Jusqu'où la Chine est-elle prête à soutenir la Russie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine et le dirigeant chinois Xi Jinping lors d'une visite officielle du président russe.
Vladimir Poutine et le dirigeant chinois Xi Jinping lors d'une visite officielle du président russe.
©EVGENIA NOVOZHENINA / POOL / AFP

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Face aux menaces des sanctions internationales et avec l'évolution du conflit en Ukraine, la Chine est-elle un allié indéfectible de la Russie ?

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Les premiers contacts entre la Russie et la Chine ont commencé au XVIe siècle, lorsque les Russes se sont établis dans les vastes territoires de la Sibérie et de l'Extrême-Orient qui bordent l’empire du Milieu. Dès lors, une relation singulière s'établit entre d'une part la Chine, puissance démographique, et d'autre part une Russie essentiellement vide mais prête à entreprendre de grandes expéditions militaires pour assurer son extension territoriale. Bien que des évolutions aient eu lieu depuis cette période, les relations sino-russes, puis sino-soviétiques, auxquelles succèdent les relations sino-russes post-soviétiques, demeurent assez similaires, et les deux voisins partagent des objectifs stratégiques (notamment l'anti-américanisme) sans pour autant appréhender le monde de la même manière. 

Ainsi, bien que souvent décrite comme amicale, la relation entre Beijing et Moscou est bien plus complexe, marquée du sceau de la compétition et de la défiance. Derrière une rhétorique de coopération, l'influence croissante de Beijing inquiète Moscou autant que l'expansion de l'OTAN, tandis que Beijing considère l'approche belliqueuse de la Russie en Ukraine comme nuisible à ses intérêts économiques et stratégiques, et ce pour plusieurs raisons. 

Aux origines, les relations entre Union soviétique et République Populaire de Chine (RPC)

Bien que voisins de longue date, l'essentiel de la dynamique entre les deux puissances se structure pendant l'époque soviétique, au moment ou les deux pays alignent leur doctrine sur une idéologie commune, celle du Communisme. Bien que le stalinisme et le maoïsme ne soient pas comparables, les deux pays convergent alors sur l'idée d'une coopération anti-occidentale qui va les rapprocher. 

Dans ce contexte, l'URSS sera l'une des premières à reconnaître diplomatiquement la RPC en octobre 1949 et à lui apporter son soutient. A titre de comparaison, la France ne fera de même qu'en janvier 1964 et les Etats-Unis en janvier 1979. Cependant, la reconnaissance diplomatique n'est pas synonyme de bonne entente, et les frictions se multiplient rapidement. En juin 1959, Moscou refuse d'aider la Chine à se doter de l'arme nucléaire, et en 1964, Mao dénonce les empiétements territoriaux soviétiques, ce qui conduit au conflit frontalier sino-soviétique de 1969, puis à un rapprochement sino-américain lors de la visite de Richard Nixon à Beijing en février 1972.  

Si les tensions retombent alors même que l'URSS s'effrite dans les années 1980 (guerre en Afghanistan, Tchernobyl, conflit dans le Haut-Karabakh), la période soviétique est essentielle pour comprendre la méfiance de la Chine envers la Russie, Beijing gardant un arrière goût amère de la période sino-sovietique. 

Les relations sino-russes et l'élément perturbateur ukrainien

La chute de l'URSS a nivelé la relation sino-soviétique. En effet, les deux pays, qui souhaitaient promouvoir le Communisme, ne sont désormais ni plus ni moins que des riverains. Néanmoins, la Chine comprend que pour récupérer Taïwan, et surtout pour faire face au monde occidental, elle doit pouvoir compter sur le soutien de la Russie, faute de mieux. Moscou comprend également rapidement que la Chine, en raison de sa structure politique plus autocratique, peut la soutenir face aux démocraties occidentales. 

Cela dit, dans le contexte post-soviétique, les tensions sont croissantes car la Chine empiète de plus en plus sur la sphère d'influence russe. A ce titre, l'influence économique chinoise pousse progressivement Moscou hors de l'Asie centrale, et des projets tels que l'Union eurasienne (aujourd'hui Union économique eurasienne) sont à interpréter davantage comme une volonté russe de répondre à la présence de la Chine dans des pays comme le Kazakhstan que de proposer une alternative à l'Union européenne. 

De même, la Russie va rapidement souffrir d'un sentiment d'infériorité et de déclassement face à son voisin. Alors que le programme spatial russe tombe en désuétude, le programme spatial chinois s'impose comme une alternative à celui de la NASA, Beijing disposant du reste de sa propre station spatiale. Dans le secteur militaire, la Chine est également plus puissante que Moscou, avec des avions de cinquième génération comme le Chengdu J-20, alors que le Su-57 russe peine à entrer dans la phase de production de masse. Cette suprématie militaire de la Chine inquiète Moscou, qui constate que le seul domaine où elle a encore une avance technologique se limite au secteur des missiles hypersoniques, dans lequel la Chine dispose également de cette technologie avec le Dongfeng-17 / DF-ZF.

Pour résumer, la Russie a le sentiment d'être opprimée entre l'Union européenne et l'OTAN en Europe, et une Chine qui empiète sur son étranger proche, Beijing allant jusqu'à disposer de sa propre base militaire au Tadjikistan, pays portant membre de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) que domine la Russie. 

Tandis que le sentiment de déclassement à l'égard de la Chine s'accroît, les rapports entre la Russie et la Chine deviennent de plus en plus ambigus, tout comme ce fut le cas dans les années 1960. Comme le mentionnent les rapports de la CIA, la Chine n'a pas apprécié la reconnaissance diplomatique de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud par Moscou en 2008, Beijing craignant un effet domino et une reconnaissance diplomatique de Taïwan par l'Occident. De même, l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 a mécontenté Beijing, qui avait des intérêts économiques en Ukraine et envisageait même comme une troisième option, entre Moscou et l'Union européenne. À ce titre, la Chine ne reconnaît pas la Crimée comme une partie de l'Ukraine, ni l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud comme des pays indépendants. Dans une dynamique similaire, l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022 est encore plus malvenue pour Beijing, obligeant la Chine à faire preuve de réserve diplomatique. En partie à cause de cette invasion, l'Occident se réarme et sort de sa naïveté militaire, ce qui ne sert pas les intérêts de la Chine. Qui plus est, Taïwan craint un scénario à l'ukrainienne, et renforce sa relation avec les États-Unis. 

De toute évidence, cette guerre en Ukraine amène la Chine à se poser des questions sur sa relation avec la Russie, tout comme le font d'autres alliés de la Russie (l´Arménie, la Biélorussie et le Kazakhstan) qui sont amenés à soutenir la Russie dans un conflit qui ne leur apporte rien, ni territorialement, ni économiquement. 

La Chine manifeste ne cesse ainsi de multiplier les signes d'érosion de son soutien à la Russie. Le 22 février, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin, lors d'une conférence de presse, évite de faire le parallèle entre la revendication de la Russie sur l'Ukraine et celle de la Chine sur Taïwan. Le 23 février, l'ambassadeur de Chine aux Nations Unies, Zhang Jun, déclare que la Chine encourage les pourparlers de paix et maintient une position cohérente sur la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine qui est "empêtrée dans une toile historique". Le 3 mars, la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (AIIB) met toutes les activités relatives à la Russie et au Belarus "en attente et en cours d'examen", avant que Xi n'utilise le mot "guerre" lors de son appel avec ses homologues français et allemand. Pour ne citer que quelques exemples.

Bien qu'elle soit souvent mal interprétée en Occident, l'approche chinoise est considérée comme plus neutre par beaucoup d'Etats. Le président ukrainien Zelenskiy en août 2022, lors d'un événement à l'Université nationale australienne, mentionne qu'il "aimerait que la Chine se joigne à la position mondiale unifiée" sur la tyrannie de la Russie contre l'Ukraine, avant d'ajouter : "Pour l'instant, la Chine est en train d'équilibrer, et a effectivement une neutralité qui, je serai honnête, est meilleure que le fait que la Chine rejoint la Russie."

En résumé, l'approche de la Chine vis-à-vis de la Russie est pragmatique, voire opportuniste sur le plan économique. Beijing achète du gaz à la Russie, ce qui empêche d'étouffer l'économie russe, mais il faut aussi rappeler que Beijing achète à un prix plus bas que dans un contexte d'avant-guerre, pensant essentiellement à ses intérêts et non à ceux de Moscou. 

La question se pose alors de savoir ce que la Chine va faire dans les mois à venir, soutenir la Russie ou non ? La réponse à cette question peut être trouvée dans l'histoire des relations entre les deux pays. Le soutien de Beijing à Moscou ne se poursuivra que si la Chine peut tirer profit de cette relation. En effet, si la Russie gagne le conflit, ce qui semble toutefois peu probable, la Chine pourra prétendre avoir été un allié de la Russie en réservant son veto aux Nations Unies et en soutenant son économie. A l'inverse, si la Russie perd la guerre, Beijing pourra acheter des hydrocarbures russes à un tarif encore plus préférentiel, et totalement se substituer à la Russie en Asie centrale. Aux yeux de l'Occident, quelle que soit l'issue du conflit, la Chine apparaîtra alors comme un pays qui a su naviguer dans ce conflit sans trop de remous géopolitiques. À cet égard, la guerre en Ukraine est une aubaine pour la stratégie de communication chinoise, qui était au centre de l'attention des médias et perçue comme parfois plus dangereuse que la Russie avant l'invasion de l'Ukraine.  

Il ne fait aucun doute que Beijing fait preuve d'une rare subtilité diplomatique, et qu'elle continuera à le faire car, quelle que soit l'issue du conflit, elle est assurée d'en sortir gagnante, car le conflit en Ukraine affaiblit ses deux compétiteurs, l'Occident et la Russie, et comme le souligne Sun Tzu dans l'Art de la guerre, "la plus grande victoire est celle qui ne nécessite aucune bataille". En somme, il est dans l'intérêt de la Chine de ne pas intervenir en Ukraine, car elle gagne plus à rester sur place qu'à prendre position, ou comme le disait Sun Tzu : "Soyez extrêmement subtils au point d'être informes. Soyez extrêmement mystérieux jusqu'à l'insonorisation. De cette façon, vous pouvez être le directeur du destin de l'adversaire."

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