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Pourquoi le spectre de la 3ème Guerre mondiale n'est pas une simple vue d'esprits en mal de frissons
©Reuters

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Après les mouvements de l’OTAN en Europe de l’Est aux frontières de la Russie puis ceux de la marine américaine et en Mer de Chine, puis après les bombardements américains en Syrie (7 avril) et en Afghanistan (13 avril), subitement décidés par une Administration Trump qui semble ainsi rompre brutalement avec l’isolationnisme annoncé pendant la campagne présidentielle américaine, le spectre d’une "troisième Guerre mondiale" a recommencé à hanter les esprits.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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L’idée que l’Europe et l’Occident puissent connaître à nouveau la guerre en conséquence des tensions occidentalo-russes autour de l’Ukraine du bourbier syrien - où se côtoient dangereusement les armées occidentales, russe, syrienne, turque et iranienne, - ou en réaction aux essais nucléaires et balistiques de la Corée du Nord (sans oublier la revendication de la Mer de Chine Méridionale par Pékin), ne cesse de gagner du terrain. Et les attentats islamistes presque mensuels et parfois même hebdomadaires dans des capitales européennes font dire à certains qu’une guerre est déjà livrée depuis des années sur notre sol et qu’il s’agit à la fois d’une guerre civilisationnelle et pas seulement terroriste puis d’une guerre asymétrique à la laquelle nous avons le plus grand mal de faire face. Deux décennies de doctrine pacifiste béate qui ont bercé les Européens dans l’illusion de la Paix universelle et de la tolérance ont finalement débouché sur un brutal atterrissage dans le réel et dans le retour de la tragédie.

L’expression Troisième Guerre mondiale paraît, donc, exagérée, dans la mesure où les risques de guerre les plus imminents sont régionaux, locaux (Inde-Pakistan ; Inde-Chine ; Corée du Nord/Asie méridionale et orientale; Syrie ; Iran ; ou Ukraine), et dans la mesure où l’arme atomique a un fort pouvoir de dissuasion, puisqu’elle peut décourager à la fois le faible et le fort, dès lors que l’un des deux ennemis est capable de rayer de la carte la capitale de l’autre avec des conséquences et séquelles inimaginables à côtés desquels ceux d’Hiroshima et Nagasaki seraient des détails.

En janvier 2017, c’est une personne plutôt réputée pour sa modération verbale ; Michaël  Gorbatchev, qui a tiré la sonnette d’alarme et a averti qu’une troisième guerre mondiale semblait en phase de préparation à la lumière du réarmement constaté partout dans les grands pays du monde et autres puissances émergentes, exceptées la vielle Europe de l’Ouest. Ainsi, le rapport sur le Monde en 2035, publié par la CIA évoque « les paradoxes du progrès » selon lesquels en dépit des opportunités économiques et technologiques, jamais nos sociétés n’ont été menacées par autant de risques de guerre (Ukraine, les tensions en mer de Chine méridionale, la Syrie, l’Iran, etc).

Déjà, avant l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, l’ex-Chef d'État-Major de l'Armée de Terre américaine, le général Mark Milley, déclarait à son auditoire sur un ton très martial, lors de la réunion annuelle de l'Association of the United States Army à Washington-DC : "La volonté stratégique de notre nation, les États-Unis, est remise en cause et nos alliances sont testées de manières auxquelles nous n'avons pas été confrontées depuis de nombreuses décennies (…). Je veux être bien clair avec ceux qui veulent nous faire du mal ... l'armée des États-Unis - en dépit de tous nos défis, en dépit de notre tempo opérationnel, en dépit de tout ce que nous avons fait, nous allons vous stopper et nous allons vous battre plus durement que vous ne l'avez jamais été auparavant. Ne vous méprenez pas à ce sujet (…).

Il faut que tout change pour que tout reste pareil

Le monde a changé. Aussi nombre d’analystes estiment, comme le défunt Samuel Huntington, que la pire menace pour nos sociétés occidentales ouvertes à tous les vents et repentantes est essentiellement civilisationnelle, incarnée qu’elle est par le projet néo-impérial islamiste. Pourtant, d’après les stratèges de l’OTAN et les principaux idéologues et politiques américains interventionnistes, démocrates ou républicains, qui ont violemment dénoncé la passivité d’Obama et le programme néo-isolationniste et pro-russe de Donald Trump, le monde de l’Après guerre froide ne serait pas très différent de celui de l’affrontement Est-Ouest - qui s’est soldé par la chute de l’Ex-URSS et le démantèlement du parc de Varsovie - puisque la menace soviétique aurait laissé la place à une menace russo-chinoise vue comme une continuité du Heartland soviétique. Selon cette thèse, exprimée le plus clairement par le penseur américain Robert Kagan, le danger principal ne serait pas le terrorisme islamiste, mais viendrait des puissances » révisionnistes » dont le noyau-dur serait le tandem Russie-Chine. Ces outsiders auraient l’ambition de « défier » l’ordre planétaire instauré par les États-Unis depuis la seconde guerre mondiale et devraient être stoppés d’urgence « avant qu’il ne soit trop tard ».  Selon Kagan, si l’Amérique renonce à être le gendarme du monde, l’ordre actuel (occidentalo-centré et américain) s’effondrera et le monde sera plongé dans « une phase d’anarchie violente » et « le coût de cette descente aux enfers défiera l’entendement ». Pour ce faucon interventionniste résolument russophobe, l’idée initiale de Donald Trump d’un « rapprochement américain avec la Russie ne pouvait qu’enhardir Vladimir Poutine, et le durcissement des rapports avec la Chine ne pouvait qu’inciter Beijing à tester la détermination militaire de la nouvelle administration ». Dans cette optique, tout signal de faiblesse envoyé par l’Amérique et tout désengagement de l’armée américaine comme Obama l’a voulu en Irak, Syrie, Afghanistan, Asie du sud et Europe de l’Est, aiguisera les appétits revanchards de la Chine et de la Russie qui se sentiront encouragés à avancer encore plus leurs pions et à prendre la place des Occidentaux aux portes du Japon,  en Corée du Sud dans les pays de l'Asie du Sud-Est, en Syrie, en Ukraine, en Géorgie, et jusque dans les Pays Baltes et même en Pologne et dans les Balkans. Et ceci débouchera inévitablement sur une conflagration planétaire de par les jeux d’alliances stratégiques entre Etats. D’après Kagan, les tentatives de reset ou de «réinitialisation» des relations avec la Russie portées par Obama et Trump (brièvement) ont porté le premier coup à la réputation d’allié fiable de l’Amérique car les Russes qui venaient d’envahir la Géorgie se sont crus récompensés pour cette agression tournée contre des alliés des Américains en Europe centrale. En Asie de l’Est, l’administration Obama se serait également discréditée car son fameux «pivot» stratégique vers l’Asie aurait été essentiellement velléitaire puisque non associé à des dépenses de défense significatives pour assurer une présence militaire américaine dissuasive dans la région.

Les logiciels n’ont pas été changé et ont la vie longue malgré leur désuétude

Comme nous l’avons vu précédemment, alors que l’ennemi du III ème type, asymétrique et civilisationnel, n’est pas un ennemi classique et qu’il se réfère à une idéolgie planétaire qui est diffusée en toute liberté dans les réseaux sociaux et nombre de mosquées ou centres islamistes radicaux dans nos propres territoires et auprès de nos propres citoyens, nos stratèges atlantistes pensent toujours que l’ennemi est la Russie et que le terrorisme salafiste doit être combattue de façon exclusivement sécuritaire comme le terrorisme classique d’extrême gauche, et qu’il ne doit être différencié non seulement de l’islam mais aussi de l’islamisme politique type Frères musulmans qui serait de nature différente et qui apparaît même pour beaucoup comme l’antidote aux salafistes jihadistes. Pour eux, la barbarie terroriste n’est liée qu’à une réalité « nihiliste » qui n’aurait « rien à voir avec l’islam », et cette menace serait d’autant plus sous-estimée par rapport aux Etats nucléaires Russie Chine ou Corée du Nord que nos stratèges occidentaux n’ont pas hésité depuis des décennies à jouer avec l’islamisme radial sunnite contre jadis la Russie communiste puis ensuite la Serbie, l’Irak de Saddam, la Libye de Kadhafi et la Syrie de Bachar où Laurent Fabius estimait que Al-Qaïda (Al-Nosra /Fatah al Sham/Tahrir al-Sham) « fait du bon boulot »...

En réalité, la guerre asymétrique livrée par l’islamisme planétaire et ses stratèges adeptes du mythe impérial Califal est une des facettes d’une véritable guerre de civilisation, globale, multiforme, dont la source idéologique et le moteur est le projet totalitaire panislamiste chariatique, qui doit être combatte dans sa globalité idéologique et sa forte dimension subversive, et pas seulement dans sa dimension terroriste, simple face émergée de l’iceberg. L’islamisme radical terroriste ou non, tel qu’il a frappé jeudi soir aux Champs Elysée ou avant au Bataclan, à Nice ou à Berlin, nous livre essentiellement une guerre du « troisième type » qui revêt une très forte dimension psychologique. En effet, le terrorisme islamiste violent, tout comme « l’islamisme de gouvernement » ou communautariste,  à la Frères musulmans ou à la Erdogan,  repose en grande partie sur la stratégie de sidération-culpabilisation et sur le victimisme qui consiste à justifier le projet totalitaire impérial islamiste au nom de la dénonciation de « l’islamophobie » et de la persécution des musulmans, chères à tous les islamistes, hard ou soft. Cette guerre doit d’abord être gagnée contre nous-mêmes, c’est-à-dire contre la haine de soi et l’ouverture des démocraties à ses prédateurs, tel celui des Champs Elysées, qui, comme presque la quasi-totalité de ses prédécesseurs soi-disant « loups solitaires », avaient été repérés, emprisonnés, relâchés, et ont pu compter sur la passivité et le laxisme de notre justice pour narguer les policiers et recommencer à s’en prendre à eux dès leur libération anticipée…

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