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Giletjaunisme radical : tous perdants ?
©François NASCIMBENI / AFP

Entropie

Les gilets jaunes « modérés » n’auraient pas grand-chose à gagner du modèle de société dont rêvent leurs congénères radicaux. Et des Champs-Élysées qui brûlent ne feront pas baisser le prix du diesel.

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Je sais bien qu’ironiser sur les gilets jaunes est la preuve que vous êtes « hors-sol » (expression pétaino-hydroponique en vogue) et que les problèmes des « petites gens » vous passent au-dessus de la tête mais, au lendemain d’un nouveau saccage des Champs-Élysées par une horde de loubards fluorescents, il semble qu’on soit désormais bien loin de la protestation initiale contre les taxes sur le diesel.

En quelques semaines, un mouvement spontané dont on pouvait saisir les ressorts et les objectifs et auquel des réponses concrètes pouvaient (et devaient) être apportées, s’est transformé en une déferlante violente et brouillonne à la représentativité introuvable.

D’un carrefour giratoire à l’autre —mais ça change tout le temps, il faut suivre—, on exige ainsi la démission de l’exécutif, la disparition du sénat, le rétablissement du septennat, la baisse des impôts, la hausse des allocations ou la baisse du prix des ratons-laveurs. Et si, d’aventure, le Premier ministre invite un « porte-parole » à lui faire-part des ses doléances, c’est pour l’entendre dire sur BFMTV qu’il ne représente que lui-même de toute manière et que d’autres porte-parole exigeraient plutôt le retour de l’ISF, le défaut sur la dette publique ou la fin des cotisations patronales. Ça dépend du rond-point.

On peut évidemment prendre de la distance face à ce fatras inintelligible (sur les télés étrangères qui diffusent, entre deux sujets « insolites », les images d’un Arc de triomphe vandalisé, on raille surtout ces Français qui passent leur temps à faire la grève ou à construire des barricades) ; on peut aussi se dire que, Noël venant, les casseurs finiront bien par rentrer préparer le réveillon comme les lycéens interrompent leurs blocages périodiques de bahuts au moment des vacances scolaires. On peut même philosopher sur les origines culturelles et historiques de ces jacqueries à répétition et les renvoyer à leur dimension folklorique…

On peut faire tout ça bien sûr mais, à observer la façon dont les Le Pen et les Mélenchon soufflent sur les braises avec enthousiasme, à faire le décompte des pays où des foules en colère censément avides de davantage de justice sociale se réveillent un matin avec un Viktor Orban ou un Jair Bolsonaro aux manettes, on se demande si nous ne pourrions pas, à notre tour, basculer dans ce n'importe quoi sans perspectives.

C’est certain, il y a chez nous des anticorps systémiques, des contre-pouvoirs, des garde-fous institutionnels, une sophistication politique qu’une Hongrie post-communiste ou un Brésil post-fasciste ne possèdent pas. Et au-delà du soutien apporté par une majorité de Français aux revendications d’origine des gilets jaunes, on présume qu’ils sont moins nombreux à rêver du modèle de société proposé par les ultras rouges ou bruns faisant le coup de poing place de l’Étoile. Mais on sait aussi, depuis Gustave Le Bon et sa Psychologie des foules, que les bouleversements majeurs que connaissent les sociétés sont souvent provoqués par des minorités radicales.

Si la tradition nihiliste du coup de balai sanglant qui remettrait les pendules à l’heure en remplaçant des « élites déconnectées » par d’authentiques « représentants du peuple » —ce mix étrange d’anarcho-autoritarisme spécifiquement gaulois— devait l’emporter, il n’est pas certain que que les « petites gens » aient grand-chose à y gagner, y compris sur le plan du pouvoir d’achat. Au contraire. Les « hors-sol », de leur côté, pourront toujours déménager.

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