La médaille d’or française oubliée à Rio : celle de la rhétorique<!-- --> | Atlantico.fr
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La palme du fair play revient sans doute à la boxeuse Sarah Ourahmoune qui, après un combat final incertain jusqu’au bout, a déclaré que "la décision du jury était juste", invitant tout simplement à partager le bonheur d’une magnifique médaille d’argent.
La palme du fair play revient sans doute à la boxeuse Sarah Ourahmoune qui, après un combat final incertain jusqu’au bout, a déclaré que "la décision du jury était juste", invitant tout simplement à partager le bonheur d’une magnifique médaille d’argent.
©Reuters

Forme olympique

Petit retour sur les commentaires entendus dans les médias pendant les jeux de Rio mais aussi sur les beaux mots de nos champions.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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On se souvient de "l’incident Ronaldo" lors de l’euro de football : l’attaquant portugais, à entendre les commentaires de la quasi-totalité des médias français, semblait être tombé tout seul sur la pelouse du stade de France. Les jeux de Rio qui viennent de s’achever ont confirmé que notre art rhétorique national était décidément dans une forme olympique. Quitte à se faire à nouveau agonir d’injures par certains internautes, l’on ne peut donc se dérober à l’obligation d’une petite analyse du discours dominant, servi pendant 15 jours sur toutes nos antennes.

Les choses ont commencé très tôt avec l’épreuve de cyclisme féminin où la pauvre Annemiek van Neulen, a été victime d’une chute effroyable, tête la première, sur les pentes glissantes des collines brésiliennes. Et, tout de suite, la même phrase que lors de l’affaire Ronaldo, véritable formule magique quand un sportif connaît un malheur : "elle (ou il) le sait bien : CA FAIT PARTIE DU SPORT". A la condition bien sûr que le sportif en question soit étranger. Toute infortune touchant un compatriote, comme la terrible défaillance de Yohann Diniz au 50 kms marche (qui finira septième), connaît un tout autre traitement : "injustice du sort", "héroïque jusqu’au bout", "immenses efforts non récompensés", etc. 

J’entends déjà les protestations qui diront que cela est bien normal ; qu’une compétition fondée sur la rivalité entre pays (cf. le tableau des médailles égrené chaque jour) ne peut qu’exciter un nationalisme qui vaut tout de même mieux que la guerre pure et simple. Après tout, l’olympisme antique signifiait bien, par la trêve sacrée qui l’entourait, qu’il était déjà une alternative pacifique au conflit perpétuel entre cités grecques.

J’entends aussi l’indignation de ceux qui à juste titre feront la comparaison avec le déchaînement du public brésilien dès qu’un maillot jaune et vert était sur le terrain. A coup sûr les habitants de Rio méritent la médaille d’or du "chauvinisme", sous réserve que l’on accepte de leur transmettre ainsi la flamme de ce vrai trésor national. 

Mais les commentateurs brésiliens ont su déployer une habileté rhétorique admirable pour apaiser les observateurs étrangers. De Kuerten à Raj, ils ont reconnu d’emblée le problème avec un sourire désarmant, fidèles à l’enseignement des anciens orateurs, résumé par le grand spécialiste de rhétorique Chaïm Perelman : "Quand une objection grave peut peser sur tout le déroulement du discours, il ne sert à rien d’avancer des arguments qui seraient tous interprétés en fonction de cette objection. Il faut d’abord réfuter celle-ci pour laisser le champ libre à des interprétations plus favorables". Et nos amis brésiliens de mettre les réactions trop vives de leurs compatriotes sur le compte d’un enthousiasme encore "naïf" (sic). Nulle agressivité encore moins de méchanceté chez un peuple habitué aux seuls codes de la "football mania". Et voilà la cause brésilienne plaidée avec un talent qui, lui, n’avait rien de "naïf"…

Il est vrai que parmi nos commentateurs français, le discours a été fort différent entre les sportifs ou anciens sportifs d’une part et certains journalistes de l’autre : les premiers ont osé rappeler les exigences (et parfois les règles élémentaires) de la discipline, l’énormité de la concurrence et la nécessité de ne pas vendre trop tôt la peau de l’ours. Quand nos commentateurs comprendront-ils que le wishful thinking et les hurlements précipités du "c’est déjà gagné" mettent une pression contre-productive sur nos athlètes ? Voir les résultats du saut à la perche et du handball masculin…

Mais le talent rhétorique (dans le bon sens du terme) a été surtout la marque de nos champions, dont les leçons d’humilité, de grandeur d’âme et -osons le terrible mot anglo-saxon – le fair play ont été impressionnants. Hormis le cas Lavillenie, les déclarations des athlètes français ont été à la hauteur de leur qualité sportive. Loi qui se vérifie presque toujours chez les grands champions quel que soit le sport, de Drut à Federer, d’Estanguet à Bolt. Qualité de la formulation, vérité du sentiment, altruisme des remerciements, voire distance de l’humour. Aussi bien chez le coureur Pierre-Ambroise Bosse, chez les kayakistes et canoïstes multi-médaillés, que chez nos superbes cavaliers et autres escrimeurs qui ont la langue aussi fine que la lame. On pense aussi à la modestie en or de la judokate Emilie Andéol, avec ses larmes de joie, étonnée devant un triomphe que rien n’annonçait dans un parcours chaotique.

Mais la palme du fair play revient sans doute à la boxeuse Sarah Ourahmoune qui, après un combat final incertain jusqu’au bout, a déclaré que "la décision du jury était juste", nous invitant tout simplement à partager le bonheur d’une magnifique médaille d’argent, joyau ultime d’une carrière exemplaire.

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