La dynamique des 3 droites depuis 1958<!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen et Alain Juppé incarnent trois courants différents de la droite en France.
Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen et Alain Juppé incarnent trois courants différents de la droite en France.
©Reuters

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Alors qu'un sondage Ifop pour Atlantico dévoile ce mercredi 15 octobre les différences de positionnement au niveau de la famille centriste, la droite est composée de trois familles politiques différentes issues de la période post-1789, comme l'a étudié l'historien et politologue René Rémond : la droite légitimiste, la droite orléaniste libérale et la droite bonapartiste.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : En 2011 une étude Ifop pour la Lettre de l’opinion dévoilait une nouvelle typologie des droites divisées en quatre cette fois et non en trois comme le classait René Rémond : la droite républicaine-libérale (42 %), libérale sur le plan économique et plus ouverte sur les questions identitaires, plus âgée ; la droite nationale-populaire très sensible à la sauvegarde de l’identité nationale (27 %) ; la droite extrême proche du FN, plus féminisée, plus jeune et dont les catégories populaires sont surreprésentées (24 %) ; enfin la droite sociale-humaniste, très jeune et représentée par des catégories socio-professionnelles modestes (7 %). Que peut-on dire à propos de ces quatre familles ? Cette distinction est-elle pertinente ?

Jérôme Fourquet : On peut discuter de ces quatre classifications mais cela donnait une typologie. Je parlerais plus de clivages et en fonction de ça on peut avoir des recompositions : pro-européen et pro-mondialisation vs pro-souverainiste et protectionniste. L’un est plus libéral en économie et l’autre est plus modéré. Je rajouterais un troisième clivage entre une droite catholique qui défend les valeurs familiales et une droite plus moderniste et progressiste.

Aujourd’hui à droite les familles vont être constituées par leur positionnement sur ces trois clivages. Prenez Hervé Mariton qui est libéral pro-européen et pro-famille. François Fillon est plus libéral peu national et modéré sur la famille. Guillaume Peltier est aussi pro-famille, moins libéral qu’Hervé Mariton et plus national. Alain Juppé est aussi libéral et pro-européen qu’Hervé Mariton mais pas sur la même ligne au niveau de la famille. Ces trois clivages sont au cœur des interrogations actuellement sur le retour de Nicolas Sarkozy. L’ancien président se situe au barycentre des trois sujets. En dehors de ces trois clivages le clivage famille sur les valeurs sociétales a repris du poil de la bête lors du mariage pour tous et la droite se positionnait peu avant là-dessus.

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Bruno Cautrès :La pluralité au sein de la famille de la droite française est un thème qui ne cesse de susciter des analyses. Les tensions en son sein également. La droite est à la fois une famille politique et une faille politique recomposée, avec de réelles différences. On a d’ailleurs vu que la tentative de faire de l’UMP le parti unique de la droite n’avais pas totalement réussi. Sur le fond, il faut effectivement se rappeler de l’étude classique de René Rémond qui distinguait une "droite légitimiste", issue de la contre-révolution et anti-égalitaire ; une "droite orléaniste et libérale" qui accepte le drapeau tricolore, qui met l’accent sur le rôle des notables ; une "droite bonapartiste" (rôle du chef, recours plébiscitaire au "peuple" via le référendum). Depuis 1958, le tableau a bien sûr changé : le gaullisme ("droite bonapartiste") ou le centrisme ("droite orléaniste et libérale") ont profondément évolué : la composante "bonapartiste" de la droite ne peut plus être uniquement ramenée aux "néo-gaullistes", et ce d’autant que les "néo-gaullistes" ont été assez marginalisés dans l’UMP lorsque N. Sarkozy était au pouvoir. On a d’ailleurs souvent qualifié ce dernier de "bonapartiste" alors que le gaullisme de N ; Sarkozy est tout sauf évident. De même, le "libéralisme" tempéré des "orléanistes" a subi des inflexions : dans les années 1980, sous F. Mitterrand, cette composante de la droite est devenue très libérale au plan économique, allant chercher ses modèles de politiques publiques chez M. Thatcher ; puis cette composante de la droite est largement revenue sur ce choix, suite à la défaite de J . Chirac en 1988 pour incarner à nouveau un libéralisme soucieux du rôle de l’Etat (Alain Juppé aujourd’hui).  Par ailleurs, l’émergence du FN et sa consolidation par Marine Le Pen, ont introduit une forte perturbation de ce paysage.

Il faut ajouter que l’étude de l’IFOP se situait plutôt du côté des analyses des électeurs et de leurs valeurs politiques alors que celle de Rémond Rémond se situait au niveau des organisations partisanes, de leurs programmes et de leurs actions ou choix politiques. Cela explique les différences même si l’on retrouve par exemple dans la "droite-républicaine-libérale" des traits de la droite "orléaniste" par exemple. Les quatre catégories distinguées par cette étude de l’IFOP recoupent des réalités de la droite aujourd’hui : une partie des électeurs qui soutiennent Nicolas Sarkozy se retrouve dans la "droite-républicaine-libérale" ou une partie dans la "droite-nationale-populaire" ; la "droite-social-humaniste" se retrouve par les électeurs du centre droit ou encore parmi eux qui préfèrent Alain Juppé. Ce qui est intéressant, mais susceptible d’être discuté dans cette typologie est le cas de la "droite-extrême" : elle correspond assez bien à une partie des proches ou des électeurs du FN ; dans le même temps, on voit que la typologie ne prend pas en compte une des importantes sources de différenciation entre le FN et l’UMP : la question de l’Europe ou de la mondialisation, qui occupent une place importante dans la différence des deux formations politiques. 

Plus récemment, un sondage CSA pour Atlantico testait auprès des sympathisants de l’UMP plusieurs mots pour voir s’ils évoquent des choses positives ou négatives. La différence entre 2006 et 2014 est sensible sur plusieurs termes, comme "profit"  et "Etats Unis" qui ont gagné respectivement 11 % et 22 % tandis que dans le même temps de nombreux termes voyaient leur image baisser comme "libéralisme" (-7%), "UE" (-8%), "services publics" (-10%), "mondialisation" (-6%) mais aussi "immigrés" (-26%), "socialisme" (-20%) et "Islam" (-18%). Comment peut-on analyser ces évolutions et qu’est-ce qu’elles en disent sur les principales familles de la droite française ?

Bruno Cautrès : Si l’on prend le mot "profit", il est davantage accepté aujourd’hui en France comme un mot positif ; un certain nombre des mots-clefs qui constituaient de vraies frontières idéologiques entre la droite et la gauche sont moins marqués ou chargés symboliquement. Dans le même temps, entre 2006 et 2014, on voit l’effet de la grave crise économique que nous traversons : la mondialisation, l’Europe, l’Islam, les immigrés sont des mots que les sympathisants de l’UMP valorisent beaucoup moins aujourd’hui qu’en 2006. Cela atteste également que sous la triple impulsion de Nicolas Sarkozy, comme président puis comme candidat de l’UMP à la présidentielle de 2007, enfin comme président de la République, une forme de "droitisation" des références politiques des sympathisants de l’UMP a bien eu lieu. Rappelons-nous la création du Ministère de l’identité nationale ou encore le slogan "la France on l’aime ou la quitte" de la campagne de 2007. Cette évolution a été à la fois positive et négative pour l’UMP : positive car cela a permis, pour une large partie des sympathisants, de trouver une ciment idéologique (l’UMP avait été créée en 2002 par regroupement du RPR et de plusieurs composantes du centre-droit) qui a participé de la dynamique victorieuse de 2007 et qui avait permis à Nicolas Sarkozy de capter une partie des électeurs de Jean-Marie Le Pen de 2002; négative car cela a aussi créé des remous au sein de la famille de la droite et jusqu’en dans l’UMP avec des centristes ne se sentant pas à l’aise vis-à-vis de ces signes d’une certaine fermeture culturelle.

Au-delà, ces analyses montrent que le corpus des mots-clefs d’une formation politique peut connaître des inflexions ; mais on voit que ces inflexions sont limitées et que le cœur de la doctrine (opposition à la gauche) est toujours bien là. Ces analyses montrent bien aussi toute la difficulté de fédérer les différentes sous-familles de la droite. 

Plus généralement, quelles évolutions constatent-t-on au niveau des différents courants et des familles qui traversent la droite depuis la Ve République ? Comment se recomposent-elles tout en s'inscrivant dans la ligne des trois familles initiales de la droite décrites par René Rémond ?

Bruno Cautrès : Les trois types de droite distinguées par R. Rémond ont évolué fortement depuis 1958 même si des permanences historiques s'expriment au sein de la droite d'aujourd'hui. Ainsi, le centrisme a fortement décliné sous De Gaule puis s'est recomposé lors du septennat de V; Giscard d'Estaing avec la création de l'UDF. Celle-ci se situait bien dans la tradition "orléaniste". Mais depuis, le centrisme est assez divisé, traversé et clivé par la question de son alliance avec la droite de tradition plus "bonapartiste". Celle-ci a constamment privilégié le modèle du parti unique, avec un leader fort (Chirac, Sarkozy) et avec une volonté hégémonique sur la droite. La création de l'UMP a tenté de créer une dynamique unitaire entre néo-gaullistes de tradition plus "bonapartiste" et centristes de tradition plus "orléaniste". Mais cela n'a pas forcément bien fonctionné : des courants se sont mis a existé, y compris sous la forme de mini-partis, des divergences stratégiques et même idéologiques sont apparues. Quant à la droite "légitimiste", conservatrice, elle s'est exprimée à travers l'émergence du FN mais aussi à travers certaines franges de l'UMP. Comme on le voit, il, est difficile de définir  la diversité de la droite d'aujourd'hui dans les seuls termes du triptyque de René Rémond même s'il existe des permanences.

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