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Et selon vous, Thomas Guénolé, quelle est la plus grosse connerie de l’année ?
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Le meilleur du pire

Aujourd'hui, c'est au gouvernement que revient la palme de la connerie pour sa décision de refuser à l'avion du président bolivien Morales l'autorisation de survoler le territoire français. Cinquième épisode de notre série...

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Son dernier livre, Islamopsychose, est paru aux éditions Fayard. 

Pour en savoir plus, visitez son site Internet : thomas-guenole.fr

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J'ai été invité par Atlantico à désigner la plus grosse bourde du gouvernement actuel en un peu plus d’un an d’exercice du pouvoir. J’ai tout de suite trouvé l’idée amusante : en pleine trêve estivale, pointer du doigt la plus grande maladresse connue à ce jour de l’équipe de Jean-Marc Ayrault avait quelque chose de tentant.

Cependant, une fois au pied du mur, l’exercice s’est avéré bien plus délicat que prévu. Il est en effet très, très, très difficile de définir la plus grosse bourde d’un gouvernement, quel qu’il soit, sur une période donnée, quelle qu’elle soit. Car cela suppose d’éviter un immense écueil : considérer une action du gouvernement comme une erreur pure et simple, alors qu’en réalité, l’on est en désaccord avec cette mesure qu’en raison de ses propres croyances politiques.

Par exemple, pour un analyste politique qui est de droite libérale, il sera tentant de désigner l’augmentation massive des impôts comme la plus grosse erreur du gouvernement sur les douze derniers mois écoulés. Cet analyste estimera qu’il fallait couper lourdement dans les dépenses publiques au lieu d’utiliser à ce point le levier fiscal. Cependant, en situation de surendettement public, arbitrer entre l’augmentation des recettes et la réduction des dépenses est en réalité un pur choix de préférence idéologique : la droite libérale préfèrera toujours l’austérité, la gauche social-démocrate préfèrera toujours l’impôt.

Autre exemple, pour un analyste qui est de gauche marxiste, il sera tentant de désigner le fait d’avoir laissé fermer usine sur usine, en particulier Gandrange, comme la plus grosse erreur du gouvernement sur les douze derniers mois écoulés. Cet analyste estimera qu’il fallait soit nationaliser à titre provisoire – c’est la tendance Montebourg –, soit nationaliser durablement ou subventionner la reprise des usines par leurs ouvriers en coopérative : c’est la tendance Mélenchon. Cependant, face à la fermeture d’une usine, choisir de laisser faire le jeu du libéralisme économique ou de nationaliser, c’est une fois encore un pur choix de préférence idéologique : la gauche social-démocrate préfèrera toujours laisser faire, la gauche marxiste préfèrera toujours nationaliser.

Ayant chanté tout l’été, je me trouvai donc fort dépourvu, quand l’heure de choisir la bourde fut venue. Pour ne pas tomber dans le travers de préjugé idéologique que je venais d’identifier, il me fallait dénicher une perle rare : la véritable et authentique bourde pure. Il s’agissait bel et bien d’identifier une décision du gouvernement Ayrault qui ait constitué, quelle que soit l’idéologie du point de vue de laquelle on se place, une erreur mélangeant maladresse, grossièreté et amateurisme.

C’est alors que le président bolivien Morales vint à mon secours : non pas sur son cheval blanc, mais en avion.

L’interdiction faite à son avion de survoler le territoire français au retour de sa visite officielle en Russie a constitué une triple erreur d’une espèce particulièrement rare : la bourde chimiquement pure. Primo, c’était une bourde du point de vue des données utilisées pour prendre la décision : une simple rumeur non-vérifiée, et qui s’est avérée fausse, quant à la présence clandestine d’Edward Snowden à bord de l’appareil.  Deuzio, c’était une bourde du point de vue du processus de prise de la décision : la gaffe a de fait été commise sans que ni le président de la République, ni le Premier ministre, ni le ministre des Affaires étrangères, ne soit consulté, ce qui fait désordre et alimente le procès en amateurisme intenté par l’opposition à ce gouvernement. Tertio, c’était une bourde en termes de conséquences de la décision : une crise diplomatique majeure avec la Bolivie assortie d’une forte détérioration de l’image de notre pays auprès de l’opinion publique bolivienne, caillassage de notre ambassade inclus. Le plus déplorable, au demeurant, c'est que l’auteur de cette bourde parfaite n’ait pas été licencié pour faute grave, alors qu’il y avait incontestablement matière à le faire.

Concernant l’affaire Snowden en tant que telle, on pourrait par ailleurs qualifier de bourde majeure le fait que la France, se targuant d’être la patrie des droits de l’Homme, ait refusé d’accueillir comme réfugié politique le lanceur d’alerte américain. Cependant, là encore, ce serait tomber sur l’énorme écueil déjà cité : prendre pour une bourde une mesure avec laquelle, en fait, on est juste en désaccord idéologique du fait de ses propres croyances politiques. Je me contenterai donc, en post-scriptum, de constater ceci : voir la Russie de Vladimir Poutine être sur ce dossier meilleure protectrice des droits civiques que la France de François Hollande, cela ne manque pas de sel.

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