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Les électeurs centristes sont-ils aussi à gauche (ou aussi peu à droite) que le croient leurs représentants ?
©Reuters

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Si certaines figures de la droite et du centre tentent depuis plusieurs mois une ouverture vers la gauche sur certaines thématiques, il n'est pas certain que ces orientations soient partagées en tous points par leur électorat.

Emmanuel Rivière

Emmanuel Rivière est Directeur Monde pour les Etudes internationales et le Conseil Politique de Kantar Public. Il préside le Centre Kantar sur le Futur de l’Europe

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Atlantico : Jean-Pierre Raffarin, François Bayrou, entourage d'Alain Juppé... Certains leaders centristes semblent vouloir jouer la carte de la modération et de l'ouverture vers la gauche sur plusieurs grandes thématiques. Mais sur des sujets tels que l'immigration ou l'économie, les électeurs du centre, et notamment du centre-droit, sont-ils aussi ouverts que cela ?

Emmanuel Rivière : Il faut tout d'abord bien garder à l'esprit que selon les sujets qu'on évoque, les clivages ne se placent pas tout à fait au même endroit. Quand on parle d'économie par exemple, je ne suis pas complètement sûr que ce ne soit pas plutôt la gauche qui ait évolué vers le centre et le centre-droit. Présenter Alain Juppé comme un leader centriste en matière d'économie est un signe très singulier (et intéressant) de la période que nous vivons. C'est en effet un libéral, désireux de réduire le poids de la fonction publique, tout comme Jean-Pierre Raffarin d'ailleurs. C'est donc pour moi plutôt la gauche et une partie du Parti socialiste qui se sont droitisés, plutôt que l'inverse.

La situation est différente pour ce qui est des questions liées à l'immigration, à l'identité, au fait religieux, etc. Ici, il est vrai qu'il y a plus que des nuances entre les noms que vous avez évoqués et une partie de la droite incarnée (entre autres) par François Fillon. Il faut aussi ajouter parmi les points de clivage le rapport au Front national, vraie pomme de discorde au sein des Républicains ces dernières années.

Traditionnellement, il y a toujours eu en France un centre-droit qui manifestait sur certains thèmes une vision différente par rapport à une droite plus conservatrice, plus autoritaire, plus bonapartiste et souverainiste en quelque sorte. Il est intéressant d'observer ces prises de positions par rapport aux grands mouvements en cours des plaques tectoniques de notre espace politique avec incontestablement des mouvements à gauche qui rendent possible la construction d'un centre libéral, pro-européen et relativement ouvert sur le plan social, ainsi que la force d'attraction sur la droite que représente un Front national pesant un quart de l'électorat.

Sur le plan des valeurs défendues, comment peuvent être qualifiées les électeurs du centre ? Qu'attendent-ils de leurs représentants sur les grands sujets de société ?

Il ne faut pas confondre électorat hésitant et électorat centriste. L'électorat centriste a très souvent eu ses représentants et ses valeurs propres dans notre histoire politique. Il se caractérise comme étant plutôt libéral économiquement, prônant les valeurs de l'entreprise et de l'entrepreneuriat et résolument pro-européen. Ce centre a été démocrate-chrétien dans le passé. Il en reste quelque chose aujourd'hui avec un rapport non pas tant à la religion mais aux dimensions humanistes, à la question de l'immigration et des droits sociaux qui est plus ouvert que celui de la droite conservatrice. Cet électorat a également comme caractéristique d'être extrêmement allergique à la dette et aux déficits, et par conséquent d'être plutôt ouvert à une gestion plus saine des finances publiques. Sur ce point, la limite peut justement se trouver dans la volonté de maintenir un certain niveau de protection sociale. Enfin, un autre point de clivage – renvoyant au caractère pro-européen de cet électorat centriste – est à chercher du côté de son rapport à la décentralisation, auquel il est assez favorable, peut-être plus par écho à ce que prônent ses leaders que par une forte caractéristique sociologique...

François Bayrou a récemment pris sur BFMTV des positions qui tranchent nettement avec celles de la droite traditionnelle (image des musulmans en France, traitement de la Grèce, affaire des crèches dans les mairies...). Ne serait-il pas risqué pour lui d'avoir un programme penchant vers le centre-gauche (s'il se présente bien sûr) alors que son électorat semble plutôt pencher vers le centre-droit ?

Depuis quelques années, l'électorat de François Bayrou se caractérise justement par le fait d'être de moins en moins de centre-droit. Certes François Mitterrand disait que le centre n'était "ni de gauche, ni de gauche", mais les électeurs bayrouistes se distinguent avant tout par un refus du système politique et du système des partis.

Cela dit, il est certain que par leurs choix et leurs valeurs, ce sont plutôt des électeurs de centre-droit. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'ils vont aller chercher au niveau de l'offre politique quelque chose parfaitement en phase avec leurs caractéristiques.

Sur la question de la Grèce, il faut rappeler que c'est un électorat pro-européen, qui – je pense – réagit plus négativement à la manière dont l'Europe a failli éclater et a manqué de solidarité pendant la crise des dettes souveraines qu'à l'attitude de la Grèce et d'Alexis Tsipras dans leur bras de fer avec l'Allemagne...

Le problème de François Bayrou, c'est de se trouver un espace entre un candidat très "acceptable"par cet électorat pour une présidentielle (François Fillon) et une offre aussi résolument centriste que celle qu'il incarnait lui-même en 2007 (Emmanuel Macron). Tout comme François Bayrou, ce dernier veut mettre à bas l'organisation du système politique autour du clivage gauche-droite, mais possède en plus cet avantage de la "nouveauté politique" que François Bayrou n'a plus aujourd'hui.

Il reste malgré tout à mettre au crédit de François Bayrou sa personnalité, appréciée des Français. Il incarne ainsi une forme d'authenticité, d'ancrage dans le territoire de son pays, une forme de courage également, qui fait partie des valeurs prônées par cet électorat-là.

Comment peut-on expliquer la relative inclinaison à gauche de plusieurs leaders du centre ces derniers temps ? La victoire de François Fillon et sa ligne de droite assumée y est-elle pour quelque chose ?

Si l’on parle des personnalités qui appartiennent à LR je parlerais davantage d'inclinaison centriste que d'inclinaison à gauche, mais effectivement je pense qu'il s'agit d'un écho des clivages apparus pendant la campagne de la primaire de la droite et du centre. La question à se poser est de savoir si c'est une forme de réponse pour se chercher un espace ou si c'est une manière stratégique d'étendre le champ de la future majorité en cas de victoire de François Fillon. Tout cela est à mettre en perspective avec ce qui semble être aujourd'hui – même s'il faut se garder de toute certitude – le scénario de 2017 : un second tour Fillon – Le Pen. Si c'était le cas, il serait très difficile de faire fi de ce tiers de l'électorat qui aura voté d'une manière ou d'une autre à gauche de François Fillon et dont il aura besoin pour gagner le plus largement possible. Il n'est pas complètement inutile pour luide s’appuyer sur des relais pour rassembler au-delà de son camp et du socle électoral du candidat LR.

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