Voyage dans le Golfe : Vladimir Poutine avance ses pions au Moyen-Orient<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président russe Vladimir Poutine et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à Riyad, le 6 décembre 2023.
Le président russe Vladimir Poutine et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à Riyad, le 6 décembre 2023.
©Alexey NIKOLSKY / POOL / AFP

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Ce voyage de Vladimir Poutine dans les pays du Golfe constitue une visite importante pour la Russie.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Quels sont les principaux enseignements et le bilan à tirer du voyage de Vladimir Poutine dans les pays du Golfe ? Le chef du Kremlin a-t-il pu renforcer ses liens avec ses partenaires de la région ?  Des accords ont-ils été actés ? Les échanges avec Mohammed ben Salmane ont-ils été productifs notamment sur les questions d’investissement, d’énergie et de désescalade sur la situation en Israël ?

Viatcheslav Avioutskii : Ce voyage de Vladimir Poutine dans les pays du Golfe constitue une visite importante pour la Russie. Concernant le contexte, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite sont considérés comme des alliés des Etats-Unis et des pays occidentaux. La venue de Vladimir Poutine aux Emirats arabes unis est une surprise assez désagréable pour l'Union européenne et pour les Etats-Unis. Les relations entre les pays du Golfe et la Russie étaient très mauvaises dans les années 90. Ces monarchies du Golfe avaient soutenu les tensions séparatistes et étaient suspectées d'avoir contribué à la radicalisation des islamistes au Nord Caucase via certains financements. Toutefois, les relations se sont apaisées à partir des années 2005 - 2010 lorsque Ramazan Kadyrov devenu le nouveau dirigeant de la Tchétchénie a multiplié ses visites dans les pays du Golfe. La visite de Vladimir Poutine s'inscrit dont dans la continuité de ces efforts pour développer les relations avec ces pays, vus comme d'importants acteurs par la communauté musulmane en Russie (Tchétchènes, Daghestanais, Tatars, Bachkirs etc).

Le chef du Kremlin a donc réussi à faire une percée dans une zone stratégique auprès des pays du Moyen-Orient. Cela avait débuté avec la participation dans la guerre en Syrie. L’influence de la Russie augmente significativement dans la région.

La visite en Arabie saoudite est plus importante que celle aux Emirats arabes unis. Vladimir Poutine cherche de nouveaux alliés face aux conséquences des sanctions occidentale, notamment sur la vente des hydrocarbures. En 2022, les Etats-Unis ont essayé de faire pression sur l'Arabie saoudite pour augmenter la production pétrolière, pour baisser les prix du baril sur le marché international afin de réduire les revenus pétroliers russes qui permettent de financer la guerre en Ukraine. L’Arabie saoudite est le seul pays producteur qui peut augmenter la production et fournir sur le marché des quantités importantes dans les délais très brefs. Cela avait déjà été fait dans les années 80 pendant plusieurs années pour affaiblir l'Union soviétique. L'Arabie saoudite avait joué un rôle important dans l'effondrement économique de l'Union soviétique qui était privée de devises. Mais ce scénario ne s'est pas répété l'année dernière. Sur le plan géopolitique, il y a une réelle émancipation de l'Arabie saoudite par rapport aux Américains. Il y a un reflux de l'influence américaine dans le Moyen-Orient.

Est-ce que la situation a évolué par rapport à la position de l’axe des régimes autoritaires après deux mois de conflit avec le Hamas ?

Il y a une constante dans la diplomatie russe, depuis le début de la guerre contre l'Ukraine. La Russie essaie de soutenir les pays non démocratiques, les pays autoritaires. La visite de Vladimir Poutine dans des pays comme l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis s'inscrit dans cette démarche.

Durant toute l'année 2022 et en 2023, il y a eu, de la part de la Russie, toute une campagne diplomatique d'élargissement et d'approfondissement de relations diplomatiques avec des pays africains mais aussi avec des pays arabes, notamment l'Algérie. Le chef de l'Etat algérien Abdelmadjid Tebboune a fait une visite en juin dernier à Moscou, ce qui a empêche le processus de normalisation des relations franco-algériennes car Paris a réagi en annulant une visite de Tebboune en France prévue dans la même période. La Russie tente donc de renforcer ses liens avec ses partenaires et d’étendre ses zones d’influence.

La grande question qui se pose aujourd'hui concerne l'Arabie saoudite. Dans quel camp va-t-elle se retrouver ? L’affaire Khashoggi a suscité une vive controverse et terni l’image de Mohammed ben Salmane et de l’Arabie saoudite. Joe Biden, après le début de la guerre en Ukraine, a révisé son attitude et s'est rendu sur place. Il a essayé de rétablir les relations avec Riyad.

Les régimes autoritaires essaient de consolider leurs relations pour créer un bloc anti-occidental et anti-démocratique. La guerre en Ukraine a dévoilé au grand jour les divisions assez claires entre les démocraties qui ont soutenu Kiev et les régimes autoritaires qui sont restés neutres ou qui ont soutenu directement ou indirectement la Russie.

Qu’est-ce qui a réellement changé pour la Russie au Moyen-Orient comme ailleurs dans le monde, notamment en Ukraine ?

L’Ukraine n’est plus le principal conflit qui occupe les puissances occidentales. La guerre entre Israël et le Hamas à Gaza se déroule en parallèle. Les Etats-Unis doivent gérer deux conflits à la fois : l'Ukraine et la guerre de Gaza. La Russie essaie d’être un intermédiaire entre le Hamas et Israël. Mais la Russie n’a pas eu beaucoup de succès pour l’instant, même pour libérer les otages russes détenus par le Hamas. Cela révèle les limites de l'influence russe au Moyen-Orient.

Mais la principale évolution concerne la fatigue de la guerre qui est visible en Ukraine, en Europe, aux États-Unis. Il s'agit d'un malaise géopolitique qui a émergé à la suite de l’absence de changements rapides après la contre-offensive ukrainienne qui a été un échec. Cela a entraîné une stagnation de la situation en Ukraine alors qu’il y avait beaucoup d'espérance en Occident pour que les choses s'améliorent très rapidement. On a compris que la guerre va se prolonger pendant des mois et des années. Il ne semble pas y avoir d'issue pour le moment dans cette guerre là. Des problèmes de financement sont apparus aussi. Aux Etats-Unis, le Congrès pourrait ne pas valider le financement d’une nouvelle aide auprès de Kiev. Avec cette fatigue de la guerre et ce malaise géopolitique, les puissances occidentales commencent à s’interroger comment trouver une solution à ce conflit dont l’issue est incertaine.

Avec la visite de Vladimir Poutine au Moyen-Orient, la Russie essaye de mobiliser toutes ses ressources à l'intérieur mais aussi à l'extérieur de son pays pour gagner cette guerre. Le chef du Kremlin essaye de faire évoluer le rapport de force en sa faveur. La Russie cherche à se rapprocher non seulement des pays africains, mais aussi des pays du Moyen-Orient.

La Russie cherche à élargir sa zone d'influence et à conclure de nouveaux partenariats commerciaux avec un maximum de pays.

Cette évolution est assez inquiétante pour l'Union européenne mais aussi pour les Etats-Unis. Pire, elle montre l'absence d'une vision stratégique claire, surtout en Europe qui se trouve dans une situation paradoxale. Elle dispose des ressources importantes (y compris militaires), mais ne sait pas comment les utiliser efficacement compte tenu de l'absence des objectifs bien définis. 

Vladimir Poutine sort-il renforcé de cette tournée dans le Golfe ? Les difficultés budgétaires des Etats-Unis et de l’Ukraine offrent-elles de nouvelles perspectives pour la Russie et pour les objectifs de Vladimir Poutine ?

Dans le rapport de forces entre la Russie et l’Occident, il n’y a pas de changement radical. Cette visite diplomatique de Vladimir Poutine dans les pays du Golfe ne va pas changer une influence occidentale qui persiste dans cette région depuis 80 ans déjà. L’influence des Etats-Unis sur l'Arabie saoudite a été et reste toujours très forte.

L'Arabie saoudite cherche à diversifier sa politique étrangère en se rapprochant de la Russie. Cette puissance régionale tente de défendre et de diversifier ses propres intérêts qui ne coïncident toujours pas avec ceux des Etats-Unis.

La guerre en Ukraine a montré que la Russie n'a pas de véritables alliés, à part l'Iran et la Corée du Nord, sur le plan militaire. L'Arabie saoudite n'a pas une véritable industrie d'armement. Vladimir Poutine ne s’est pas rendu en Arabie saoudite pour obtenir des obus. Cette visite a une portée plutôt symbolique. Il y a eu un autre événement important pour la Russie. Le dirigeant brésilien Lula a renouvelé son invitation auprès de Vladimir Poutine pour le futur G20. Lula a néanmoins indiqué qu’il ne pouvait pas contrôler son système judiciaire qui va décider si le chef du Kremlin pourrait être arrêté lors de son arrivée au Brésil. Cela limite les déplacements à l'étranger de Vladimir Poutine. 

Depuis le début de la guerre en Ukraine, Poutine s’est essentiellement rendu en Chine et dans les pays de l'ex-URSS. Les succès diplomatiques de Vladimir Poutine restent modestes alors que la Russie était considérée comme la seconde puissance géopolitique à l'époque de la guerre froide.

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