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Prix Nobel de la Paix :  
le Printemps arabe nobélisé ?
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Revue de blogs

Le Prix Nobel de la Paix sera décerné le 7 octobre, mais sur les 241 propositions qu'examine le comité Nobel, on parle surtout des blogueurs des Printemps arabes. Sur trois blogueurs arabes distingués, la tunisienne Lina Ben Mhenni provoque, par cette nomination, une tempête sur les réseaux sociaux en Tunisie, où les élections approchent.

Selon les volontés d'Alfred Nobel, le Prix Nobel de la Paix devrait aller à "la personnalité ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochementdes peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, àla réunion et à la propagation des progrès pour la paix ". Il a été attribué pour la première fois en 1901. Cent dix ans plus tard, la définition a quelque peu changé, pour adopter un profil plus Droits universels de l'homme. Cette année, la liste des "nobélisables" est pléthorique : 241 propositions, dont 53 associations, et Julian Assange, l'homme de Wikileaks. Et aussi l'Union Européenne.

Parmi eux, dans une année dominée par les Printemps arabes, et après quelques déclarations d'intérêt du comité, l'attention est focalisée sur trois blogueurs et activistes du monde arabe :

  • Wael Ghonim, égyptien, animateur de la page Facebook "Nous sommes tous Khaled Saïd", créée en mémoire d'un jeune homme battu à mort par la police d'Alexandrie en 2010 et qui a constitué le carrefour virtuel du soulèvement égyptien.
  • Esraa Abdelfattah, fondatrice du mouvement de jeunes Égyptiens du 6 Avril qui avait organisé et mobilisé pour une grève générale en 2008 avant de prendre part à la révolution.
  • Lina Ben Mhenni,blogueuse tunisienne, activiste contre la censure et opposante publique de Ben Ali dès 2008, via son blog personnel (alors censuré) "A tunisian girl".

    Mohamed Bouazizi, le jeune chômeur tunisien qui s'est immolé par le feu en décembre 2010, provoquant l'étincelle du Printemps arabe, a été suggéré, mais le prix ne peut être décerné à titre posthume.

Bien sûr, on accuse déjà le comité du Prix d'épouser d'un peu trop près l'actualité et de privilégier des promesses à des réalisations. Le prix Nobel 2008, décerné dans la foulée de son élection à Barack Obama, n'a pas, avec le recul, le relief que l'on espérait. Mais les plus à la peine sont d'ores et déjà les blogueurs eux-mêmes, très critiqués ou jalousés dans leur propre pays pourleur droit à représenter, ou non, parmi tant d'autres militants (et victimes) la révolution.

Dans un premier temps, les blogosphères ont été surprises, et ont critiqué une presque faute de goût : "On ne devait pas l'attribuer à tout le peuple qui a fait la révolution ?" s'est demandé en Egypte Gigi Ibrahim, avec d'autres, en apprenant la nomination de Wael Ghonim. Pour onze jours de détention durant l'insurrection de la Place Tarhir, "il ne le mérite pas" avait tranché Arabista. Puis, avec un peu de réflexion, les blogueurs égyptiens se sont dans l'ensemble ralliés derrière leurs candidats à un Nobel totalement inimaginable pour l'Egypte il y a un an, ou restent polis. Mais pas en Tunisie.

En Tunisie, les blogueurs se déchaînent sur le Net

Une nomination au Nobel de la Paix peut aussi tourner au pugilat virtuel. A Tunis, sur la page Facebook de la blogueuse Lina Ben Mhenni, son père en personne a trouvé nécessaire d'intervenir, pour un message d'alerte : "Jesuis le papa de Lina ; je suis désolé d'annoncer à tout le monde etsurtout à ses amis qu'elle est vraiment souffrante et que je la force àse requinquer un peu ; je prie donc tout le monde de s'abstenir del'appeler ou de la joindre sur internet ; et vous remercie tous pour votrecompréhension".

Lina BenMhenni, petit bout de femme à la santé fragile mais toujours pugnace, au parcours impeccable de cybermilitante contre la censure et la torture depuis 2008, est victime de "l'effet nobélisable". La professeurd'anglais de l'université de Tunis a beau souligner qu'elle n'était au courant de rien et l'a appris sur Facebook, répéter sur toutes les chaines de télévision et auxagences de presse que ce n'est pas Facebook ou Twitter qui ont fait la Révolution tunisienne, mais les manifestants qui l'ont payée de leur vie, toutes les tensions pré-électorales tunisiennes (on y vote le 23 octobre) ont frappé ce paratonnerre trop visible. Et comme la révolution de janvier, elles se déchainent sur le Net.

"LOL c'est n'importe quoi", ou "Y en a marre de nous imposer des faux héros!" sont parmi les commentaires les plus tendres.Mais dans une tradition désormais tunisienne, les pro-Lina ont organisé la contre-offensive, toujours sur le Net.

Sur le groupe Facebook "Pour que Lina ben Mheni obtienne le Prix de la paix", on résume une partie des critiques et insultes. "Beaucoup de personnes sont en train de critiquer Lina Ben Mheni ainsique la façon dont elle s'habille et partage ses photos en short etmini jupe avec des commentaires humiliants. Si ces photos prouventquelque chose, c'est que la révolution n'a pas été faite par les barbus,mais par les jeunes libres, et si les femmes voilées circulentlibrement aujourd'hui, c'est grâce aux jeunes comme Lina Ben Mheni etautre, et ces femmes doivent la soutenir pour gagner ce prix".

LeClub des fans de Lina est pragmatique : "En fin de compte, notre but c'est le prix, pas plus". Emna s'est essayé, toujours sur Facebook àunetentative de parodie des Tunisiens qui flagellent leur nobelisable, titrée : "Linda Ben Mhenni est une pute". Lina Ben Mhenni,toujours imprévisible, n'a pas tiqué et a republié le billet sur sa page, ponctué du commentaire :"J'adore:)"".

Comme aux premiers jours de la révolution, tous les outils des nouveaux médias ont aussitôt été mis en œuvre. Une chaine YouTube a été ouverte, "Je soutiens Lina Ben Mhenni" où ses soutiens se manifestent face caméra. En voici deux (en arabe).

Quelques jours avant de tomber malade de de trop de stress et d'enjeux, dimanche dernier, l'intéressée a simplement fait ce commentaire, toujours sur facebook :
"Petitrappel : juste après la révolution, tous les gens se réjouissaient endisant que c'était une révolution faite par les jeunes. Aujourd'hui lamajorité des gens se retourne contre les jeunes. Ceux quiappartiennent à cette catégorie sont des ingrats !"

Loin de cette crise d'une toute jeune révolution, et plus géopolitique, Maghreb Intelligence analyse ce Nobel comme une prise de position des gouvernements occidentaux quelques jours avant des élections cruciales où le parti islamiste Hezb Ennahda (Parti de la Renaissance) est supposé, selon quelques rares sondages dont on ne connait pas la crédibilité, arriver en tête.

"Lina Ben Mhenni constitue aujourd’hui une planche de salut pour une société civile [tunisienne] en perte de vitesse face aux appétits des partis politiques. Une telle distinction, selon des diplomates occidentaux, pourrait renouer avec le premier souffle de la révolution du jasmin qui a été initiée par des jeunes sur la toile".

Il y a quelques jours, on parlait d'une autre Prix Nobel de la Paix, celui de 2004, Wangari Muta Maathai, qui s'est éteinte. L'écologiste kenyane affirmait parler aux arbres, les sauvait des tronçonneuses, et a fait changer les politiques africaines et les lois internationales sur l'exploitation des forêts. Personne n'oserait plus dire que c'était n'importe quoi.

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