(Bof) LOL : ce que ses petites blagues révèlent de François Hollande<!-- --> | Atlantico.fr
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Tous les proches de François Hollande entretiennent sa réputation d’homme politique pourvu d’humour.
Tous les proches de François Hollande entretiennent sa réputation d’homme politique pourvu d’humour.
©Reuters

Président, poil au dent

Lors de sa venue à Lourdes à la suite des inondations qui ont ravagé la région, le président de la République a eu cette petite phrase : "La saison touristique est en croix, si je puis dire!" François Hollande détonne (un peu) par rapport à ses prédécesseurs dans le domaine de l'humour. Après le "président normal", place au "président marrant" ?

Christian  Delporte et Thomas Guénolé

Christian Delporte et Thomas Guénolé

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin et et directeur de la revue Le Temps des médias. Son dernier livre est intitulé Les grands débats politiques : ces émissions qui ont fait l'opinion (Flammarion, 2012).

Thomas Guénolé est politologue à à Sciences Po, maître de conférence à Sciences Po et professeur chargé de cours à l'Université Panthéon-Assas. Site internet : thomas-guenole.fr

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Atlantico : Lors de sa venue à Lourdes à la suite des inondations qui ont ravagé la région, le président de la République a eu cette petite phrase : "La saison touristique est en croix, si je puis dire !" Ce n'est pas la première fois, que François Hollande fait preuve "d'humour". Quelles sont ses "blagues" les plus marquantes ? Qu'est-ce que cela traduit de sa personnalité ?

Christian Delporte : Les exemples sont multiples. Il y en a plusieurs à caractère météorologique, comme à Casablanca, le 3 avril : "Je viens, il pleut…Je perpétue donc là aussi une tradition", puis, attribuant à Lyautey la formule "gouverner, c’est pleuvoir", il ajoute : "de ce point de vue-là, nous réussissons au-delà de nos espérances…" On se souvient de l’épisode du Salon de l’Agriculture, qui a fait grincer des dents à droite lorsque, répondant à une fillette qui n’avait "jamais vu Nicolas Sarkozy", François Hollande répliqua : "Ah, bah, tu ne le verras plus !" Ou, en février, à l’Elysée, à propos de la succession du pape : "Nous ne présentons pas de candidat." Tous ceux qui ont connu François Hollande avant qu’il ne soit candidat à la présidentielle entretiennent sa réputation d’homme politique pourvu d’humour, un humour souvent vachard du reste, qu’il s’était interdit durant la campagne de 2012. Cela fait partie de sa nature. L’humour, en politique, est une façon de dédramatiser, mais aussi de séduire.

Thomas Guénolé : Avoir un sens de l'humour percutant et incisif est une marque extérieure d'intelligence, c'est donc un signe rassurant sur les capacités cérébrales du chef de l'État. François Hollande est aussi capable d’auto-dérision, c'est intéressant car ne pas en être capable est souvent un signe de vanité. Le fait qu'il puisse régulièrement faire des traits d'esprit en public, alors que cela ne fait pas partie de la fonction indique une désinvolture qui est une nouveauté parmi les présidents de la Ve République. Ses prédécesseurs – Jacques Chirac notamment – pouvaient faire de l'humour, parfois très grivois, mais toujours hors caméra, dans un cadre "privé". Ce n'est pas le cas de François Hollande. Cela rappelle un peu Nicolas Sarkozy qui pouvait également avoir ce type de transgression, pas sur le fait de l'humour, mais plus sur la désinhibition du comportement.

Plaisanterie sur Lourdes, blague – jugée déplacée par certains – lors de la renonciation de Benoît XVI... François Hollande aime à brocarder la religion. Qu'est-ce que cette capacité à faire de l'humour en public, dans le cadre de sa fonction, sur un sujet potentiellement sensible, nous apprend sur lui ?

Thomas Guénolé : François Hollande est athée. Or, quand on est athée, et que l'on vient d'un univers où il y a pu avoir une éducation religieuse (François Hollande a effectué une partie de sa scolarité dans l'enseignement catholique, ndlr) on développe en général un humour extrêmement mordant à l'égard de la religion catholique en particulier, et des religions en général. L'humour dont François Hollande fait preuve est typique de l'athée ayant baigné dans cette culture chrétienne, c'est tout à fait caractéristique.

Vous avez deux sortes d'athées : ceux qui sont militants et dont qui sont finalement parfois aussi intégristes que les plus pratiquants, et vous avez ceux qui considèrent que les religions sont un ramassis de superstitions et qui les traitent de manière débonnaire et gentiment moqueuses. Visiblement, François Hollande est plus dans cette seconde catégorie. 

Quels sont les effets que peuvent avoir ces blagues sur le rôle du chef de l’État ? Sur l'image de la France ?

Christian Delporte : En 1979, Alfred Sauvy avait publié un livre intitulé Humour & politique. Il montrait que l’humour, hérité de l’ "esprit", avait toujours été présent dans la pratique politique de la République (de Clemenceau à De Gaulle, en passant par Edgar Faure) jusqu’à…l’arrivée des énarques ! La mythologie monarchique de la Ve République et la technicisation de la politique ont brisé la tradition. A la tête de l’État, on ne plaisante pas ! Il est vrai que l’humour (plus exercé à l’encontre de l’adversaire que dans une perspective d’autodérision, il faut le dire) était, sauf au Parlement, peu exprimé en public. Aujourd’hui, les bons mots ne sont plus colportés mais  médiatisés, quand ils ne sont pas conçus pour les médias, dans une démarche de communication. Leur effet est donc immédiat et démultiplié. Tout dépend alors de celui qui reçoit le bon mot. Aux rieurs de gauche s’opposeront les indignés de droite. Pour être apprécié, l’humour du chef de l’État doit néanmoins s’exercer de manière parcimonieuse. Quant à l’impact à l’étranger, tant que la blague n’atteint pas la fibre nationale d’un quelconque pays, il est quasiment nul.

Cet aspect "comique" de sa personnalité contribue-t-il au manque de confiance que les Français lui portent ? 

Christian Delporte : Parce qu’il faudrait être sinistre pour bien exercer le pouvoir ? Clemenceau, De Gaulle ou Churchill seraient-il finalement de mauvais leaders parce qu’ils aimaient lancer de bons mots ? Les Français jugent sur autre chose, à commencer par les résultats d’une politique : l’impopularité de Hollande se situe d’abord ici. Reste, c’est vrai, la question de la « présidentialisation » du chef de l’État. L’humour est à double tranchant : exercé au bon endroit au bon moment, il valorise une personnalité ; dans le cas contraire, il se confond avec un "dérapage." Alchimie complexe qui doit être contrôlée dans le cadre d’une communication maîtrisée.

Dans quelle mesure cela peut-il le rapprocher d'eux ?

Christian Delporte : L’humour est un pouvoir, un outil qui permet d’asseoir son autorité. Savoir provoquer le sourire ou le rire est une forme aiguë de séduction. En politique, comme ailleurs. On se souvient que l’ "austérité" de Lionel Jospin avait joué contre lui. Or, quand on observe de près les sondages, on s’aperçoit que le capital sympathie de Hollande reste fort par rapport à la sévérité des Français sur son bilan politique. Sa personnalité est un atout et, de ce point de vue, l’expression de son humour peut s’inscrire dans une stratégie de communication payante. Ses bons mots, s’ils touchent les adversaires, relèvent aussi de l’autodérision, et les premiers rires qu’ils déclenchent sont ceux des journalistes. Or, en politique, on ne peut parvenir à séduire l’opinion sans, préalablement, avoir réussi à séduire les médias…

Un président de la République peut-il vraiment être drôle au vu de ses responsabilités ?

Christian Delporte : C’est une question de culture. En France, où le système politique est marqué par la pesanteur monarchique, l’humour du chef de l’État peut choquer, en effet. A cet égard, un monde nous sépare, par exemple, des États-Unis. Là-bas, un candidat à la Maison-Blanche n’a pas le choix : pour être élu, il doit faire preuve d’humour ! Les candidats s’entourent même de collaborateurs chargés de concevoir anecdotes et bons mots. L’humour y relève de la performance, de la relation à l’auditoire et, pour tout dire, au peuple. C’est une marque d’authenticité. Chaque année, le Président américain reçoit les journalistes à la Maison-Blanche dans une grande soirée de gala où il se transforme en véritable stand-up comedian. Pendant 20 ou 30 minutes, il doit faire le show et faire rire l’assemblée, y compris en racontant des "histoires drôles" ! Aux États-Unis, les "jokes" sont des passages obligés des meetings ou de bon nombre de conférences de presse. Kennedy, Johnson, Nixon, Obama ont dû se faire violence pour montrer qu’ils avaient de l’humour, là où Reagan excellait à faire rire les auditoires. En France, on a une si haute idée de la politique et des institutions que ce type de démarche ne "passerait pas". Cependant, les blagues de Hollande en conférence de presse ressemblent aux "jokes" américains. C’est nouveau chez nous, mais c’est une recette qui, bien maîtrisée, peut s’avérer politiquement utile.

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