"Confidences d’une dermatologue" : les aléas du coronavirus <!-- --> | Atlantico.fr
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Covid-19 contamination pandémie test dépistage confidences d'une dermatologue
Covid-19 contamination pandémie test dépistage confidences d'une dermatologue
©Pascal GUYOT / AFP

Bonnes feuilles

Flora Fischer publie "Confidences d’une dermatologue" aux éditions Robert Laffont. En vingt ans d'exercice à l'hôpital et en cabinet libéral, Flora Fischer a vu se succéder nombre de patients et de pathologies : infestations parasitaires, atteintes génitales, cancers, dermatologie esthétique. Elle livre, avec une grande sensibilité, les secrets d'une profession méconnue, à la fois exigeante et humaine. Extrait 2/2.

Flora Fischer

Flora Fischer

Flora Fischer est médecin spécialiste en dermatologie à Paris. Elle est l’auteure du blog « Les billets d’humeur du docteur », contributrice au Huffington Post et à Causeur.

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Au début de l’année 2020, on a tenu en respect le cyclone. Il était d’abord loin en Chine puis plus près en Lombardie, et on l’a regardé nous atteindre. On a cherché des explications. Ce virus n’avait pas de sens, on a essayé de rationaliser son arrivée.

Un avertissement de la nature ? Le climat maltraité, l’hyperconsumérisme ? Une punition de Dieu ? Certains l’avaient même prédit à les écouter. On a fantasmé les finalités de ce nouveau virus. Il pourrait mettre en exergue les tares de notre société et nous obligeait à y remédier. Il pourrait être à l’origine, le jour d’après, d’une solidarité dans un véritable repentir partagé.

On allait assister à une crise s’ajoutant à la crise du monde de la santé français. Les services de réanimation se remplissaient. Le comptage morbide quotidien débutait. On n’a pas manqué de communications. C’est plutôt la communication de manques qui nous a fait défaut : pas de protections, pas de tests, pas assez de respirateurs, pas assez de médicaments, pas assez de lits, de personnel…

Il fallait absolument stopper sa transmission. Arrêter la malédiction. Alors le premier temps fort de sa gestion a été l’assignation à résidence pour éviter des milliers de morts. De nombreux pays l’avaient fait avant nous et l’ont fait après nous. On n’avait pas de traitement autre que l’isolement. On a mis en berne la vie et l’économie au profit du tout sanitaire. Les célibataires devraient le rester au moins quelques semaines, les femmes battues devraient patienter, les personnes fragiles devraient compter sur la contribution amicale ou familiale pour se nourrir. La plupart des français l’ont d’ailleurs accepté avec une certaine résignation. Des politologues, des journalistes, des philosophes comme Bernard-Henri Levy dans son livre Ce virus qui rend fou s’en sont émus.

On n’a plus observé le monde qu’à travers le prisme de la Covid 19. On n’a plus parlé des conflits, des famines, des autres maladies. On a comparé les pays du Nord au Sud dans leur gestion de cette seule maladie : la Suède qui avait décidé de ne pas se confiner, l’Inde où l’on risquait des coups de bâton si on n’appliquait pas strictement l’isolement…

Trois jours après le début du confinement, j’ai senti brutalement mon cœur se serrer et ma respiration s’accélérer à tel point que cela m’obsédait. J’ai cru à un infarctus du myocarde. Et puis, un cortège de signes fluctuant d’un jour à l’autre qui ne s’intégraient dans rien de connu : fièvre, courbatures atroces, perte complète du goût et de l’odorat, soif…

Le test de dépistage réalisé à mon chevet par un ami biologiste déguisé en scaphandrier a confirmé la présence de Coronavirus dans le nasopharynx. J’ai eu des moments très difficiles avec des quintes de toux, une fatigue incroyable m’obligeant à dormir plus de la moitié de la journée, des épisodes de confusion, la peur de m’étouffer.

Seuls les applaudissements pour les soignants émanant de mon avenue, solidaires ou contraphobiques, à 20 h, parvenaient à me réveiller.

J’ai mis une demi-heure à faire 250 mètres, un double masque sur mon nez et ma bouche, pour que ma copine généraliste Anne écoute mes poumons et prenne ma saturation (sorte de mesure rapide de l’oxygénation). Lorsque je suis arrivée, elle était en train de nettoyer l’hémoptysie (crachats sanglants d’origine pulmonaire) du patient précédent, une cinquantaine à peine, parti en SAMU devant les yeux écarquillés de sa femme. L’angoisse générale atteignait son paroxysme. J’allais bien selon elle, elle m’a prescrit de l’azithromycine pendant 5 jours. Je ne saurai jamais s’il a facilité ma guérison.

Ce virus parfois très agressif, semblait à l’origine d’une symptomatologie très riche en touchant différents organes. On a vite appris grâce aux pneumologues le caractère thrombogène de ce virus (favorisant les caillots de sang dans les vaisseaux) d’où les embolies, micro-thromboses des poumons mais aussi du cerveau avec l’apparition d’atteintes du système nerveux central comme des AVC (accidents vasculaires cérébraux) parfois en l’absence d’un terrain propice. Les atteintes dermatologiques liées à ce même phénomène vasculaire, ont été décrites par la suite avec des lésions rouges ou violacées des orteils et des doigts à type d’engelures qui ne collaient pas avec le temps étonnamment beau lors du confinement.

J’avais enjoint mes amis urgentistes et réanimateurs à me faire une petite place si ça tournait mal, notamment si advenait l’orage cytokinique (une réponse immunitaire trop forte rendant très grave la maladie).

Tout le monde tâtonnait devant cette épidémie, ce qui est normal. Les médecins de terrain hospitaliers ou libéraux : généralistes, pneumologues, urgentistes, réanimateurs même les plus chevronnés faisaient face à une situation nouvelle. Il n’y avait ni consensus scientifique ni consensus politique. Les réactions individuelles face à ce virus variaient aussi de façon très intéressante : de celui qui nettoie frénétiquement ses courgettes à l’eau de javel à celui qui ne conçoit pas le port du masque, étiqueté liberticide ou inutile. L’ère du « je ne suis pas médecin mais… » selon l’expression d’Etienne Klein dans son Tract de crise avait commencé et le public se forgeait des avis au gré des communications de Santé Publique France, des réseaux sociaux, des médias, des réunions Zoom.

Puis, deuxième temps fort de l’instant Covid, l’avènement de ce scientifique, le Pr Raoult. Pas le messie, ni Galilée, ni un charlatan, un professeur d’infectiologie. Dans cette ambiance de chaos et d’hésitations, il pensait arrêter la malédiction fort de ses convictions, de son intuition. Il pensait avoir trouvé l’antidote. Et il l’a clamé telle une affirmation. Jusqu’à être acclamé par certains, hué par d’autres, notamment en raison de son approche jugée approximative et exclusive, la science étant une démarche collective.

Petit à petit, deux groupes, avec de nombreux sous-groupes parfois improbables, dont des complotistes patentés, ravis de prendre la lumière, ont émergé. Les pro et les contre la thérapeutique du Pr Raoult. Ce clivage avait dépassé les frontières. Footballeurs, femmes et hommes politiques, artistes… choisissaient leur camp.

Peu importe que l’hydroxychloroquine soit un traitement efficace sur le SARS COV2, ce qui aujourd’hui est peu probable, certains soutiens voire certains militants y croyaient dur comme fer et y croient toujours, ceci même si croyance n’est pas connaissance.

En quelques mois, la prise en charge de l’épidémie s’est considérablement améliorée notamment en termes de prévention et de protections. Les cliniciens ont élaboré des arbres décisionnels de plus en plus précis réduisant la mortalité de cette maladie : oxygénothérapie à haut débit, anticoagulation,…

Mais je crains que les conflits surtout entre scientifiques laissent une tache sur toutes ces avancées dont on se serait volontiers passé.

A lire aussi : "Confidences d’une dermatologue" : la peau, cet organe noble

Extrait du livre de Flora Fischer, "Confidences d’une dermatologue", publié  aux éditions Robert Laffont

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