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 Guerre commerciale : et si le Parlement européen était en train de (doucement ) sortir de son état de naïveté  ?
©FREDERICK FLORIN / AFP

Europe déniaisée

Réuni en session à Strasbourg cette semaine, le Parlement européen a choisi de valider la mise en place d'un moyen de contrôle des investissements étrangers dans l'Union européenne, ceci dans un contexte marqué par l'affaire Huawei.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : L'Union européenne serait-elle en train de changer d'approche concernant les investissements étrangers, faut-il y voir une remise en cause d'une certaine naïveté européenne sur cette question au cours de ces dernières années ?

Florent Parmentier : Le Parlement européen est obligé de tenir compte du poids des opinions publiques, qui peuvent voir d'un œil défavorable les investissements étrangers au sein de l'Union européenne, plus spécifiquement dans les secteurs stratégiques. Après tout, si les États-membres s'accordent sur leur méfiance envers le renseignement économique chinois, leur perméabilité aux investissements étrangers constitue un défi sans doute au moins équivalent.

Mais, au juste, qu'est-ce que l'affaire Huawei, du nom de cette entreprise chinoise de télécommunication dont l'ambition consiste à répandre la 5G partout sur le continent ? Pour les pouvoirs publics français, la méfiance est de mise, les députés de la majorité ayant voté le 20 février une proposition de loi à l’Assemblée nationale « visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles ». Il est indéniable que cette entreprise fondée par un ancien cadre de l'armée n'aurait pas pu se développer sur le soutien de l'État chinois ainsi que des banques publiques. L'entreprise compte aujourd'hui 180000 employés dans 170 pays. Aux Etats-Unis, cette entreprise est soupçonnée de vouloir nuire aux démocraties aux Etats-Unis et en Europe.

Les Européens ont-ils fini avec une forme de naïveté ? Il est vrai que certaines prises de position n'étaient pas forcément envisageables il y a seulement quelques mois. Cette timide prise de conscience, sachant que plusieurs États membres avaient déjà prévu des mesures réglementaires pour limiter les investissements étrangers au sein des économies nationales, est plus que bienvenue. En réalité, le texte du Parlement européen permet surtout de combler les manques des pays qui n'étaient pas déjà doté d'une telle législation. Certains Etats-membres ont néanmoins accueilli avec une certaine méfiance ce texte, qu'il s'agisse de pays du Nord, de la Bulgarie, de la Grèce ou encore de la Roumanie qui ont accueilli avec soulagement les investissements étrangers chinois au moment où les capitaux venaient à manquer.

Quelles seraient les méthodes les plus efficaces de contrôle concernant les investissements étrangers ? Le dispositif prévu par le Parlement européen est-il suffisant dans ce cadre ?

Le Parlement européen entend encadrer les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques afin d'éviter que les partenaires chinois ne fassent main basse sur les technologies européennes. Ces secteurs stratégiques sont compris de manière large : énergie, transport, données, espace ou encore finance ; parmi les technologies considérées comme cruciales pour l’avenir de l’Europe, on compte les semi-conducteurs, l'intelligence artificielle ainsi que la robotique. La santé, l'eau, la défense, les médias, les biotechnologies et la sécurité alimentaire ont été rajoutés à la liste de ces priorités par les négociateurs du Parlement européen.

De fait, le consensus était assez large lors du vote du 14 février dernier :  ce sont 500 pour qui s'en sont exprimées, 49 contre et 56 abstentions. Cet acte tend à accréditer l'idée selon laquelle l'Europe protège. Il est d'ailleurs paradoxal de noter que la France, connue pour sa tradition étatiste, a été soutenue sur ce point non seulement par son partenaire allemand, mais également par l'Italie avec laquelle Paris est en froid depuis plusieurs mois.

Le dispositif prévu dans la cadre européen peut et doit être complété dans le cadre national ; la France, via Bercy, détient par exemple un véto sur les capitaux étrangers.

N'assiste-t-on pas à un véritable changement d'approche au niveau international sur la question du libre-échange, reposant sur une prise de conscience nouvelle des rivalités internationales ?  

En effet, on peut avancer que nous assistons à une véritable remise en cause du libre-échange tel que nous l'avons connu au cours des années 1990. Il est vrai qu'un certain nombre de faits plaident pour une approche renouvelée des questions de libre-échange, avec une approche qui passe de plus en plus, dans le cas européen, du multilatéralisme au bilatéralisme.

Le Medef français souhaiterait que l'Union travaille à faire émerger des champions nationaux pour concurrencer les États-Unis, qui n'hésitent pas à recourir à des mesures protectionnistes, ainsi que de la Chine, qui impose des barrières administratives. Dans cette veine, Geoffroy Roux de Bézieux n'hésite pas à déclarer : « on ne souhaite pas être ceux qui stimulent cette guerre commerciale, mais il faut qu'on soit dans un système de réciprocité équilibrée ».

La position française est loin d'être isolée en Europe, puisque les partenaires allemands ont par exemple regretté la décision de la Commission européenne de rejeter la fusion Alstom-Siemens en raison des risques de monopole engendrés sur plusieurs segments du marché ferroviaire en Europe. Ainsi la fédération allemande de l'Industrie (BDI) a publié récemment un rapport enjoignant Berlin et Bruxelles de renforcer la politique européenne face à Pékin.

En tout état de cause, si le Parlement semble avoir pris conscience du fait que la surveillance doit se faire à niveau européen. Une question demeure : qu’en sera-t-il au sein du nouveau Parlement issu des élections de mai prochain ?

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