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​Ces reproches à l’égard de François Fillon que la droite pense tout bas mais qui pourraient bientôt émerger en pleine campagne
©Thomas SAMSON / AFP

Cocotte-minute

Alors que le candidat issu de la primaire de la droite et du centre s’embourbe dans la séquence du PenelopeGate, les troupes du parti fulminent encore intérieurement des erreurs commises au cours de cette campagne, mais pour combien de temps avant que la critique ne soit publique ?

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Suite à la révélation du "PenelopeGate", le reproches couvent au sein du parti républicain, et ceux ci pourraient voir le jour au cours des prochains jours ou des prochaines semaines. Quels sont les reproches que le camp de la droite pourraient formuler ? Quelles ont été les erreurs commises ?

Jean Petaux : C’est un exercice un peu étrange (pour ne pas dire impossible) que celui qui consiste à imaginer ou formuler ex-ante les reproches que le camp de la droite pourrait adresser à François Fillon. J’ai le sentiment que ce dernier a accumulé suffisamment d’inimitiés dans son propre camp pour qu’il ne soit pas forcément nécessaire d’en rajouter ou d’anticiper sur d’éventuelles critiques, à plus forte raison, de de les concevoir.

Contentons-nous d’un éventuel « inventaire » non pas « à la Prévert » mais relevant plutôt des attendus d’un « acte d’accusation ». Appelons cela la liste des « Neuf I ».

-          Imprudence : comment, te préparant à occuper des fonctions régaliennes importantes, ministre de 2002 à 2005 puis premier ministre de 2007 à 2012 (pour n’évoquer que la période postérieure à 2000), as-tu pu exposer ainsi ton épouse à une telle situation pour le moins complexe, surtout pour ce qui est de sa « collaboration » à « La Revue des Deux Mondes » ?

-          Impudence : comment as-tu pu avoir « l’audace cynique ou l’incroyable insolence » (définition de l’ « impudence » dans « Le Larousse ») de « faire la leçon » à certains de tes concurrents à la primaire (Nicolas Sarkozy en l’occurence) en disant : « Imagine-t-on le général de Gaulle mis en examen ? ». Même si tu n’es pas du tout mis en examen (et que si cela doit arriver ce sera bien après la présidentielle) ne penses-tu pas qu’il y a quelque marque de cynisme à prôner la rigueur morale (et juridique cela va sans dire) absolue et à s’exposer comme tu l’as fait à de telles attaques ?

-          Imprévoyance : pourquoi ne pas avoir informé ton parti et ses responsables du fait que tu as fait travailler ton épouse, en circonscription ou au Parlement à Paris, comme nombre de tes collègues parlementaires l’ont fait et continue à le faire en toute transparence et en toute légalité ?

-          Isolement : L’absence de coordination collective de la campagne, depuis ta victoire le 27 novembre 2016, n’est-elle pas un facteur d’explication essentielle du peu de soutien dont tu disposes auprès des grandes figures de la droite républicaine qui appliquent ici un principe simple : « tu veux gagner seul et en fonction de ta propre stratégie, débrouille toi seul maintenant face à cette histoire ».

-          Indécence (et mélange des genres)  : qu’est-ce que c’est cette habitude désormais, chaque fois que tu es attaqué, toi, tes proches ou une partie de ton projet, de mettre en avant les « valeurs catholiques » qui sont les tiennes qui garantiraient, en guise de « bonne foi » (c’est le cas de le dire) que tu es « bon » et « sans tâche »… Quasiment « sans failles et sans reproches » ? N’est-ce pas là une forme d’indécence (ou d’impudeur) dont tu pourrais te dispenser parce qu’elle n’apporte rien comme arguments en défense.

-          Insolence :  Ta défense de « bon chrétien » accrédite l’idée, au contraire, que tu « fais le Jacques » (ton épouse te dira sans doute que cette expression est une importation d’Outre-Manche prêtée à Shakespeare : « To play the Jack » que l’on peut traduire par « faire le farceur » ou « faire le fourbe »). Comme pour ce qui est de « faire le farceur » ce n’est pas ton répertoire le plus évident, resterait donc le second sens.. ).

-          Insuffisance (et suffisance) : penses-tu pouvoir « tenir » face aux assauts répétés de tes adversaires à la présidentielle, à partir de début février et ne seras-tu pas insuffisamment armé pour assumer ces attaques. Ta suffisance froide suffira-t-elle ?

-          Ignorance : comment as-tu pu faire semblant d’ignorer que, dès lors que tu allais être désigné par une majorité (même très importante) des électeurs de la primaire, tu risquais de concentrer sur toi toutes les critiques les plus acerbes et faire semblant de t’en étonner ou montrer ta surprise, en guise de défense, jeudi soir dans le journal de TF1 ? Ne peut-on pas considérer ici que cet aveu est autant une marque de naïveté que de faiblesse ?

-          Impréparation : pourquoi a-t-il fallu attendre 48 heures pour répondre après les premières révélations du contenu de l’article du « Canard » quand une des règles d’or de la communication de crise est de répondre aux premières attaques dans les 20 minutes qui suivent ? N’est-ce pas là la marque d’une « impréparation crasse » de ta « garde rapprochée » ?.

On peut concevoir, sans difficultés aucunes, que le registre des critiques à l’égard de Fillon peut s’allonger aisément. Tant il est vrai qu’en politique le chef n’a pas intérêt à être vu en état de faiblesse car alors les attaques tendent à redoubler. Si Françoise Giroud a pu écrire, en son temps, à propos de Chaban et sa « feuille d’impôts » publiée dans les colonnes du « Canard » : « on ne tire pas sur une ambulance », en politique la vraie règle c’est que l’on « tire plutôt sur les corbillards » et on « bastonne plus aisément un homme à terre qu’un chef jeune et vigoureux, debout ». Question de courage et de réalisme aussi. On peut donc envisager que François Fillon va encore devoir traverser d’autres zones de turbulences consécutives à cet épisode. Turbulences qui pourraient bien s’apparenter à des soubresauts à même de lui faire perdre sa trajectoire de vol « nominale »…

Sur la question de la communication de crise,  ne peut on pas déplorer l'absence de préparation du candidat à une situation qui lui était pourtant connue ? S'agit il de légèreté ? De la même façon, les imbroglios des réactions, pas toujours cohérentes entre elles, ne révèlent elles pas également un manque de cohésion autour du candidat du parti (absence de réunions régulières du bureau politique etc...) ?

On a pu dire qu’avec Anne Méaux et Myriam Lévy, François Fillon avait trouvé là « ces drôles de dames » (Paris-Match du 16 avril 2016) et qu'elles n’étaient pas pour rien dans sa victoire en novembre 2016. Ces deux figures du monde de la com’ ont, en effet, contribué à faire évoluer une image par trop terne de l’ancien premier ministre, pas capable de prendre le dessus sur Jean-François Copé pour la conquête de la présidence de l’UMP en 2012. Rachida Dati, dont l’hostilité à l’égard de Fillon est de notoriété publique (et renforcée encore récemment avec sa non-désignation à la candidature législative sur la circonscription occupée par Fillon) a d’ailleurs reproché à ce dernier au micro d’Europe 1 le 20 janvier dernier de « s’être mis entre les mains d’une communicante qui conseille émirs et industriels ». Oubliant au passage de dire qu’elle-même, grande consommatrice de « gourous de la com’ » avait fait appel jadis, en 2009, aux services et compétences de la même patronne d’Image 7 : Anne Méaux. Ce qui est donc étonnant c’est que les communicantes de Fillon (reconnues comme « pros ») n’aient pas « paré » au plus vite l’attaque du « Canard » dont il faut rappeler qu’il est imprimé le mardi en début d’après-midi et qu’il est sur le bureau de « tout ce qui compte » à Paris dans le petit monde politico-médiatique le mardi à 17h au plus tard, soit une soirée et une nuit avant sa présence dans les kiosques et les Maisons de la Presse le mercredi matin… 

Dans le même registre le « ballet des porte-paroles » a été d’un effet désastreux entre ceux qui disent avoir vu Pénélope Fillon travailler dans la Sarthe, ceux qui l’ont vue à l’Assemblée et ceux qui ne l’ont vue nulle part… Sans parler de Valérie Boyer, porte-parole parmi les plus proches (puisqu’elle assumait cette fonction pendant la campagne des primaires, pour Fillon) qui a fait un usage malencontreux du « mais », disant en substance (ce ne sont pas les termes exactement prononcés à la virgule près, mais le sens est le même) : « J’ai moi aussi employé quelqu’un de ma famille, mon fils, mais c’était pour un travail qu’il a effectivement réalisé ». Etrange de voir ainsi Pénélope voyager autant dans les souvenirs des uns et des autres. Chez Homère c’est plutôt Ulysse qui se promène pendant dix ans et Pénélope qui « (dé)fait tapisserie » en attendant le retour de son guerrier d’époux.

Tout cela sent tout à la fois l’amateurisme, la désorganisation et l’absence de pilote dans l’avion. C’est d’autant plus surprenant qu’on croyait qu’avec Patrick Stéfanini l’ordre et la capacité à riposter seraient non seulement deux qualités stratégiques préservées mais augmentées. Il reste une autre explication, c’est la plus ravageuse : celle du « Principe de Peter ». On consultera avantageusement la loi empirique dressée par Laurence J. Peter et Raymond Hull, dès 1970, pour savoir si elle peut s’appliquer à la figure de François Fillon, candidat de la droite à la présidentielle. Ce qui est certain c’est qu’il ne suffit pas d’avoir recueilli près de 3 millions de voix au soir d’un second tour d’une consultation institutionnellement inepte et politiquement malsaine pour être immédiatement « oint » de l’intelligence politique et surtout de qualités supérieures… Cette entéléchie n’existe que dans les romans et les mythes. Deux registres où l’on peinera, même avec bienveillance, à trouver un rôle à François Fillon.

En réalité, le plus grand risque, pour François Fillon, alors que celui-ci était parvenu à incarner une forme de "changement" pour ses électeurs, n'est il pas d'être ramené à une image de la vieille politique, des vieilles pratiques, en totale contradiction avec la nécessité d'incarner un renouveau pour le pays ?

Vous avez parfaitement raison. Mais ce n’est pas le seul de ces risques. Comment parler « rigueur » et « sacrifices » nécessaires quand on rémunère son épouse (en lui faisant crédit d’avoir effectivement travaillé) à de tels niveaux de rémunération (et nous ne parlons ici que du « volet » assistante parlementaire) équivalents au double de ce qui se pratique ? Je dirige moi-même un parcours de master à Sciences Po Bordeaux intitulé « Métiers du politique » et qui prépare aux emplois de collaborateur d’élus (attachés parlementaires, chargé de mission en cabinet, etc.). Pour des diplômé.e.s « bac +5 » le niveau de rémunération nette mensuelle sur Paris est plutôt de 2.300 € en aucun cas 4.000 ou 5.000 €. Si on ajoute à cela le ridicule de la rémunération à la « Revue des Deux Mondes » on joint le scandale à l’injustice. C’est toute la crédibilité du discours de Fillon qui est en cause ici. Tout ce qui a pu fonder l’espoir d’une « mise en accordance » entre « des paroles et des actes ». A l’opposé du bling-bling sarkozien, François Fillon originaire d’une France profonde et terrienne pouvait, à sa manière, incarner la version moderne et positive du fameux « La terre, elle ne ment pas » (Emmanuel Berl, discours prononcé par Philippe Pétain au début du régime de Vichy…). Pour l’heure toute son énergie de candidat doit être tendue vers sa défense. Ennuyeux lorsqu’il aurait du être, au contraire, totalement tendu vers l’attaque, à un jour de son discours de la Porte de la Villette…

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