Et au fait, une agriculture à la fois efficace et respectueuse de l’environnement, ça ressemble à quoi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une récolte d'orge, a Verrieres près de Remalard, dans le nord-ouest de la France, le 21 juillet 2021.
Une récolte d'orge, a Verrieres près de Remalard, dans le nord-ouest de la France, le 21 juillet 2021.
©JEAN-FRANCOIS MONIER AFP

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Contrairement au discours dominant, réduire l’empreinte environnemental de notre agriculture n’exige nullement une révolution agricole qui serait en rupture totale avec les progrès antérieurs de l’agronomie. Les outils existent déjà.

Philippe  Stoop

Philippe Stoop

Philippe Stoop est membre correspondant de l’Académie d’Agriculture de France, où il intervient sur l’évaluation des effets sanitaires et environnementaux de l’agriculture. 

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Ceci est la seconde partie de notre entretien avec Philippe Stoop. La première partie est disponible ici : Agriculture : un massacre made in France

Atlantico : Vous nous expliquiez la situation de l’agriculture française actuelle. Comment est-il possible d’envisager, aujourd’hui une agriculture à la fois efficace et respectueuse de l’environnement ?

Philippe Stoop : Contrairement au discours dominant, réduire l’empreinte environnemental de notre agriculture n’exige nullement une « 3ème Révolution Agricole », qui serait en rupture totale avec les progrès antérieurs de l’agronomie. Les outils existent déjà, il faut les combiner entre eux et accélérer leur développement sur le terrain :

Développer encore plus l’agriculture raisonnée, c’est-à-dire n’appliquer, grâce à l’agriculture de précision, que les intrants strictement nécessaires (engrais, pesticides, et eau pour les cultures) pour atteindre le potentiel de rendement de chaque parcelle

Développer les techniques de conservation des sols (travail du sol plus superficiel, présence continue d’un couvert végétal), pour préserver sur le long terme l’ « outil de travail » qu’ils constituent pour l’agriculteur, séquestrer plus de carbone dans les sols, et développer leur biodiversité.

Recréer plus de diversité dans les paysages agricoles, en restaurant les éléments non productifs de ces paysages (haies, bandes enherbées, jachères, mares et petits cours d’eau) qui ont été éliminés pendant la 2ème moitié du XXème) et aussi en élargissant l’éventail des cultures, en particulier en développant les légumineuses (pois, lentilles,…) qui peuvent remplacer en partie (mais en partie seulement) les protéines animales, et permettent de réduire les  besoins en fertilisation azotée.

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Ces mesures sont de loin les leviers d’action les plus efficaces pour réduire l’empreinte environnementale de notre agriculturs, ils ont de plus l’avantage d’avoir peu d’impact sur la production agricole globale de l’Europe, et sur le revenu des agriculteurs. On peut bien sûr aller plus loin, en décidant de s’orienter vers des agricultures plus extensives, comme le bio. Cela permet de réduire encore plus l’impact environnemental de chaque hectare cultivé, mais crée aussi une externalité négative, une baisse de la production, qui devra être compensée :

soit par une baisse de la consommation alimentaire européenne (ce qui est possible, en réduisant la consommation de viande),

soit par une augmentation de la surface agricole (certains pays européens, dont la France, pourraient se le permettre, mais pas tous)

soit par un recours accru aux importations… et en pratique c’est bien cette voie que l’on prend depuis 20 ans !

Le cadre réglementaire et législatif français et européen permet-il de mener ce genre de politique agricole doublement vertueuse ? 

Bien sûr, s’il y a une chose que l’on ne peut pas reprocher à la PAC (Politique Agricole Commune), c’est de manquer d’instruments pour orienter les pratiques des agriculteurs ! Ce qui fait défaut, c’est la cohérence dans l’utilisation de cette boîte à outils pléthorique, et l’évaluation préalable des impacts économiques et environnementaux des mesures politiques. L’UE nous en a fourni un superbe contre-exemple en 2020, avec ses premières annonces sur sa nouvelle politique Farm to Fork (de la ferme à la fourchette), qui prévoyait à la fois une réduction des rendements (par la limitation de l’usage des pesticides et des engrais), et une réduction des surfaces cultivées, sans la moindre étude d’impact ! Sous la pression des milieux professionnels agricoles, elle a fini par sortir après plusieurs mois une étude, selon laquelle ces mesures n’entraineraient qu’une perte de production  de 15%, alors que toutes les études indépendantes, y compris celles de la recherche publique (Université de Wageningen par exemple) trouvent entre -20 et -30%. En contrepartie, aucune étude ne montre que réduire les pesticides de 50%, comme le prévoit Farm to Fork, aurait le moindre effet détectable sur la biodiversité, ni bien sûr sur la santé humaine.

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Comment passer d’une agriculture dominée par des idéologies à une agriculture pour laquelle les solutions sont adaptées aux enjeux multiples que sont l’écologie et la souveraineté alimentaire ?

Pour cela, il suffirait de rétablir deux principes de responsabilité élémentaires, que l’on oublie toujours pour l’agriculture :

Se rappeler que l’agriculture sert avant tout à produire notre alimentation, et donc que son impact environnemental doit d’abord être calculé en fonction des quantités d’aliment produites, et non de la surface cultivée. Pour prendre une comparaison simple, on calcule l’impact d’une centrale énergétique en le ramenant aux MegaWatth produits, pas à la surface qu’elle occupe au sol. 

Ensuite partir du postulat, qui devrait être évident, que toute mesure agroécologique, si elle induit une baisse de rendement ou de la surface agricole cultivée, doit indiquer la perte de production agricole qui en résulte, et comment cette perte sera compensée : baisse de la consommation des citoyens européens, augmentation de la surface agricole européenne si la mesure porter sur le rendement, ou recours aux importations (et dans ce cas, préciser depuis quels pays). Pour reprendre la comparaison avec le cas de l’énergie, il ne serait venu à l’idée de personne de régler le problème de son impact sur l’effet de serre, en fermant toutes les centrales thermiques, sans chercher à savoir par quoi on allait les remplacer. C’est pourtant ce que l’on fait continuellement avec l’agriculture. La nourriture est-elle vraiment moins indispensable que l’énergie ?

Le simple respect de ces deux règles élémentaires suffirait à mettre fin à la pensée magique qui prévaut actuellement, selon laquelle il suffirait de réduire les rendements et de se reposer sur les  fameux « services écosystémiques » pour avoir une alimentation plus écoresponsable, en ne demandant des efforts qu’aux agriculteurs. 

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Le discours officiel sur l’agroécologie fourmille de dénis de la réalité, reposant sur des modèles statistiques complètement déconnectés des réalités observables sur le terrain. C’est ainsi que l’on en arrive par exemple à assurer que les agricultures extensives seraient plus résilientes sur les plans agronomiques et économiques que l’agriculture conventionnelle, bien que les dernières années nous aient montré que l’agriculture bio est tout aussi affectée que l’agriculture conventionnelle par les aléas climatiques, et que son modèle économique est encore plus fragilisé par la crise qu’a généré la guerre en Ukraine.

On critique souvent le « technosolutionnisme » du monde entrepreneurial, qui prétend régler tous les problèmes environnementaux par l’innovation technologique. Ces critiques sont souvent justifiées. Mais ne doivent pas faire oublier le « naturosolutionnisme » tout aussi débridé des partisans de la décroissance agricoles, qui à l’inverse prétendent régler les mêmes problèmes en s’appuyant sur les régulations naturelles. Sur une planète où l’homme et ses animaux d’élevage représentent désormais plus de 95 % de la biomasse de mammifères et des oiseaux, il devrait être évident que le retour à une agriculture traditionnelle n’est pas la solution. Imposer des études d’impact sérieuses, aussi bien économiques qu’environnementales, aux politiques agricoles, n’est pas qu’une nécessité économique. C’est bien sûr la seule façon de mettre fin à la spirale mortifère dans laquelle s’enfonce l’agriculture européenne, mais aussi de s’assurer que les politiques dites agroécologiques produiront réellement des effets bénéfiques pour l’environnement.

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