébendes.

Si toute la différence entre un roi et un édile réside dans l'arbitrage qu'un monarque peut apporter, ne faut-il pas voir la constitution de 1958 comme, un tant soit peu, monarchique ? Le Conseil constitutionnel ne fait-il pas office d'arbitre ?

Cette idée a effectivement déjà été avancée par un ancien tribun du Barreau de Paris, le regretté Jean-Marc Varraut, dans une communication faite en 1993 au cours du colloque sur la souveraineté organisé, à l’occasion du bicentenaire de la mort de Louis XVI, par le professeur de droit constitutionnel Claude Goyard, enseignant à l’université Panthéon-Assas. Par nature, générale et parfaite, puisqu’elle est l’expression de la volonté populaire énoncée par ses représentants, la loi est, dans une société démocratique, la norme supérieure absolue devant par conséquent impérativement s’appliquer. Toutefois, la constitution de 1958 estime devoir soumettre le travail du législateur à des canons plus élevés encore, faisant référence à des principes supérieurs intangibles renvoyant à l’esprit de la Constitution et à celui des préambules auxquels elle se rattache. Cette limitation des compétences législatives renvoie en quelque sorte au rôle d’arbitrage exercé autrefois par le souverain qui avait « en son conseil » entendu tous les avis.

Un roi dispose de bien plus de stabilité qu'un édile, en cela qu'il n'a pas de comptes à rendre. C'est, en un sens, un avantage non-négligeable, mais cela peut-il également représenter un danger ? S'agit-il d'une épée à double tranchant ?

L’idée qu’un souverain n’a de comptes à rendre à personne est également une fable entretenue par nos livres d’histoire ou par des doctrines de philosophie politique de comptoir. Elisabeth II, non seulement en sa qualité de souveraine mais aussi en celle de chef de l’Eglise anglicane, a tout d’abord des comptes à rendre à sa conscience, ce vers enfoui au creux de la pomme et qui finit par en dévorer toute la chair. La France qui, sans rire, se veut toujours l’arbitre des nations et qui prétend réinventer toutes les valeurs au gré des commandements dictés par le communautarisme ou de ceux exigés par des organismes de pression aura du mal à comprendre la force de cette limite. Tous les jours et depuis longtemps nos élus nous offrent le spectacle d’une conscience élastique dont la discipline varie, hélas, au gré de leurs seuls intérêts personnels.

Indépendamment de la conscience de son titulaire, le pouvoir du souverain n’est pas sans mesure. Pour se limiter à la pensée occidentale, saint Thomas enseigne par exemple, au XIIIe siècle (500 ans avant Voltaire et Rousseau) dans la Somme que la destitution du monarque peut être parfaitement légitime si ce dernier outrepasse par trop les pouvoirs qui lui ont été donnés ou s’il se détache par trop de la poursuite du Bien qui se confond avec celui de la société.

La France pourrait-elle être gérée par un Roi ? On parle parfois des Français comme de gens paradoxaux, révolutionnaires, mais également nostalgiques du faste royal. Qu'en est-il vraiment ?

Pour ma part, j’ai toujours considéré que couper la tête à quelqu’un est un geste définitif. L’exécution de Louis XVI ne fut pas seulement un régicide mais aussi un parricide, tant les rois de France ont été reçus comme de véritables pères du peuple. Le retour de la monarchie me paraît donc peu probable. Toutefois, la vérité ne peut pas être altérée par le mensonge. Les Français ressentent donc de temps à autre, un peu confusément, la grandeur et l’utilité du système monarchique. Mais depuis l’avènement de la philosophie des Lumières, l’esprit français qui jusqu’alors fonctionnait sur un mode ternaire, accordant précisément à la conscience de chaque individu la capacité de pouvoir trancher des avis contradictoires, s’est progressivement édifié sur un mode binaire, c’est à dire celui de l’affrontement et dont le moteur est l’idéologie. La bien-pensance est aujourd’hui une véritable dictature exercées sur les esprits et les consciences et ses grands prêtres, auto proclamés, fulminent à la télévision et dans tous les médias condamnations, déchéances, bannissements à un rythme que les antiques tyrans de Syracuse auraient du mal à suivre !
"Brûle ce que tu as adoré et adore ce que tu as brûlé" demandait Clotilde à son époux de Clovis sans doute mal dégrossi. Voilà une révolution copernicienne qui hante parfois les Français. Mais, ô inconscient, que n’ai-je pas dit là ?

Le fait que la nation soit incarnée par une personne et non pas par un concept (République), a-t-il une influence sur notre loyauté ?

Je ne crois pas. C'est, à mon sens, le même principe de loyauté que l'on retrouve vis à vis d'un souverain ou d'un Président élu, si tant est que celui-ci représente bien la Nation qui l'a fait ce qu'il est. A partir du moment où il exerce dignement les fonctions de dirigeant, je pense que l'on fait face à une même loyauté, qu'il s'agisse d'un Roi ou d'un édile.


Propos recueillis par Vincent Nahan

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