Mali, Afghanistan, Irak : pourquoi connait-on si peu l’opinion des Français musulmans sur nos choix d’interventions militaires ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Tout ce qui est lié à la guerre contre le terrorisme est tellement entaché de mensonges et tellement rattaché à l’administration Bush qu’il apparaît aujourd’hui presque déplacé pour un musulman qu’on l’interroge sur la guerre contre le terrorisme.
Tout ce qui est lié à la guerre contre le terrorisme est tellement entaché de mensonges et tellement rattaché à l’administration Bush qu’il apparaît aujourd’hui presque déplacé pour un musulman qu’on l’interroge sur la guerre contre le terrorisme.
©Reuters

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Autocensure, norme légale qui interdit d'identifier les origines ethniques ou religieuses de l'individu, peur de la confusion islam-islamisme, il n'existe pas d'études ou de sondages sérieux qui permettent de savoir ce que pensent vraiment les musulmans de France.

Mathieu  Guidère

Mathieu Guidère

Mathieu Guidère est islamologue et spécialiste de veille stratégique. Il est  Professeur des Universités et Directeur de Recherches

Grand connaisseur du monde arabe et du terrorisme, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le Choc des révolutions arabes (Autrement, 2011) et de Les Nouveaux Terroristes (Ed Autrement, sept 2010).

 

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Atlantico : Pourquoi n’existe-t-il pas d’études ou de sondages qui indiquent clairement ce que pensent les musulmans français des conflits en terres musulmanes : Irak, Afghanistan ou encore Mali ?

Mathieu Guidere : Il y a plusieurs raisons. La première c’est la réticence, pour ne pas dire l’autocensure, des instituts de sondage et des agences d’enquête d’opinion sur cette question. En effet, la réponse est connue d’avance. Les musulmans en général, et les Français musulmans en particulier, sont opposés, très majoritairement, à toute intervention militaire occidentale dans un pays musulman, parce qu’ils connaissent les conséquences par avance, et ils craignent l’effet boomerang les concernant dans leur pays d’adoption, telle que la France.
La deuxième raison est psychologique. La communauté musulmane ne souhaite pas s’exprimer sur ces questions parce qu’elle n’a pas envie d’être assimilée aux groupes terroristes que la France combat dans ces régions. Les musulmans ne veulent absolument pas qu’il y ait un lien quelconque fait entre islam et terrorisme, entre islamisme et islam, entre immigration et islamisme, entre terrorisme et intégration. Ils veulent éviter cette confusion, par conséquent  ils s’autocensurent.


La troisième raison est politique. Tout ce qui est lié à la guerre contre le terrorisme est tellement entaché de mensonges et tellement rattaché à l’administration Bush qu’il apparaît aujourd’hui presque déplacé pour un musulman qu’on l’interroge sur la guerre contre le terrorisme. Cette guerre a mené à l’invasion de l’Irak puis à son occupation avec les résultats que l’on connaît, à partir de preuves mensongères. Elle n’a pas donné non plus les résultats escomptés en Afghanistan au bout de plus de dix ans d’occupation sur le terrain. Donc il y a également des raisons politiques qui font que les musulmans ont envie de tourner la page. Ils n’ont plus envie d’entendre parler de cette guerre contre le terrorisme.
Enfin on ne peut rien savoir en France sur les musulmans français parce qu’il est interdit de faire des statistiques ethniques ou confessionnels.

Vous dites que les musulmans français n’ont pas envie que l’Islam et le terrorisme soient mis dans le même sac. Est-ce que cela signifie qu’ils soutiennent le terrorisme dans ces pays ?

Non ce n’est pas le cas. En réalité, soit le musulman part du principe que la question le concerne et par là, il confirme qu’il existe un lien entre l’islam et le terrorisme, ce qu’il ne veut pas. Soit il ne répond pas et dans ce cas on ne sait pas ce qu’il en pense. Les hommes politiques en Occident vont considérer que "qui ne dit mot consent", alors qu’en réalité, les musulmans français ne cautionnent clairement pas les actes terroristes. C’est la conclusion que je fais après avoir regardé sur Internet, le seul moyen aujourd’hui de s’exprimer librement. Les musulmans veulent vraiment se démarquer des djihadistes. On ne peut effectivement pas en dire autant de ceux qui habitent dans les pays musulmans, pour qui il peut y avoir une petite hésitation ou ambigüité.
Il y a une guerre à l’intérieur de l’islam entre les djihadistes, les salafistes, l’islam modéré et l’islam libéral. Cette ambigüité pose problème.
L’une des questions qu‘on voit revenir, c’est : est-ce que toute la population au nord du Mali est vraiment terroriste ? Certains estiment que les Touaregs ne sont pas des terroristes et que même si Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique) et les Mujao (mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest) en sont, ce n’est pas une raison pour bombarder toutes les villes dans lesquelles il y a des Touaregs musulmans.

Quelles sont les préoccupations des musulmans français par rapport à ces conflits ?

La principale inquiétude des Français musulmans par rapport à ces pays est le retour de bâton. Ils craignent que l’on recommence à les considérer comme un problème, que l’islam en prenne un coup, que les terroristes donnent une image négative de ce qu'ils considèrent être l’islam, et que leur vie dans les démocraties occidentales soit impactée alors qu’ils n’ont rien à voir avec ces terroristes. Ils ne veulent pas ainsi être assimilés à ces gens-là, qui, pour eux, sont minoritaires. C’est exactement ce qu’on a vu dans les années Bush entre 2001 et 2008 : les djihadistes se réclament de l’Islam alors que les musulmans français ne les considèrent pas comme tels.

Que pensent les musulmans français de l’intervention française ?

Le seul élément que l’on a de connaître l'opinion publique réelle des musulmans en France, c’est l’expression politique dans les pays musulmans, ou Internet (forums, Facebook, Twitter). Il n’y a pas une grande différence entre ce que pensent les musulmans français et les opinions exprimées dans les pays musulmans.  
Si on tient compte de cela, on a aujourd’hui une expression politique clairement défavorable à une intervention militaire française au Mali. Récemment, le président égyptien Morsi s’est exprimé contre une intervention militaire au nord du Mali, qui ne fait que refléter la majorité de l’opinion publique égyptienne. Les musulmans français, comme l’expriment les politiques de leur pays d’origine, ne veulent pas d’une intervention d’un pays non musulman dans un pays musulman. Ils refusent aussi que des avions occidentaux bombardent des territoires musulmans. Même schéma pour l’opinion tunisienne : le président tunisien a exprimé sa réticence très forte face à l’intervention française au Mali. Il a dit également tenir à l’intégrité territoriale du Mali. L’expression de l’opinion publique musulmane est claire : le rejet de cette intervention.
Sur Internet, les musulmans pensent que la France attaque un pays musulman pour défendre des intérêts ou prendre des ressources sous prétexte de combattre le terrorisme. Les personnes qui ont connu la colonisation sont très réticentes à l’idée de voir qu’une ancienne puissance coloniale revient 50 ans après avoir quitté le Mali avec des troupes armées en prétendant libérer une partie de ce pays et s’y installer dans la durée. Est-ce vraiment le rôle d’une ancienne puissance coloniale d’aller dans une ancienne colonie pour la libérer? L’histoire récente a montré que ce type d’interventions ne résout pas le problème qu’il vise à régler et en crée d’autres encore plus graves comme on le voit en Irak par exemple. On est aujourd’hui face à ce même paradoxe.


Propos recueillis par Marie Théobald

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