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-20 points de popularité en 3 mois et ministres frondeurs : la loyauté de Manuel Valls envers François Hollande signe-t-elle son enterrement politique ?
©Reuters

Valse vers le fond

Manuel Valls a connu une chute record de sa popularité en août : -9 points par rapport à juillet. Celui qui est passé de ministre le plus populaire des gouvernements Ayrault à Premier ministre impopulaire de François Hollande a-t-il des marges de manœuvre pour rebondir ?

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Selon le baromètre Ifop pour le Journal du dimanche, le premier ministre enregistre une chute de 9 points de popularité en août pour s'établir à 36%, tandis que François Hollande perd seulement un point (17%). Le Premier ministre chute de quinze points en deux mois, 20 en trois mois. Comment expliquer cette dégringolade ? Celui qui a été un temps le ministre le plus populaire du gouvernement est-il en train de payer sa loyauté à François Hollande ?

Bruno Cautrès : Une première explication, un peu inéluctable, est qu’à chaque changement de Premier ministre sous la Cinquième république, sa popularité remonte par rapport à son prédécesseur, puis très souvent – à part les exceptions Balladur et Jospin, lorsqu’ils étaient en cohabitation – le Premier ministre devient impopulaire.

A ma connaissance, seul Michel Rocard était à un niveau encore soutenu d’opinions favorables lorsqu’il a quitté Matignon. Tous les autres Premiers ministres ont fini avec un taux de popularité minoritaire. C’est donc une explication structurelle. 

Mais ici, nous avons un sentiment d’une glissade que rien n’arrive à enrayer, pas même la communication très importante de l’exécutif durant l’été. Il s’est montré très présent, on n’a pas eu beaucoup le sentiment que le président et le Premier ministre étaient en vacances au mois d’août. Mais aucun frein ne semble fonctionner, comme si « l’effet Manuel Valls » qu’on avait lors de sa nomination et même avant était en train de disparaître.  C’est un capital de popularité qu’il a usé assez rapidement, en quatre mois.

Clairement, Manuel Valls était crédité d’un fort taux de sympathie avant sa nomination, mais rapidement des doutes sont apparus au sein de l’électorat socialiste. Le 31 juillet, un autre sondage IFOP (sur les intentions de voter si l’élection présidentielle avait lieu maintenant) montrait que la fracture sur le pacte de responsabilité et la réduction des déficits publics était clairement là au sein de l’électorat socialiste. C’est une fracture  « pour » ou « contre » Valls. 

Manuel Valls, par la voie de son entourage contacté par Le Monde a réprouvé les propos d'Arnaud Montebourg tenus ce dimanche à Frangy-en-Bresse. «  Une ligne jaune a été franchie (...) Le premier ministre est déterminé à agir dans les prochains jours », a réagi Matignon. Alors que Valls et Montebourg s’étaient rapprochés en début d’année, en s'interrogeant sur les limites du modèle européen ­ pas assez protectionniste et handicapé par un euro trop fort, ce « lâchage » de son ministre de l’Economie est-il le signe que Valls lie d’autant plus son sort à François Hollande ?

Il faudra suivre de près les réactions et déclarations au sein du gouvernement et du PS dans les heures qui arrivent. Sans doute que François Hollande voudra apaiser les choses car il ne peut se permettre une crise politique au sein du gouvernement. Dans le même temps, cela souligne et sans doute amplifie le sentiment diffus dans l'opinion des Français que l'on ne sait pas bien où est le centre de gravité économique du gouvernement. 

En se laissant entraîner dans le sillage d’impopularité de François Hollande, Manuel Valls est-il en train d’hypothéquer son avenir politique, notamment en vue de la présidentielle de 2017 ? Qu’a-t-il à gagner à conserver son poste de Premier ministre ?

Je crois qu’il n’y a pas de retour en arrière possible. Dans son interview au Monde de cette semaine, François Hollande affiche très clairement qu’il veut accélérer et qu’il n’y a pas de remise en cause de la ligne principale. 

Manuel Valls ne peut que rester à Matignon pour le moment. L’hypothèse de son départ de Matignon n’est d’ailleurs évoquée par personne, en tout cas pas de manière publique. S’il partait maintenant, ça serait un échec calamiteux pour tout le monde : pour lui, pour François Hollande. La gauche n’a pas, aujourd’hui, les moyens de se payer un deuxième changement de Premier ministre dans les mois qui viennent. Je doute même qu’il soit possible, en termes de calendrier, d’avoir un changement de Premier ministre avant 2017. Le quinquennat conduit à ce qu’on ne puisse guère avoir plus de deux Premiers ministres.

En novembre, Manuel Valls va monter au créneau pour la loi de finances 2015 ; en 2016 il y aura la primaire socialiste. Il n’y a pas de place pour catapulter un autre Premier ministre, l’ancrer dans l’opinion et qu’il incarne quelque chose de différent.

Manuel Valls ne peut que, pour son avenir politique, se maintenir et montrer qu’il a participé au mandat de François Hollande : « on a redressé les comptes du pays et dans un deuxième quinquennat, on va faire de la relance économique. »

Mais si les résultats ne sont pas au rendez-vous ?

Oui, ça c’était la théorie, mais il y a des chances que ça ne marche pas ou que cela ne marche pas assez rapidement dans la perspective de 2017. Dans ce cas, si le contexte économique reste dans 18 mois ce qu’il est aujourd’hui, ça sera mal engagé pour la gauche en 2017. Auquel cas il y aura ensuite un devoir d’inventaire, avec sans aucun doute une nouvelle période de turbulences fortes pour le PS.

L’avenir politique de Manuel Valls dépend avant tout de celui de François Hollande. S’il n’est pas en capacité de se présenter en 2017 – si le chômage ne baisse pas en fin de mandat par exemple – il est possible que Manuel Valls se présente à la primaire.

Il se présenterait, mais en portant une part de responsabilité dans le bilan du quinquennat…

Dans le cas où Manuel Valls se présenterait à la primaire, il n’est pas du tout évident que les militants ou les électeurs de la primaire le choisiraient. On peut tout à fait imaginer une pluralité de candidatures si François Hollande ne se présentait pas, même sans doute s’il se présente. Dans le cas où il ne présenterait pas et où Manuel Valls se présenterait, on peut imaginer que d’autres personnalités du PS se présenteraient. Si les électeurs de la primaire avaient à choisir en 2016 entre Arnaud Montebourg, Martine Aubry, Ségolène Royal et Manuel Valls, les trois premiers pourraient faire de bons scores.  Le statut de Premier ministre sortant n’assurerait pas à Manuel Valls une avance automatique, voire même pourrait jouer en sa défaveur. Mais bien sûr nous sommes encore loin de ces échéances et on ne peut dire aujourd’hui quelle sera la configuration de la primaire et dans quel état le couple exécutif abordera cette période. 

L’avenir politique de Valls dépend donc de savoir si Hollande sera candidat ou pas, et dépend de la réussite de leur politique économique commune. 

C’est donc le seul moyen pour lui de  sortir par le haut de cette situation ?

Oui, car avant sa nomination à Matignon il occupait un créneau très précis, sur lequel il avait été bien identifié par l’électorat, qui est celui de la sécurité. Sa réputation de « Sarkozy de gauche » s’est faite en partie sur ce thème. Par contre, sa capacité économique et sociale était une vraie inconnue pour l’électorat. Il a donc un gros challenge à relever.

Il a été un apôtre de la modernisation de la société française et du socialisme en France – rappelons qu’il a proposé de changer le nom du parti – et il a un prisme que certains, y compris dans son camp, qualifient de « social libéral »,  de réduction des déficits, de remise à plat du périmètre de l’Etat… Si ça ne marche pas pour lui au plan économique, sa carrière politique nationale risque d’avoir du mal à rebondir après Matignon. Cela dépendra aussi beaucoup de la situation politique au moment et après l’élection présidentielle de 2017.

A-t-on déjà vu un Premier ministre rebondir après être arrivé à de tels niveaux ?

La plupart des anciens Premiers ministres qui ont fini avec une popularité basse, voire très basse, ont eu du mal à s’en remettre. Lionel Jospin était le cas de figure le plus exceptionnel : premier ministre de cohabitation mais avec une popularité assez bonne malgré une tendance à la baisse, il fut éliminé du second tour de la présidentielle de 2002. Cela a signé la fin de sa carrière politique. Alain Juppé et Dominique de Villepin, devenus assez impopulaires au cours de la leur période à Matignon, ont eu du mal à se recréer une image : pour le premier, cela a pris beaucoup de temps et cela est passé par une période d’effacement au plan national et de reconstruction d’une image politique via sa position de maire de Bordeaux ; pour le second, l’opération de reconstruction n’a pas été aussi efficace, sans doute par manque de relais dans l’opinion, dans le parti et dans les structures locales de la vie politique.

En fait, hors période de cohabitation, les premiers ministres ont du mal à exister par eux-mêmes (même dans le cas de quasi cohabitation avec un président du même camp comme dans le cas Mitterrand-Rocard), ils incarnent la politique et le bilan de leur président. Le caractère bicéphale de l’exécutif est devenu encore plus complexe depuis le quinquennat. Des premiers ministres comme Raffarin ou Ayrault ont assez bien illustré cette difficulté : ils se définissaient exclusivement, ou presque (à de rares exceptions) comme les « hommes du Président », appliquant son programme. C’est un aspect très structurant de la Cinquième république, d’autant que le quinquennat a « présidentialisé » un peu plus encore nos institutions. Par ailleurs, il leur est plus difficile de faire face à l’impopularité car ils n’ont pas la possibilité, via la politique étrangère par exemple, d’essayer de prendre de la hauteur et de s’extraire des problèmes économiques et sociaux. 

Beaucoup d’observateurs estimaient lors de sa nomination qu’il risquait de se « griller » pour 2017. Est-ce le cas ?

Effectivement. D’une certaine manière le deuxième Premier ministre n’est pas comme le premier. Le premier est nommé dans la foulée de la victoire présidentielle, il est en symbiose avec le président – Ayrault et Hollande étaient par exemple souvent décrits comme des « copies conformes » – et est là pour appliquer le programme.

Le deuxième arrive souvent à l’issue d’une crise majeure (dissolutions, le référendum de 2005, les élections municipales en 2014) et est imposé au président par l’état de l’opinion. Le deuxième Premier ministre d’un président va donc avoir tendance à vouloir un peu plus exister par lui-même. Mais l’exercice est difficile (avec l’exception des périodes de cohabitation) du fait des contraintes institutionnelles et du caractère semi-présidentiel de nos institutions. 

Aujourd’hui, on a du mal à dire qui donne l’impulsion dans le couple de l’exécutif. Est-ce que c’est Valls, qui selon la tradition de la 5e République met en musique les orientations présidentielles, ou est-ce le président qui s’aligne sur les choix fondamentaux d’un Premier ministre « social libéral », sans avoir vraiment de choix alternatif compte tenu de l’ampleur des difficultés économiques ? Manuel Valls a pu, parfois, donner le sentiment qu’il impulsait et que François Hollande suivait. Cela semble moins le cas aujourd’hui, le président Hollande étant très clairement engagé dans une stratégie de reconquête de son rôle et de sa stature présidentielle, exercice bien difficile semble t’il. On a parfois l’impression que le Président n’arrive pas à se dégager une marge de manœuvre, de se recréer cette stature présidentielle. Il faudra reconsidérer cette question dans quelques mois pour en juger. François Hollande a été très actif dans le domaine extérieur et mémoriel depuis plusieurs semaines, mais il ne semble pas avoir profité de « l’effet Valls » au moment où celui-ci existait. Quant à Manuel Valls, il n’est peut-être pas au bout de sa chute dans l’opinion, si le contexte économique semble toujours aussi bloqué et atone. 

Ministre le plus populaire du gouvernement sous Jean-Marc Ayrault, Premier ministre ayant la meilleure cote de popularité lors de sa nomination… Les qualités de Manuel Valls n’ont-elles pas simplement été surestimées par les Français ?

Manuel Valls était identifié sur un créneau sur lequel il facile de l’être : celui du ministre de l’Intérieur. Ce poste est celui que les français apprennent rapidement à connaitre, car il incarne la politique de sécurité publique. Jean-Pierre Chevènement, Daniel Vaillant, Nicolas Sarkozy était identifiables. 

Par contre, sur la question économique, les Français ne savaient pas qui était Manuel Valls. Ils savaient qu’il était dynamique, parlait fort et savait afficher avec force ses convictions, etc. Et sa popularité au départ était aussi l’antithèse en creux de Jean-Marc Ayrault et des fameux « couacs » de son gouvernement. Valls a donné le sentiment qu’il était un homme d’autorité, qui tape du poing sur la table, un meneur d’équipe gouvernementale. Mais les Français ont progressivement réalisé que ces qualités ne permettent pas, au jour d’aujourd’hui en tout cas, de changer leur vie quotidienne, de régler les problèmes économiques. Et les choix économiques du couple exécutif ne sont pas encore rentrer dans les profondeurs du pays et de son économie. Il faut beaucoup de temps entre un plan ou un pacte et la vie économique et sociale concrète. La question de la confiance politique est par ailleurs un vrai handicap pour Manuel Valls : son dynamisme et son entrain, que beaucoup d’observateurs lui reconnaissent volontiers, semblent ne pas « cranter » et permettre d’inverser la courbe de la défiance des français dans les hommes politiques.

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