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De nouveaux éléments montrent que la croissance des pays développés tend à appauvrir l’Afrique
©WALTER DIAZ / AFP

Avis général

Le réchauffement climatique sur la croissance économique ne serait pas sans impact sur la croissance des pays selon une étude publiée dans les Proceedings of the National Academy of Sciences.

Branko Milanovic

Branko Milanovic

Branko Milanovic est chercheur de premier plan sur les questions relatives aux inégalités, notamment de revenus. Ancien économiste en chef du département de recherches économiques de la Banque mondiale, il a rejoint en juin 2014 le Graduate Center en tant que professeur présidentiel invité.

Il est également professeur au LIS Center, et l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Global Inequality - A New Approach for the Age of Globalization et The Haves and the Have-Nots : A Brief and Idiosyncratic History of Global Inequality.

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Dans une étude qui vient d’être publiée (dans les Proceedings of the National Academy of Sciences) sur les effets du changement climatique sur la croissance économique, Noah Diffenbaugh et Marshall Burke affirment, en utilisant un modèle complexe, que le changement de température dû aux émissions de CO2 a principalement affecté les pays pauvres et réduit cumulativement leur PIB de 17 à 31 % (entre 1961 et 2010). Le changement climatique a eu par conséquent tendance à creuser les inégalités entre pays pondérées en fonction de la taille de la population. Le résultat clé de leur étude est un graphique (panel B) reproduit ci-dessous qui montre que, en comparaison avec la situation sans changement climatique, les 10 % les plus pauvres de la population mondiale (plus exactement, le décile le plus pauvre de la population mondiale si les gens étaient classés par ordre croissant selon le PIB par tête de leur pays) ont perdu un quart de leur production, tandis que les pays riches en ont gagné approximativement 25 %. 

Il est impossible de comprendre tous les ressorts du modèle à partir d’un bref texte de quelques pages, mais d’après ce que je lis il se fonde sur trois liens clés. Premièrement, la hausse des émissions de carbone a provoqué une hausse des températures à travers le monde. Deuxièmement, la hausse de la température est inégale d’un pays à l’autre. Troisièmement, la hausse de la température est particulièrement mauvaise pour les pays situés au niveau des tropiques qui souffrent déjà d’un climat chaud et d’événements climatiques extrêmes comme les sécheresses, les tempêtes, etc. Comme les deux auteurs l’écrivent, "le réchauffement climatique a réduit la croissance économique et le PIB par tête" des pays pauvres parce que "la température moyenne de (…) plusieurs pays pauvres se situe dans l’extrémité supérieure de la répartition des températures" qui est trop élevée pour l’activité économique. 

Entre les trois liens, le plus difficile à prouver est selon moi le troisième : le fait que le changement climatique (plus exactement, la hausse des températures) puisse être responsable du ralentissement de la croissance des pays pauvres (essentiellement en Afrique). Notez que si elle est exacte, cette affirmation impliquerait une théorie de la croissance largement tirée par la géographie et le climat. Si la récente hausse des températures en Afrique a davantage éloigné le continent de la température optimale pour l’activité économique (qui est de 13 degrés Celsius selon le modèle des auteurs), alors le fait que l’Afrique ait été plus chaude que la température optimale avant même que quiconque n’entende parler de changement climatique doit historiquement avoir eu des effets négatifs sur la croissance africaine. 

Nous faisons donc face ici à une variante des théories de la croissance économique qui mette l’accent non seulement sur des facteurs exogènes et la géographique (comme les rivières navigables, les montagnes impassables), mais aussi sur des facteurs géographiques exogènes spécifiques comme le climat. La régression de la croissance (la troisième étape) rapportée dans l’étude frappe par sa simplicité. C’est une régression de panel à effets fixes de pays où le taux de croissance d’un pays dépend de sa température et de ses précipitations courantes (deux variables linéarisées et mises au carrée), des effets fixes de pays et temporels… et de rien d’autre ! Pas d’emploi, de capital, pas de taux d’épargne, pas d’institutions, pas de guerres civiles… 

(…) Les explications climatologiques ont été utilisées pour plusieurs choses : de Montesquieu qui pensait que le climat expliquait les différences entre systèmes politiques à Paul Bairoch à propos de la non-transmission de la révolution agricole. Mais supposons que cette explication soit exacte et qu’en effet, comme l’affirment les auteurs, le changement climatique était responsable du ralentissement de la croissance des pays pauvres. Cela aurait d’énormes conséquences (que les auteurs ne mentionnent toutefois pas dans leur article). Puisque le changement climatique est impulsé par les émissions historiques des pays actuellement développés (l’effet stock) et par leurs émissions actuelles et celles de la Chine (l’effet flux), cela signifie que la croissance du Nord est directement responsable du manque de croissance dans le Sud. L’implication est assez extraordinaire. Par le passé, les théoriciens de la dépendance suggéraient que le "centre", le Nord, aggravait le sous-développement du Sud via une division du travail qui ne laissait au Sud que la possibilité de produire des biens agricoles ; ou que le Nord n’aidait que quelques régions du Sud à se développer tout en laissant le reste sous-développé. De telles théories voyaient la solution dans le découplage avec le Nord. 

Mais le point important à noter est que dans ces théories l’intégration du Nord et du Sud a été mauvaise pour le Sud ; dans les nouvelles "théories climatiques", c’est simplement le fait que le Nord croisse qui est mauvais. Il n’a pas besoin d’interagir avec le Sud. La croissance du Nord appauvrit le Sud. C’est assez extraordinaire. Ce n’est pas le fait que j’exploite quelqu’un qui conditionne ma richesse ; c’est ma richesse en tant que telle (acquise sans interaction avec la partie lésée) qui est une mauvaise nouvelle pour quelqu’un d’autre (en l’occurrence ici, l’Afrique). 

De plus, cela signifie que la croissance du Nord rend complique la réduction de la pauvreté africaine, voire rend impossible son élimination. Si nous croyions les auteurs, alors chaque point de pourcentage de PIB supplémentaire dans le Nord détériore les conditions en Afrique et complique davantage la réduction de la pauvreté. 

Donc, pour l’élimination de la pauvreté mondiale, nous avons besoin d’une réduction drastique des émissions, ce qui signifie une réduction absolue des revenus dans le Nord, donc un taux de croissance négatif des pays riches. 

Je laisse au lecteur l’opportunité de réfléchir sur la faisabilité politique d’une telle solution (j’ai déjà écrit sur ce sujet par le passé, ici et là), mais je pense qu’il est crucial de prendre conscience de l’énormité des implications de ces résultats. Maintenant, que les résultats fassent sens ou non, que le niveau de température en soi soit un facteur explicatif significatif du développement économique, sont des choses à vérifier. Peut-être faut-il davantage de régressions de panel de la croissance économique ? Je pensais que nous les avions laissées avec les années quatre-vingt-dix, mais peut-être que je me trompais. » 

Article traduit par Martin Anota sur son blog Annotations

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