Mission nettoyage des océans : les scientifiques s’attaquent à l’analyse du 6ème continent, celui des déchets plastiques à la surface des mers<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Les déchets humains sont emportés par les courants océaniques et s'accumulent.
Les déchets humains sont emportés par les courants océaniques et s'accumulent.
©REUTERS/Stephane Mahe

Atlantico Green

A la veille du COP21 qui se déroulera au mois de décembre, une équipe de chercheurs de Ocean Clean-up a présenté ses conclusions sur l'évolution du "Great Pacific Garbage Patch", une nappe de déchets plastiques de 3,4 millions de kilomètres carrés de superficie.

Gwenaele Proutière-Maulion

Gwenaele Proutière-Maulion

Gwenaële Proutière-Maulion est maître de conférences en droit privé. Elle est membre du Centre de droit maritime et océanique de l'Université de Nantes où elle a dirigé plusieurs ouvrages et études sur la politique commune des pêches, la protection de la biodiversité marine et la lutte contre la piraterie maritime.  Elle est aujourd’hui vice-présidente en charge des affaires européennes et des relations internationales pour l’ensemble de l’Université de Nantes.

Voir la bio »
Jean-Pierre Beurier

Jean-Pierre Beurier

Jean-Pierre Beurier est Professeur des Universités. Il a consacré sa thèse d'Etat à la protection des ressources halieutiques en droit international. Il est spécialisé en droit international de la mer et de l'environnement marin. Ancien directeur du Centre de Droit Maritime et Océanique de Nantes, ancien Vice-Doyen de la Faculté de Droit de Nantes, et ancien consultant des Nations Unies pour la FAO et l'UNITAR, il est invité permanent de l'Académie de Marine. Ses ouvrages :
"Droits Maritimes" Dalloz Action 3° ed. 2015
"Droit international de l'environnement" Ed. Pédone, 4° ed. 2010

Voir la bio »
  1. Atlantico : Une équipe de chercheur de la Ocean clean-up, une entreprise dédiée aux solutions de nettoyage des océans, a récemment analysé la composition du gyre de déchets humains dans l'océan Pacifique. Comment ces véritables océans de déchets ont-ils évolués à aujourd'hui ?

Gwenaele Proutière Maulion : Les pollutions par déversement de déchets plastiques dans les océans ont commencé à être recensés au début des années 70 mais il est toujours difficile aujourd’hui d’en saisir l’exacte ampleur. Selon une récente étude internationale menée par des scientifiques  américains, néo-zélandais, chiliens, français, africains et australiens (voir ici) 269 000 tonnes de déchets plastiques constituées de plus de 5 mille milliards de particules de toutes tailles s’accumuleraient ainsi sur la surface des mers et océans. De gigantesques zones de convergence, appelées « gyres océaniques », ont été découvertes, pouvant atteindre plusieurs millions de km2 à l’image du « Great Pacific Garbage Patch », également appelé 7° continent de plastique dans le Pacifique Nord qui atteint près de 3,4 millions de km2. 90% des déchets circulant à travers les mers seraient donc aujourd’hui des déchets plastiques dont 80% seraient d’origine terrestres.

Aucune zone n’est épargnée, qu’il s’agisse des zones côtières ou des zones plus éloignées. La Méditerranée serait ainsi particulièrement affectée. Le phénomène est par ailleurs équivalent sur les deux hémisphères. Bien que l’hémisphère nord plus industrialisé, produise beaucoup plus de déchets plastiques, les volumes de déchets sont du même ordre dans l’hémisphère sud, en raison d’une forte dissémination favorisée par les vents et les courants océaniques.

Jean-Paul Beurier : Les 5 grands gyres des 3 océans dus à la force de Coriolis contribuent avec la circulation thermohaline au brassage des eaux océaniques, mais ces gyres concentrent les déchets flottants macro ou micro. Ces déchets proviennent à plus de 90% de la pollution tellurique qui représente, elle, 80% de la pollution de la mer. Il s’agit du rejet des fleuves, des émissaires côtiers, des égouts des villes côtières et de leurs décharges. Or nous savons que 50% de l’humanité vit à moins de 50 km de la mer. Inexorablement ces déchets anthropiques sont entraînés sur des années vers le cœur de ces gyres.

  1. Qu'est-ce que ces résultats nous apprennent de la perturbation de l'environnement marin en général ?

Gwenaele Proutière Maulion :On estime qu’en 2013, près d’un million et demi d’animaux auraient été victimes des déchets plastiques dans l’ensemble des océans (voir ici). Ingérés, ces déchets se révèlent mortels pour des centaines d’espèces, provoquant blessures, suffocations et empoisonnement. Les poissons ne sont pas les seuls les victimes potentielles ; ces déchets sont également une menace pour les tortues, les mammifères marins et l’avifaune. Outre la biodiversité marine, ces déchets sont également un danger pour l’homme et les écosystèmes marins. Ils véhiculent, en effet, des perturbateurs endocriniens, des métaux lourds et autres polluants qui contaminent l’ensemble des écosystèmes océaniques, y compris le zooplancton, altérant ainsi l’ensemble de la chaîne alimentaire. Sachant qu’il faut 450 ans pour qu’une bouteille d’eau se dégrade, on imagine sans peine les dommages irréversibles qui sont actuellement infligés à la faune et à la flore marine.

Ces déchets induisent également d’autres dommages à l’environnement marin, via la prolifération d’espèces dites invasives. Les fragments de plastiques peuvent, en effet, servir de moyens de transports à certaines espèces, qui via les courants marins vont venir se développer et se reproduire dans de nouvelles zones, créant ainsi un déséquilibre supplémentaire pour les écosystèmes marins. Le « Great Pacific Garbage Patch » est ainsi devenu un terrain particulièrement fertile pour une espèce d’arraignée d’eau, l’Halobate sericeus, qui capable de vivre en milieu marin, a néanmoins besoin d’un terrain solide pour pondre ses œufs (voir ici). La multiplication de ces espèces pourrait, à terme, en s’attaquant aux zooplancton et aux œufs de poissons, déséquilibrer l’ensemble des écosystèmes océaniques.

Jean-Paul Beurier : On sait que depuis l’homme industriel les océans sont l’exutoire final de ses activités. La mer a été longtemps considérée comme si vaste que tout ce que l’homme pouvait faire ne pouvait avoir d’impact sur le milieu marin. Ceci est bien sûr totalement faux, La surpopulation de la planète et l’irresponsabilité des acteurs économiques comme des particuliers ont eu pour conséquence de polluer durablement et fortement le milieu marin entraînant la perte de qualité des habitats naturels et la surmortalité de la faune et de la flore.

  1. En fin d'année, près de 60 chefs d'Etats doivent se réunir à Paris pour le COP21, en vue de trouver et de produire des accords pour limiter l'impact de l'homme sur le climat. Comment la question des déchets et de la pollution des mers doit-elle être abordée ?

Gwenaele Proutière Maulion :Les océans sont au cœur du climat puisqu’ils produisent et recyclent 80% de l’oxygène de l’air. Pour autant, ces derniers sont loin d’être au cœur du débat de cette conférence sur les changements climatiques. Il devient pourtant urgent de lever les nombreuses incertitudes scientifiques qui pèsent encore tant sur le rôle joué par l’océan dans le fonctionnement du système climatique que sur les impacts du changement climatique et des émissions de CO2 sur les écosystèmes marins et les populations humaines concernées. Sans une meilleure intégration des enjeux liés aux océans dans les négociations liées au changement climatique, il est à craindre que rien ne soit fait pour traiter la question des pollutions des mers. Le récent accord obtenu en janvier dernier au sein de l’ONU pour renouveler le cadre juridique protégeant la haute mer est cependant porteur d’espoir et illustre la prise de conscience de la communauté internationale de la nécessité de protéger le « poumon bleu » de la planète. Il serait regrettable que les engagements qui seront pris lors du COP21 n’en témoignent pas à leur tour.

Jean-Paul Beurier :Devant la gravité de la situation, les Etats ont réagi par la signature de conventions internationales de lutte contre les pollutions de la mer. Ainsi la convention d’Oslo de 1972 a fortement limité les rejets industriels en mer ; ainsi la convention de Paris de 1974 a eu pour objectif de lutter contre les pollutions telluriques, cependant elles ne concernent que l’Europe occidentale.  En 1992 les deux conventions ont été sensiblement améliorées entrainant des obligations contraignantes pour les Etats signataires, mais le champ d’application ne couvre que le Nord-Est Atlantique. La convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 prévoit la lutte contre les pollutions telluriques et, elle, concerne la majorité des Etats riverains de la mer. Malheureusement la lutte contre ces pollutions diffuses suppose des modifications des établissements humains et de leur fonctionnement ce que la plupart des Etats –notamment en développement- refusent de faire. On ne peut que constater la très grande réticence des Etats à s’engager réellement sur la réduction des gaz à effet de serre alors que l’impact sur le climat est déjà visible. Dès lors les déchets macro ou micro dans des lointains gyres, dont la plupart des politiques ne connaissent même pas l’existence, n’intéressent pas grand monde. Seule l’opinion publique mondiale et les grands médias peuvent influer sur cette apathie coupable, influencer l’ONU pour proposer une conférence internationale sur le sujet et –peut-être- déboucher sur une convention spécifique pour tout d’abord réduire ces pollutions à leur source, puis ensuite financer des techniques de dépollution. L’urgence est là, la mortalité des espèces marines due à ces déchets augmente de façon alarmante.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !