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"Carmen" : sulfureux, intelligemment provocateur et presque parfaitement réussi
La version de "Carmen" reproposée à l'Opéra Bastille, et transposée dans les années 70, est, excepté au niveau des costumes, une réussite exceptionnelle tant sur le plan vocal et instrumental que sur celui de la mise en scène.
OPERA
INFORMATIONS
OPERA DE PARIS
PLACE DE LA BASTILLE
75012-PARIS
réservations: 08922899090
en alternance, jusqu’au 14 avril
puis, en alternance, du 13 juin au 16 juillet
LE COMPOSITEUR
Né le 26 octobre 1838 à Paris d’une mère pianiste et d’un père ancien coiffeur reconverti dans l’enseignement du chant, Georges Bizet montre très tôt des dons pour la musique. A dix ans, il entre au Conservatoire (où un de ses professeurs s’appelle Jacques Fromental Halévy); à dix-sept, il y obtient un premier prix d’orgue; et à dix-neuf, en couronnement de ses études, il rafle le prix de Rome, tout en remportant parallèlement le premier prix du concours d’opérette pour « Le Docteur Miracle » qui est représenté aux Bouffes Parisiens. Pendant les trois années qui suivent et qu’il passe à Rome, le jeune musicien se perfectionne et écrit, entre autres, « Don Procopio », un opéra bouffe en deux actes. Mais les premiers opéras qu’il compose à son retour à Paris, « Les Pêcheurs de perle » (1863) et « La Jolie fille de Perth » (1866), ne connaissent pas le succès escompté. Pour faire vivre sa femme, Geneviève Halévy, la fille de son ancien professeur, il enseigne à tout va et réalise de nombreuses transcriptions pour piano.
En 1872, la chance lui sourit enfin. Il compose la musique de scène de « l’Arlésienne », une pièce de théâtre. Celle-ci n’a pas de succès, mais sa partition, réécrite en suite orchestrale reçoit un triomphe.
Encouragé par cette réussite, le compositeur part s’installer à Bougival pour se lancer dans l’écriture de « Carmen ». Mais, le 3 mars 1875, pour cause de médiocrité des musiciens et des choristes, la création de cette œuvre se solde par un désastre, d’autant que la critique se montre scandalisée par son histoire qu’elle juge sulfureuse.
Georges Bizet, bouleversé, finit par décéder d’un infarctus dans la nuit du 2 au 3 juin 1875. Il a seulement trente-sept ans.
Sept mois après sa mort, « Carmen » fait un triomphe à Vienne. Il est, depuis, l’opéra le plus joué dans le monde.
THEME
Adapté d’une nouvelle de Prosper Mérimée, « Carmen » est l’histoire d’une passion fatale : celle d’une gitane indomptable qui préfère mourir plutôt que de céder à un homme qu’elle n‘aime plus.
L’action se passe à Séville, au début du XIXème siècle. Un brigadier, Don José, pourtant fiancé à Micaëla, une sage et pure paysanne, va tomber fou amoureux d’une cigarière incandescente prénommée Carmen. Pour elle, qui est gitane, il va enfreindre les lois de l’armée, désobéira, se fera emprisonner et, finalement, désertera.
Quelques temps après, dans une taverne mal famée, arrive Escamillo, un torero aussi beau qu’intrépide et Carmen va s’en éprendre follement. Pour se défaire de Don José, elle va le provoquer, lui proposer un défi qu’il ne pourra accepter, le traitera alors de lâche et rendra publique sa préférence pour Escamillo.
Le jour de la corrida, devant les arènes de Séville, Don José viendra exhorter sa belle de revenir à lui. Mais elle est une femme libre et, plutôt que de se rendre, préfèrera mourir poignardée par celui qu’elle a abandonné.
POINTS FORTS
- Il est impossible de ne pas succomber à la séduction de ce drame de la passion, porté par une héroïne d’une sensualité, d’une intransigeance et d’une provocation sans équivalent dans le répertoire lyrique. un opéra sublimé aussi par des airs irrésistibles, qui sont tous entrés dans la mémoire collective (même celle des plus réfractaires à l’Opéra) : La Garde montante, les Remparts de Séville, l’amour est un oiseau rebelle, la fleur que tu m’avais jetée, etc… Presque tous sont des tubes, qui se transmettent, avec la même allégresse, de générations en générations, depuis 142 ans.
- Evidemment, une œuvre comme celle là, aussi attendue, aussi populaire, ne doit souffrir d’aucune médiocrité, ni vocale, ni musicale. L’Opéra de Paris le sait, qui a soigneusement composé son affiche. Au pupitre, l’Institution a placé Bertrand de Billy. Le chef parisien n’est pas un spécialiste du répertoire romantique (son registre est plus généraliste), mais, pour avoir dirigé de nombreuses œuvres lyriques, il sait tenir d’une main, la plupart du temps, ferme, chanteurs et musiciens. A peine a-t-on pu lui reprocher, le soir de la première, d’avoir attaqué l’ouverture sur un tempo un peu trop rapide, ce qui a provoqué quelques petits problèmes d’ajustements dans la fosse.
- Vocalement, la distribution de ce soir de première, a été (presque) parfaite. Avec sa voix au timbre capiteux, aux graves somptueux et à la projection puissante, la mezzo-soprano française Clémentine Margaine a composé une « Carmen » aussi sexy et provocante que le rôle l’exige. Dommage qu’elle ait rendu, sans raison explicable, quelques piani quasiment inaudibles. Dommage aussi que sa gestuelle ait frôlé, par moments, une vulgarité totalement étrangère à la Carmen créée par Halévy.
Roberto Alagna aurait pu être un sublime Don José, s’il n’avait souffert d’un rhume. Le ténor savait que le public l’attendait. Il a donc assuré, avec cette générosité et cette vaillance qui le caractérisent. Certes sa voix était bridée par la maladie, mais, sa présence scénique et son intensité dramatique ont largement compensé, surtout au dernier acte. Guéri, Roberto Alagna sera, sans aucun doute, un Don José exceptionnel. Le public lui a d’ailleurs réservé une ovation plus que méritée
La Micaëlla d’Alexandra Kurzak , a reçu le même accueil. Il faut dire que la prestation de la soprano polonaise a été miraculeuse, de beauté vocale, de grâce et d’engagement scénique.
- Débarassée de tout le folklore habituel, transposée au début des années 70, la mise en scène de Calixto Beieto laisse toute sa place à la musique, au drame, et aussi à la sensualité fougueuse des principaux protagonistes. Ce parti-pris est très intéressant, très intelligent, très étonnant. Mais il choque une partie du public.
POINTS FAIBLES
Les costumes sont laids, qui évoquent certains films d’Almodovar. La robe pailletée, rose délavé que porte Carmen pour la dernière scène est particulièrement hideuse.
EN DEUX MOTS
Cette « Carmen » présentée en ce moment à l’Opéra de Paris n’est pas une création. Elle date de 1999 et s’est déjà promenée sur de nombreuses scènes, de Peralada en Espagne où elle a été conçue, en passant par Barcelone, Bâle, Oslo, Boston, Palerme, etc… Fallait-il la remonter, alors qu’elle suscite, à chacun de ses passages, enthousiasme, mais aussi désapprobations et huées ? On répond par l’affirmative. Il est salutaire de montrer qu’une œuvre peut être décapée, dépoussiérée, revisitée. Cela permet d’en mettre à jour d’autres facettes. D’une grande acuité, le travail de Calixto Beieto permet ici d’exacerber la violence et la sensualité de cette « Carmen » dont on comprend mieux, un siècle et demi après, pourquoi elle provoqua un tel tollé à sa création. « Carmen », sulfureuse, pour toujours.
UN EXTRAIT
« C’est commettre une erreur, je crois, de voir en Carmen une femme fatale : elle est simplement une femme complexe aux multiples visages, qui sont tous exposés par la musique de Bizet. Carmen, pas plus que Frasquita ou Mercedes n’est une prostituée… Elle veut aimer, se sentir désirée, courir, voler ». Calixto Bieito, metteur en scène.
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