​​Le chaos ukrainien, l'échec des accords de non-prolifération et de désarmement russo-américains et le risque de IIIème guerre mondiale...<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président américain Jimmy Carter et le secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l'Union soviétique Leonid Brejnev discutent avant la signature du traité SALT II le 18 juin 1979, à Vienne.
Le président américain Jimmy Carter et le secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l'Union soviétique Leonid Brejnev discutent avant la signature du traité SALT II le 18 juin 1979, à Vienne.
©VOTAVAFOTO / AFP

Géopolitico-Scanner

Les exemples de traités en matière de désarmement et d'accords de non-prolifération nucléaire ont été nombreux durant la période entre 1965 et 1985. Leurs conséquences plus que modestes sont à l’origine de l’échec des négociations russo-américaines depuis les années 2000 en matière de désarmement et d'accords de non-prolifération nucléaire.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Notre chroniqueur Alexandre del Valle* termine cette semaine le "feuilleton" sur l'historique et les causes du dramatique échec des négociations russo-américaines depuis les années 2000 en matière de désarmement et d'accords de non-prolifération nucléaire. Un sujet plus qu'actuel en cette période de tensions extrêmes autour de l'Ukraine entre les puissances de l'OTAN et la Russie de Vladimir Poutine, sachant qu'un dérapage est de plus en plus possible entre les deux "blocs" dans le contexte de l'aide militaire croissante des pays occidentaux aux forces ukrainiennes, puis de la présence de nombreux officiers occidentaux sur le terrain auprès de l'armée ukrainienne et du gouvernement de M. Zelensky qui pousse l'Occident à devenir de plus en plus directement belligérant...

Les aléas du désarmement. Où en est-on en 2022, dans le cadre de la guerre en Ukraine et de l'aggravation des tensions russo-atlantiques?

Le thème du désarmement est loin d'être une affairerécente: les Pères de l'Eglise déjà, à l'aube du christianisme, avaient décidé, aux conciles de Nicée et de Clermont, de mettre «hors la loi les armes les plus cruelles ». L'Eglise catholique a poursuivi cette action, en prônant l'application (sous peine d'excommunication) de la « Trêve de Dieu », des journées où il était formellement interdit de combattre. Plus tard, en 1648, au lendemain de la guerre de Trente Ans, les négociateurs du traité de Westphalie ont évoqué l'officialisation des concepts de « désarmement régional » et « d'équilibre affiché des forces ». En 1899, la conférence de la Haye propose « l'arbitrage obligatoire », et en 1919, les Alliés ratifient la création de la Société des Nations, et sur les "quatorze points " de son Pacte, dit de Wilson, trois concernent ce souhait d'en finir avec l'utilisation de la guerre comme instrument privilégié de résolution des contentieux. Mais les résultats obtenus par la SDN, c'est le moins que l'onpuisse écrire, seront cruellement dérisoires...

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A la fin des années 1950,après l'échec cinglant des plans de désarmement général et complet (sic), lesarmes nucléaires vont devenir l'objet majeur, jusqu'au milieu desannées quatre-vingt, des principales négociations, notamment dans le cadredes discussions bilatérales américano-soviétiques.Les accords et les traités ne vont certes pas manquer : le but recherché par les deux grands, à cette époque, est d'obtenir des autres nations un engagement de renonciation àl'acquisition d'armes nucléaires. En termes de contrôledes armements, la stabilité stratégique impliquait que les deux superpuissances disposent de capacités militaires "essentiellement équivalentes", comme le soulignait la fameuse doctrine Kissinger: une équivalence n'impliquant pas l'égalité absolue de chacun des deux partenaires dans les différents secteurs des systèmes d'armes. Et, jusqu'en 1985/1986, chacun, de facto, s'est renforcé dans le système où son adversaire lui paraissait le plus menaçant.

Les exemples d'accords et de traités, y compris à partir des déclarations deNixon ou des Nations Unies, n'ont certes pas manqué durant la période1965/1985. Parmi eux, on peut citer une vingtaine de traités multilatéraux, à portéethéorique indéniable, mais aux conséquences concrètes plus que modestes. Leurs objectifs étaient d'éviter la militarisation, nucléaire ou non, de certaines zones; de geler ou limiter le nombre et les aspects qualitatifs des vecteurs d'armes nucléaires; de restreindre les essais ou systèmes d'armes; d'éviter la dissémination de certaines armes parmi les Etats; d'interdire certains moyens de guerre; de faire observer le droit international dans les conflits armés et de notifier préalablement certaines activités militaires ...La période 1970-1986 a été ainsi très riche en traités multilatéraux. Citons notamment les accords destinés à éviter la militarisation de certainsenvironnements :

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- la convention sur la modification de l'environnement du 5 octobre 1978 qui interdit « l'utilisation à des fins hostiles de techniques susceptibles de modifier substantiellement l'environnement »;

- le traité de désarmement sur le fond des mers et des océans du 18 mai 1972 (70 signataires) qui interdit de placer des armes nucléaires sur les fonds marins au-delà d'une zone de 12 milles mais pas d'installer sur ces mêmes fonds marins des bases de maintenance des systèmes d'armes nucléaires mobiles.

- le célèbre traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP) du 5 mars 1970 (114 signataires), qui visait à interdire les transferts d'armes nucléaires par les Etats dotés de ces armes et leur acquisition par ceux qui en sont dépourvus. Ce traité sera très vite sapé de facto, tant par la politique des fournisseurs de matières nucléaires que par le non-respect des obligations de désarmement contractées par les puissances dotées d'armes atomiques.

- la convention sur les armes biologiques du 10 avril 1972, entrée en vigueur le 26 mars 1975 (92 signataires) qui prohibent la recherche, le développement, la fabrication et l'usage de ces armes.

- la convention sur l'interdiction de l'utilisation de certaines armes conventionnelles, signée le 10 avril 1981, portant sur les systèmes d'armes « jugés excessivement pernicieux ou aux effets indiscriminés ».

- le Traité d'Interdiction partielle des essais, d'octobre 1967 (112 signataires), qui interdit les essais nucléaires dans l'atmosphère, l'espace extra-atmosphérique et sous l'eau. Ce traité a contribué à réduire la pollution radioactive provoquée par les explosions nucléaires, mais n'impliquait pas les essais souterrains.

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- le Traité sur l'espace extra-atmosphérique du 10 octobre 1967 (82 signataires) qui interdit la mise en orbite autour de la Terre, des armes de destruction massive... mais qui laisse l'espace libre quant au déploiement des autres systèmes d'armes.

- le Traité sur la limitation des essais souterrains, signé le 2 juillet 1974, qui limite la puissance explosive des armes nucléaires à 150 Kt. Un seuil si élevé que les principaux Etats concernés ont pu le signer sans réserve tout en poursuivant sereinement leurs programmes de développement!

Les Accords bilatéraux de SALT I et SALT II

La décennie 1970 va s'illustrer par la signature de deux accords bilatéraux majeurs, SALT I et son avatar SALT II qui induisent non pas un désarmement mais une limitation. SALT1, signé le 26 mai 1972, par le Président des Etats-Unis Richard Nixon et le n° 1 de l'Union soviétique, Leonid Brejnev portait sur la limitation des systèmes de missiles antibalistiques. Il stipulait que les Etats-Unis et l'URSS, « déclarent leur intention commune d'arriver à la date la plus proche possible à l'arrêt de la course aux armes nucléaires ». Si les articles 1 et 2 imposent effectivement une réduction incontestable d'un type particulier de défense, ils gèlent le nombre total des vecteurs. Mais le traité n'impose aucune restriction quant à l'amélioration qualitative des armes nucléaires, ni au nombre d'ogives équipant chaque missile... Rappelons que, dès 1974 et la rencontre bilatérale de Vladivostok, les Russes vont moderniser leur arsenal en mettant sur pied des engins balistiques marvés, puis mirvés. Et les Américains, tout en désarmant leurs missiles ABM 1, vont se lancer, entre 1974et 1977, via le complexe militaro-industriel, dans une R & D de plus en plussophistiquée. Comme l'écrivait le Général Pierre-Marie Gallois, « la période immédiatementpostérieure à la signature de SALT 1, présenté comme; un grand pas vers ledésarmement, a vu les Américains passer de quelques 8 000 ogives à plus de20 000 et les Russes en faire autant portant leur arsenal de destruction àdistance de 2 600 à 26 500 ». Les Etats-Unis et l’Union soviétique, loin de désarmer tout en feignant de désarmer, avaient 100 fois plus d'équipements que nécessaire pour exercer une dissuasion et ils étaient en mesure de raser mutuellement des centaines de fois leurs grandes villes, bref une course aux armements coûteuse devenue irrationnelle... Ces premières négociations ont largement contribué à renforcer des créneaux deproductions de plus en plus élaborés, au grand bénéfice du complexe militaro-industriel américain, d'une part, et du complexe militaro-bureaucratique soviétique,d'autre part.

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Compte tenu de l'obligation d'établir un bilan quinquennal del'application concrète du traité, le successeur de SALT I, nommé logiquement "SALT Il", sera négocié et signé à Vienne, le 18 juin 1979, par Jimmy Carter etLeonid Brejnev.Face à la dérive décrite plus haut, et suite aux multiples critiques émises notamment au sein desNations Unies, voire aux Etats-Unis eux-mêmes, les négociateurs de Salt Il vonts'efforcer de travailler sur le nombre total d'ogives équipant de facto lesvéhicules porteurs. Tout cela aurait effectivement pu aboutir à de probants résultats si Salt Il était entré en vigueur...On le sait, en vertu de la Constitution américaine, c'est le Sénat qui autorise ou pas la ratification des traités internationaux signés par le Président, ce qui est loin d'être évident, surtout quand la majorité sénatoriale n'émarge pas au parti du Président. La majorité républicaine refusa alors au démocrate pacifiste Jimmy Carter la ratificationde Salt Il pour, une fois encore, des motivations de pure géographie électoraleinterne.

Le dernier tiers de siècle (1985/2020) : du contrôle des armements au conceptde désarmement. Start I, Start II, Start III et New Start

Au plan des relations bilatérales, nonobstant l'implosion de l'Unionsoviétique, trois traités illustrent la période: START l, START Il, et STARTIII (New Start). Pour récapituler, START 1 (« Strategic Arms Réduction Treaty »), porte, non sur la limitation d'armes stratégiques défensives, mais sur la réduction des armes stratégiques offensives.Il est signé à Moscou le 31 juillet 1991 par Mikhaïl Gorbatchev et George H.Bush, et entre en vigueur le 5 décembre 1994, pour une durée initiale dequinze ans. Très ambitieux, Start 1 envisageait de réduire le nombre d'ogivesstratégiques déployées de 10 000 à 6 000 unités pour chacun dessignataires. Le bilan dressé à la fin de la période s'avère appréciable maisindéniablement plus modeste: on passe de 9 986 ogives américaines à 8 556 etde 10 237 russes à 7 449...

Quant à START Il, il est signé le 3 janvier 1993, par George H. Bush et le successeur deGorbatchev, Boris Eltsine, président de la nouvelle née Fédération de Russie, et il prévoit la réduction des deux tiers des arsenauxstratégiques. Il est ratifié par le Sénat américain en janvier 1996, maisseulement en avril 2000 par les Russes. Retard sans aucune conséquence,puisque Start Il ne sera jamais appliqué!

La suite n'est pas plus brillante en termes de réussite: le 24 mai 2002, George W. Bush etVladimir Poutine signent le Traité SORT,[« Strategic Offensive ReductionTraity »], ratifié le 8 mars 2003, traité qui confirme les trois phases de Start 1, projette un nombre total d'ogives déployées à l'horizon 2012 compris entre1 800 et 2 000 ogives, mais annule STARTII!

Enfin, STARTIII (généralement appelé « New Start ») est signé le 8 avril 2010, à Prague, par Barack Obama et Dimitri Medvedev. Il envisage une réduction de la capacité opérationnelle des deux camps à 1 550 têtes nucléaires. Il n'englobe pas les armes tactiques, limitant le nombre de lanceurs nucléaires stratégiques déployés à 700. Notons cependant que les Etats-Unis, en 2018, ont soutenu que pour le rendre plus crédible, l’accord Start III devrait inclure la Chine. Toutefois, Pékin, qui considère que son arsenal est encore bien trop inférieur à celui de Moscou ou Washington, a refusé d'y participer. Son expiration, le 5 février, a été source de tensions entre Washington et Moscou. En octobre 2020, les Etats-Unis avaient souhaité que la Russie gèle son arsenal nucléaire, une demande bien évidemment jugée "inacceptable" par le Kremlin. Toutefois, fin 2020, Américains et Russes semblaient s'être mis d'accord sur la possibilité d'un gel "conjoint" du nombre de têtes nucléaires, d'autant que Joe Biden a toujours été favorable aux traités de non-prolifération.

Au-delà de ce faisceau d'accords régionaux, le dernier tiers de siècles'est surtout illustré par trois traités majeurs, l'accord de Washington de 1987,celui de Paris de 1990 et le Traité CTBT de 1996.

- l'Accord de Washington:Signé entre les Etats-Unis et l’URSS le 18 septembre 1987, à la suite desrencontres de Reykjavik, qui portait sur le démantèlement progressif desforces nucléaires « intermédiaires », c'est à dire, par convention, à portéeinférieure à 5 500 kilomètres. Certes, mais ce type d'armes (bienmalencontreusement baptisées « euromissiles», au prétexte que les rampes de missiles russes basées sur le flancoccidental de l'Oural pouvaient menacer les principales capitaleseuropéennes), est en réalité singulièrement composite. Il regroupe les « Forces Nucléaires Intermédiaires », (FNI), à savoir tous les missiles deportée comprise entre 1 000 et 5 500 kilomètres ; les « Forces Nucléaires Intermédiaires à plus courte portée» (SRINF), une portée comprise entre 500 et 1 000 kilomètres; et les « Forces Nucléaires Intermédiaires à portée la plus courte» (SNI), c’ est à-dire inférieure à 500 kilomètres. L'accord de Washington laissait de côté ces derniers, ainsi que l'artillerienucléaire tactique et les systèmes basés à terre. Or, à cette époque déjà, rienn'empêchait techniquement d'équiper des sous-marins nucléaires de missiles de croisière. Bref, les accords de Washington, ont permis le démantèlement de 7 à 8% des forces nucléaires des deux superpuissances. A la date butoir de la fin du traité, un total de 2 692 missiles avaient été détruits, 1846 par l'URSS et 846 par les Etats-Unis.

- le Sommet de Paris, novembre 1990 et le traité d'Interdiction complète des essais nucléaires du 24 septembre 1996(TICN ou CTBT pour les anglophones), quiinterdit les quatre types d'essais nucléaires: atmosphérique, extra-atmosphérique, sous-marin et, fait nouveau, souterrain.Les cinq puissances membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU lesignent. L'Union indienne s'abstient. Mais pour qu'il puisse entrer en vigueur, ce Traité doit être ratifié par les 44 payspossédant des réacteurs nucléaires.Le 6 avril 1996, Londres et Paris sont les deux premiers membres du Clubnucléaire à le ratifier, après que la France ait procédé, en 1995, à huit ultimesessais dans le Pacifique Sud. En 2019, 183 Etats l'avaient signé et 28 ratifié.Parmi les 44 nations directement concernées, trois ne l'avaient toujourspas signé, l'Union indienne, le Pakistan et la Corée du Nord!Et cinq l'avaient signé mais pas ratifié, Israël, l'Egypte, l'Iran, les Etats-Unis et la Chine de Pékin.

Relance de la course aux armements sur fond de néo-Guerre froide... 

Les Etats-Unis, prisonniers d'une vision diabolisante de la Russie assimilée à un clone de l'URSS totalitaire, et donc d'une représentation stratégique du monde héritée de la Guerre froide, ont violé l'Acte fondateur OTAN-Russie de 1997 qui impliquait de ne pas faire intégrer dans l'Alliance les pays de l'ex-Pacte de Varsovie. Au lieu d'œuvrer à une alliance "panoccidentale" qui aurait donné toute sa place à la Russie face aux menaces communes, notamment chinoise et islamiste, les stratèges de Washington et les élites de McWorld n'ont eu de cesse d'exclure la Russie de l'espace occidental et de poursuivre l'encerclement du Heartland russe par les manœuvres de stationnement et d'extension, toujours plus vers l'Est, des forces de l'OTAN, jusque dans "l'étranger proche" russe: Pays baltes, Roumanie, Pologne, ex-Yougoslavie; Bulgarie, sans oublier la ligne rouge ukrainienne évoquée plus haut. Cet élargissement sans fin de l'OTAN vers l'Est et le soutien américano-occidental aux rébellions et oppositions antirusses en Géorgie, Ukraine, Kirghizistan, a contribué à rendre la Russie bien plus hostile encore envers l'Occident qu'elle ne l'était à la fin de la Guerre froide. Cette stratégie visant à encercler la Russie et la priver de l'accès aux Mers chaudes puis à tenter de compromettre l'élargissement de son marché gazier ouest-européen, est depuis le milieu des années 2000 (guerre d'Irak, révolutions de "couleurs" ou "velours" en Ukraine-Géorgie, etc), un véritable casus belli pour Moscou. En réaction, la Russie poutinienne a renforcé sa coopération avec tous les ennemis de l'Occident: Chine, Corée du Nord, Venezuela, Iran...[1]La conséquence directe de cette nouvelle Guerre froide, dramatique pour la sécurité collective et pour la Vieille Europe prise en tenailles, a été le retrait, à l'initiative des Etats-Unis, de nombreux accords de non-nuisances, de traités de non-prolifération (nucléaire et balistique), et de non dissémination (armes conventionnelles) qui a permis à Washington, dans le cadre d'une véritable relance de la course aux armements, de retrouver des marges de manœuvres non seulement vis-à-vis de la Russie, mais aussi de la Chine. Cette dernière n’étant en fait contrainte par aucun traité de désarmement passé ou présent, le développement massif de son armement nucléaire, balistique et conventionnel ne souffre plus d'aucune limite... D'évidence, ces retraits américains des grands traités de désarmement et de contrôle des armes, suivis des réponses russes équivalentes sur fond de tensions en Ukraine, au Moyen-Orient et en Syrie, ont rendu plus probable que jamais des conflits entre les deux anciens grands du monde d'avant, y compris nucléaires. Ce retour redouté des conflits interétatiques concerne au premier chef l'Europe, théâtre d'interposition majeure entre la Russie et les forces atlantistes, mais également le Proche-Orient (armées russe et américaines se faisant face en Syrie), la mer baltique, la mer de Chine et l'Asie en général (continent comptant le plus grand nombre de pays dotés de l’arme nucléaire : Chine, Taïwan, Corée du Nord/Corée du Sud, Pakistan/Inde). Ainsi, on notera qu'à peine un mois après la décision de Donald Trump de retirer les Etats-Unis du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaires (INF), en août 2019, Washington a procédé à l'essai d'un missile balistique de moyenne portée qui a atteint sa cible après plus de 500 km de vol et qui n’a pas manqué de faire réagir la Russie comme la Chine, laquelle a dénoncé la recherche systématique de supériorité militaire par les Etats-Unis au risque d'une relance de la course aux armements dans la monde.

A partir de 2010, les Etats-Unis ont ainsi mis en place par le biais de l’OTAN une véritable architecture globale de défense antimissile balistique en Europe (BMDE), couvrant cette fois tous les territoires des pays européens de l’OTAN et qui, au passage, encerclent la Russie, bien que prétextant être dirigés vers l’Iran... Ce système est objectivement destiné à rendre une frappe russe en retour impossible en cas d'une première frappe nucléaire de l’OTAN. En 2014, il a été poursuivi et amélioré par les Américains qui ont ensuite utilisé l’annexion de la Crimée comme prétexte pour implémenter des systèmes de détections radars de défense aérienne supplémentaires et des destroyers.

La course aux armements est donc loin d'être stoppée, car en réponse, les Russes développent leurs systèmes de défense: un des exemples les plus importants et inquiétants concerne les missiles hypersoniques Avangard, à la pointe de la technologie. Testé en 2018 et mis en service le 27 décembre 2019 (juste au moment de l'abandon du traité FNI), ce missile est extrêmement performant, évoluant à une vitesse moyenne de Mach 20 (le maximum étant Mach 27, tandis que les missiles guidés traditionnel évoluent aux alentours de Mach 5), et pouvant délivrer des charges nucléaires d’une puissance de 2 mégatonnes... Autre particularité, ils sont capables de voler à une altitude anormalement basse (rasage) qui rendent la détection difficile et trop tardive pour une réaction. Ils peuvent ainsi détruire les missiles intercontinentaux ennemis directement dans leurs silos, remettant en question l’efficacité même de la défense de l’OTAN. Ce système a rendu Vladimir Poutine particulièrement fier du fait que "personne d'autre que nous n'a d'armes hypersoniques"... Précédemment, la Russie a également mis au point un missile balistique intercontinental du nom de Satan 2 ou « RS-28 Sarmat », très furtif et qui serait capable de détruire un territoire comme la France en quelques secondes.

Washington se prépare à un affrontement direct contre la Russie, et cela de manière officielle, comme en témoignait le programme d’exercice « Defender 2020 », qui avait pour but de simuler l’attaque d’un des pays de l’OTAN. Pour cela, 37 000 soldats dont 20 000 Américains étaient attendus pour un budget de 315 millions d’euros, chiffre qui a finalement été considérablement réduit en raison de la pandémie (6 000 soldats américains). Cependant cela met clairement en lumière les objectifs de Washington : afficher leur domination sur l’Europe et leurs menaces à l’égard de la Russie, qui, hélas pour la sécurité européenne, a fini par en tirer les leçons et s'est elle-même radicalisée contre "l'Ouest" jusqu'à arriver à ce que Maria Zakharova, porte-parole du Ministère des affaires étrangères russe, a qualifié fin février 2022 de "point de non-retour" dans les relations Russie-Occident.

Cependant, en se concentrant depuis les années 2000 sur « l’ennemi russe », sans jamais avoir tenté une stratégie d'inclusion de la Russie lorsque celle-ci y était prête et le demandait (1991-2007), l’OTAN semble avoir oublié la Chine, pourtant beaucoup plus menaçante, à terme, d'un point de vue géocivilisationnel, économique et stratégique, que la Russie (pays assez pauvre), les forces armées américaines pouvant être dépassées dans quelques dizaines d'années par la Chine en cas de conflit dans le Pacifique. Ce déclassement a été favorisé par la priorité américaine accordée au Moyen-Orient et à la Russie. De plus, la plupart des bases militaires américaines du Pacifique-Ouest manquent d’infrastructures de défense et sont vulnérables. Enfin, il ne faut pas oublier que la Chine nucléaire possède aussi l’armée la plus vaste au monde avec plus de deux millions de soldats opérationnels (et 800 000 réservistes) et un budget de la défense presque trois fois supérieur à celui  de la Russie (172 milliards d’euros contre 64). En outre, elle a fortement investi dans les missiles balistiques de haute précision. Même si la puissance militaire américaine dispose encore d’une bonne marge de sécurité, dans un monde en évolution très rapide, les rapports de forces peuvent évoluer de façon surprenante. S’ajoute à cela le fait que la Chine développe elle aussi les armes hypersoniques, les outils de guerre informatique ou l’intelligence artificielle,  domaine dans lequel elle aurait quasiment déjà atteint l’égalité avec les Etats-Unis et les aurait peut-être même déjà dépassé notamment le domaine de l’informatique quantique. Un ennemi peut en cacher un autre... Et à force de désigner la Russie comme ennemi majeur depuis la chute de l'ex-URSS, elle a fini par le devenir réellement pour réagir à l'encerclement par les forces et les missiles et batteries de missiles des pays de l'OTAN à ses portes.

* Auteur de La mondialisation dangereuse, vers le déclassement de l'Occident (avec l'ex-président de la Sorbonne et géopolitologue Jacques Soppelsa), L'Artilleur, 2021.

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[1] Michel Geoffroy, La nouvelle guerre des mondes , ed Via romana , 2020

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