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L’aquaculture, un « remède » pire encore que le mal de la surpêche
©Reuters

Atlantico Green

Un poisson sur trois pêché dans le monde ne parvient jamais dans l'assiette, qu'il soit rejeté par-dessus bord ou pourri avant d'être mangé. Mais l'aquaculture n’est pas la solution.

Nicolas Fournier

Nicolas Fournier

Nicolas Fournier est en charge des questions politiques européennes pour Oceana en Europe, organisation non-gouvernementale internationale créée en 2001 dont l'objectif est la conservation des océans et la préservation des écosystèmes et des espèces marines en danger.

 

 

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Atlantico : Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), un poisson sur trois pêché dans le monde entier ne parvient jamais dans l'assiette, qu'il soit rejeté par-dessus bord ou pourri avant d'être mangé. Dans un même temps, un de ses rapports montre que la production totale de poisson a atteint un niveau record grâce à l'aquaculture. L'aquaculture constitue-t-elle un "solution miracle" selon vous afin d'obtenir un monde "exempt de faim et de malnutrition" ?

Nicolas Fournier : Non, l’aquaculture n’est pas une solution miracle pour nourrir l’humanité, ni une solution à la surpêche. L’aquaculture affecte directement les stocks halieutiques, notamment l’élevage de poisson carnivores comme le saumon, qui doivent être eux-mêmes nourris avec des poissons pêchés en mer par la pêche «minotière». Cette pêche, qui représente 12% des captures totales mondiales, cible des petits poissons pélagiques comme la sardine ou l’anchois, et ne fait que renchérir la surexploitation de la ressource halieutique… pour nourrir des poissons ! Par ailleurs il y a donc une perte de protéine nette, puisque pour chaque kilo de poisson élevé plusieurs kilos de petits poissons sont nécessaires, petits poissons qui pourraient parfaitement être destinés à la consommation humaine directe ! On estime qu'il faut entre 4 et 10 kg de poisson sauvage transformé en farine et huile pour produire 1 kg de poisson en cage. Développer ce type d’aquaculture n’est donc pas efficient, et au contraire,exacerbe le problème de surpêche.  

Néanmoinsune aquaculture durable, extensive, locale et de qualité - comme par exemples l’élevage d’espèces herbivores qui n’ont pas besoin de protéines animales -  peut offrir une alternativecrédible pour répondre aux défisalimentaires de demain.Mais la réalité est tout autre : on est très loin de ce modèle d’aquaculture vertueuse et durable.La plupart des poissons d’élevage vendus en France, somme le tilapia, le pangasius ou les crevettes tropicales, proviennent d’Asie ou d’Amérique centrale. Ces produits sont donc tous importés de l’autre bout de la planète et élevés dans des conditions difficilement contrôlables (intrants chimiques). Cette aquaculture, non respectueuse de l’environnement ou des conditions des travail, risque au contraire de d’être la cause de multiples problèmes à l’avenir !

Comment expliquer que la pêche sauvage continue d'avoir le vent en poupe malgré l'aquaculture ?

En réalité, il n’est pas correct de dire que la pêche sauvage a le vent en poupe. La situation globale des pêcheries est plutôt mauvaise : un tiers des stocks halieutiques sont surexploitées et la surpêche s’intensifie du fait de l’augmentation de la population et donc de la demande en poisson. Par exemple, la Mer Méditerranée, qui borde notre pays, est aujourd’hui la mer la plus surpêchée au monde, avec plus de 60% de ses stocks surexploités.

On assite donc à une transition progressive entre pêche sauvage et aquaculture, puisque les captures sauvages plafonnent depuis une vingtaine d’années. Or la croissance démographique mondiale tire la consommation de produits de la mer, notamment dans les pays en développement qui dépendent de la mer pour se nourrir (e.g. Afrique de l’Ouest, Asie ou Etats insulaires en Océanie).Ceci couplée à la hausse constante de la consommation de poisson par habitant, qui est passée de 9,0 kg en 1961 à 20,2 kg en 2015 au niveau mondial. La production aquacole progresse donc rapidement, mais sans toutefois remplacer la pêche sauvage qui continue de fournir une large partie des captures mondiales, environs 90 millions de tonnes par an. Mais la question est plutôt : pour combien de temps encore ?

La FAO signale que 35% des captures mondiales sont gaspillées. Comment l'expliquer et quelles peuvent être les mesures à prendre afin de les limiter ?

Ce gaspillage concerne essentiellement les phases de « après capture », de transformation et utilisation des poissons tout le long de la filière par les différents intermédiaires (grossistes, transformateurs) ou consommateurs finaux. C’est un facteur important de perte notamment dans les pays en développementdu fait d’insuffisances techniques et d’infrastructures, comme par exemple de mauvaises conditions de réfrigération (pourrissement). La FAO estime que la moitié de ce même gaspillage pourrait être évitée avec l’usage d’un meilleur équipement.

L’autre aspect du gaspillage concerne les rejets « avant débarquement », que sont les poissons rejetés des bateaux, souvent morts, en raison de leur taille ou de leur appartenance à une espèce non recherchée. Cette problématique se rencontre principalement avec la pêche au chalut, technique de peche connue pour sa faible sélectivité et son impacts environnemental dévastateur. En Europe la Politique Commune de la Pêche interdit la pratique des rejets en mer, même si la mise en œuvre de cette disposition rencontre des difficultés.

Quelles mesures prendre pour limiter la pêche sauvage tout en permettant de satisfaire la demande mondiale avec des poissons de qualité ?

La gestion des pêches doit suivre 3 règles simples :

  1. - Être strictement fondée sur les avis scientifiques, par exemple pour définir les quotas de peche indépendamment de facteurs politiques/économiques ;
  2. - Prendre des mesures efficaces pour réduire les prises accessoires et améliorer la sélectivité des engins de pêche ; et
  3. - Protéger les zones fonctionnelles importantes au cycle de vie des espèces (zones de reproduction ou de frai) pour ne pas pêcher sur ces zones par exemple !

En 2016, Oceana, en partenariat avec l’Université de Kiel en Allemagne, a estimé le potentiel de reconstitution des ressources halieutiques en Europe. Et le résultat est impressionnant puisque les captures de poissons pourraient augmenter de +5 Million de tonnes si tous les stocks étaient gérés de manière durable au Rendement Maximum Durable.

Les conclusions de l'étude démontrent aussi qu’une gestion durable de la pêche serait un puissant moteur de développement économique. Au niveau Européen, près de 5 millions d'euros de PIB pourrait être généré et plus de 90 000 emplois créés – dont 60% se situeraient plus en aval de la filière, dans des secteurs tels que l'alimentation et le commerce, le transport, les biens de consommation et le tourisme.

En France spécifiquement cela se traduirait par la création de 4 800 nouveaux emplois à temps complet et à 470 millions d'euros de PIB. Pour chaque nouvel emploi lié au monde de la pêche créé en France, c'est 1,6 emplois qui sont créés dans les autres branches de l'économie.

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