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Le dribble est né au Brésil pour "éviter les charges violentes des adversaires blancs."
Le dribble est né au Brésil pour "éviter les charges violentes des adversaires blancs."
©Flickr

Atlantico Lettres

"L’éloge de l’esquive" d’Olivier Guez raconte comment et pourquoi le dribble est né au Brésil. Une critique du journal "Service littéraire".

Pascal  Praud

Pascal Praud

Pascal Praud est Journaliste à I télé et chroniqueur pour le journal "Service Littéraire".

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Le foot raconte l’histoire des peuples. La thèse n’est pas nouvelle. On joue comme on respire. "Au Brésil, le ballon est une femme", rapporte l’écrivain uruguayen Edouardo Galeano. Le football ouvre les cœurs, miroir des uns et des autres. Dis-moi comment tu joues, etc. Au Brésil, on dribble parce qu’il faut feinter. Tromper la vie, embobiner son patron ou abuser l’état. “Éloge de l’esquive” raconte le Brésil des années 1900, l’abolition de l’esclavage, la ségrégation qui suit et comment ce climat a influencé le jeu de football : "Les premiers métis se travestissent. [Un joueur] s’enduit le visage de poudre de riz avant les rencontres." Le foot est anglais et les Anglais sont blancs. Arthur Friedenreich est la star des années folles, "un mulâtre aux yeux verts" qui invente des entrechats pour "éviter les charges violentes de ses adversaires blancs que les arbitres sanctionnent rarement." Le dribble nait comme ça. En biologie, on parlerait d’ajustement fonctionnel de l’être vivant au milieu ambiant. Darwin est footballeur. On dribble pour sauver sa peau.

"Les dribbleurs brésiliens sont les descendants d’esclaves." Rio 1830 en est peuplé, originaires d’Angola ou du Soudan. Quand en 1888, l’esclavage est aboli, la liberté encourage la ruse. La figure du malendro apparait : filou, truqueur, charmeur, escroc et roublard : "mi-canaille, mi-dandy". "Le dribbleur est le malendro du football" explique Guez. Les Brésiliens ont enchanté le football, réalisé des tours de passe-passe de 1958 à 1986, gagné parfois, séduit toujours. Seuls comptaient la beauté du geste et le jugement des esthètes. Le jeu était un plaisir, le footballeur, un magicien. Ces enfants de la balle ne grandissaient pas, naïfs jusqu’au suicide, bercés d’idées pures et de rêves offensifs. Qu’importe s’ils perdaient à condition qu’ils flambent un match.

Hélas ! Le jeu brésilien a trépassé. Il appartient au monde d’hier comme le télégramme ou la Renault 16. Il a disparu quand les meilleurs joueurs du pays ont quitté Botafogo ou Fluminense pour Milan et Madrid : "les gosses ne jouent plus dans les rues, partent trop jeunes en Europe". Les voyages forment la jeunesse, mais tuent l’inspiration. "Qui se souvient de la Seleção en 2006 ou en 2010 ?" s’interroge Guez. Garrincha est mort. Socrates est mort. Les marchands ont gagné. La Seleção vend du rêve sur carte postale et ses buts des temps anciens tournent sur YouTube. Olivier Guez aime son enfance, le jeu d’avant et les footballeurs sans protège-tibias. Il préfère les artistes aux bucherons et la littérature au journalisme. “Éloge de l’esquive” n’est pas un essai sur le football mais une histoire vraie que raconte un écrivain.

Éloge de l’esquive, d’Olivier Guez, Grasset, 107 p., 13 €.

Source : Service Littéraire, le journal des écrivains fait par des écrivains. Le mensuel fondé par François Cérésa décortique sans langue de bois l'actualité romanesque avec de prestigieux collaborateurs comme Jean Tulard, Christian Millau, Philippe Bilger, Éric Neuhoff, Frédéric Vitoux, Serge Lentz, François Bott, Bernard Morlino, Annick Geille, Emmanuelle de Boysson, Alain Malraux, Philippe Lacoche, Arnaud Le Guern, Stéphanie des Horts, etc . Pour vous y abonner, cliquez sur ce lien.

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