Est-ce que c'est grave de ne pas se souvenir de ses rêves ? <!-- --> | Atlantico.fr
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"Rêve d'Orient", tableau de Charles-Amable Lenoir.
"Rêve d'Orient", tableau de Charles-Amable Lenoir.
©Wikipédia commons

L'Atlanti-question du lundi

Pourquoi certaines personnes ne se rappellent-elles jamais leurs rêves ? Est-ce le signe qu’elles dorment mieux, plus longtemps ? Ont-elles, du coup, moins d’imagination ? Perd-on quelque chose à dormir d’un sommeil lisse et sans image ? Nous avons posé la question à la chercheuse Perrine Ruby qui, avec son équipe, a mis en évidence la grande différence entre les grands et les petits rêveurs…

Perrine Ruby

Perrine Ruby

Perrine Ruby est chercheur dans l’équipe Dynamique Cérébrale et Cognition du Centre de Recherche en Neuroscience de Lyon (CRNL) et Professeur à l’Université de Swansea (Royaume Uni). Elle s’intéresse à la cognition sociale au sommeil et au rêve avec des techniques comportementales et de neuroimagerie

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Barbara Lambert

Barbara Lambert

Barbara Lambert a goûté à l'édition et enseigné la littérature anglaise et américaine avant de devenir journaliste à "Livres Hebdo". Elle est aujourd'hui responsable des rubriques société/idées d'Atlantico.fr.

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Barbara Lambert : Certaines personnes ne se souviennent jamais de leurs rêves. Est-ce le signe qu’elles dorment plus ou mieux que les "rêveurs" ?

Perrine Ruby : Nous avons réalisé des études avec des gens jeunes, en bonne santé, avec un sommeil complètement normal. On ne peut donc pas dire que les grands rêveurs, que nous appelons, nous, « rapporteurs de rêve », sont des gens qui dorment mal, ou qui souffrent de problèmes de sommeil. La découverte que nous avons faite, c’est que les personnes qui se souviennent souvent de leurs rêves ont un temps d’éveil cumulé plus important au cours de leur sommeil que ceux qui s’en souviennent moins. En moyenne, les grands rêveurs ont des éveils d’environ deux minutes alors que les petits rêveurs ont des éveils d’environ une minute. Ce sont des éveils courts dont on ne se souvient pas forcément au réveil. Comme il y a plus d’éveil dans le sommeil des grands rêveurs, les gens se disent que leur sommeil est perturbé. Or ce n’est pas du tout le cas. Le sommeil des grands rapporteurs de rêve est normal : tous les paramètres de sommeil que nous avons mesurés sont dans la norme. Les grands rêveurs ont des phases d’éveil plus longues dans leur sommeil, mais leur sommeil reste normal. Il ne faut pas traduire le fait d’avoir plus de phases d’éveil pendant le sommeil par « sommeil fragmenté », encore moins par « mauvais sommeil ».

Cela veut dire que ce n’est pas la qualité du sommeil qui est en cause, mais la forme du sommeil ?

Voilà : ils dorment différemment, c’est tout. Ils ont une façon de dormir qui est différente, une organisation cérébrale qui est différente. Différent, ça ne veut pas dire « moins bien ».

Comment définiriez-vous, alors, la différence entre les "grands" et les "petits rapporteurs de rêve" ?

Ce que l’on peut dire d’après nos résultats, c’est que, les grands rapporteurs de rêve ont un cerveau plus réactif aux stimuli de l’environnement par rapport aux petits rapporteurs de rêve.Nous avons fait entendre à nos volontaires un enregistrement continu de sons simples parmi lesquels nous avions introduit, à intervalles réguliers, des prénoms, tantôt le leur, tantôt un autre qui ne leur était pas familier. Ces prénoms étaient présentés à un rythme aléatoire, donc ces personnes ne pouvaient pas s’y habituer. Ce que l’on a constaté, c’est que les grands rêveurs avaient une réponse cérébrale plus ample au moment où apparaissait le prénom. Nos résultats font apparaître que les gens qui se souviennent souvent de leurs rêves et ceux qui s’en souviennent rarement, en plus d’avoir des profils psychologiques différents, ont aussi des profils neuro-physiologiques différents.

C’est-à-dire ?

Je mets dans la case physiologique le profil de sommeil et la réactivité cérébrale, et dans la case psychologique les traits de caractère. Certaines études ont en effet montré que les grands et les petits rapporteurs de rêve avaient des personnalités différentes. A partir de tests utilisés en psychologie, une série de questions a été élaborée pour mesurer l’ouverture à l’expérience et la créativité des « sujets ». Il en est ressorti que les scores des grands rapporteurs de rêve étaient plus grands que ceux des petits rapporteurs de rêve. Plusieurs études ont également montré une corrélation entre petite fréquence de rapport de rêve et ce qu'on appelle "l’alexythymie". Ce trait de caractère désigne une difficulté à reconnaître ses émotions et à les exprimer verbalement. Plus ce trait de caractère est important, moins il y a de rapports de rêve. Ce que nous avons montré, nous, c’est qu’il y a un sommeil différent entre les deux groupes, mais également un fonctionnement cérébral différent.

Vous disiez que les grands rêveurs sont plus sensibles aux stimuli… Si la réaction à l’environnement est déterminante dans la production du rêve, cela veut dire que le rêve n’est pas seulement notre production à nous, qu’il peut être influencé par l’extérieur ?

Nous nous sommes intéressés à la fréquence, pas au contenu du rêve. Mais le fait qu’il peut y avoir une influence du monde extérieur sur le contenu du rêve a été largement démontrée. Il y a à la fois la vie personnelle qui influence le contenu du rêve, et les stimuli de l’environnement.

Et on peut estimer la part de l’extérieur dans la production du rêve ? C’est à 50-50 avec la part personnelle, individuelle ?

Cette information est difficile à évaluer. Ce qu’on constate, par exemple, c’est que les sportifs rêvent plus de sport que les musiciens qui, eux, rêvent plus de musique. Par ailleurs, on a pu observer que si on introduit des sons signifiants dans l’environnement du dormeur (prénoms de personnes proches du dormeur, ou mots faisant référence à ses préoccupations personnelles), il est très probable que les sons influencent le contenu du rêve.

Est-on en mesure de dire si c’est "mieux" de se souvenir de ses rêves ?

Nous n’avons aucun moyen de le dire. Cela fait partie des « légendes » qui circulent à propos des rêves. A en croire certains – sur quoi étayent-ils leur théorie ? -, si on ne rêve pas, on meurt. On ne sait même pas combien de temps on rêve par nuit, ni si le rêve sert une fonction, on n’est donc absolument pas en mesure de répondre à cette question. Tout ce que l’on peut dire, c’est que si on empêche quelqu’un de dormir, il est sûr qu’il va mourir. Il y a des gens qui disent qu’ils ne se souviennent jamais de leurs rêves et qui vont très bien. Le problème avec les personnes qui ne se souviennent pas de leurs rêves, c’est qu’on ne sait pas si c’est un défaut de souvenir ou si elles ne rêvent effectivement pas.

Est-ce que l’on dispose aujourd’hui de moyens permettant d’enregistrer l’activité du rêveur ?

On ne peut pas étudier l’activité du cerveau pendant le temps du rêve, parce qu’il n’y a pas de marqueur physiologique du rêve. Il y a des marqueurs physiologiques du sommeil paradoxal qui est associé à beaucoup de rapports de rêves. A la fin des années 1960, on a fait l’hypothèse d’une adéquation stricte entre sommeil paradoxal et souvenir du rêve. Depuis, on en est revenu parce que 20 % des réveils en sommeil paradoxal ne sont pas associés à des rapports de rêve et que jusqu’à 70 % des réveils en sommeil lent sont associés à un rapport de rêve. En fait, on a pu enregistrer des rapports de rêve dans tous les stades de sommeil, et dans des proportions importantes. Cela veut bien dire qu’on ne peut plus se contenter de l’étude du sommeil paradoxal pour étudier le rêve. Cela reste un modèle intéressant, mais on n’a pas les moyens de dire, quand quelqu’un dort, s’il est en train de rêver ou non.

Dans la mesure où l’on sait qu’il faut plus de phases d’éveil dans le sommeil pour être en mesure de se souvenir de son rêve, peut-on, du coup, provoquer un souvenir de rêve ?

Si je me base sur les travaux existants, j’aurais tendance à dire qu’il y a deux facteurs déterminants pour se souvenir du rêve : d’abord, porter son attention sur la question du rêve, s’intéresser à cette question-là. On ne sait pas l’expliquer, mais le fait de s’intéresser au rêve favorise le souvenir du rêve : cela a été constaté. Deuxième facteur déclenchant : se réveiller plusieurs fois au cours de la nuit. Si vous mettez votre réveil à plusieurs heures de la nuit, vous allez forcément avoir un souvenir de rêve à un moment ou un autre. Si vous préférez dormir la nuit plutôt que de vous réveiller, vous pouvez aussi faire un carnet de rêves, c’est-à-dire noter tous les matins en vous réveillant ce dont vous vous souvenez si vous vous souvenez de quelque chose. Le fait de pratiquer cet exercice-là augmente significativement la fréquence de rapports de rêve. Et cela, très rapidement : dans les semaines qui suivent.

Il arrive parfois que, dans un état de demi-sommeil, on ait conscience qu’on est en train de rêver et qu’on ait même l’impression de pouvoir orienter, diriger son rêve…

Cela s’appelle un rêve lucide. Arte a réalisé un excellent documentaire sur le sujet, qui s’appelle « Le mystère des rêves lucides ». Un rêve lucide, c’est quand on est en train de dormir et que tout en étant endormi, on a conscience qu’on est en train de rêver. Cela peut s’arrêter là, mais il y a certaines personnes qui réussissent à prendre le contrôle de leur rêve. Et qui, d’ailleurs, parfois, s’entraînent à provoquer des rêves lucides.

Comment est-ce possible ?

Le pionnier et spécialiste de la question est un canadien, prénommé Stephen Laberge. Il propose notamment des méthodes pour augmenter la fréquence des rêves lucides. La conclusion des quelques rares études qui ont pu être menées en laboratoire, c’est que le rêve lucide correspond à un état intermédiaire entre le sommeil paradoxal et la phase d’éveil. C’est un état particulier. Les gens qui se sont intéressés aux rêves lucides ont constaté que leur fréquence est faible dans la population. Il y a beaucoup de gens qui ont fait un rêve lucide dans leur vie, mais très peu qui en font régulièrement. Je ne pense pas qu’un rêve soit fait pour ça, pour être « dirigé ».

Est-ce que le fait de moins se souvenir de nos rêves signifie qu’on est un peu moins nous-même ?

Il faut garder en tête que le rêve est un domaine sur lequel on sait très peu de choses et qu’il est très difficile d’explorer. On n’en est qu’aux tout débuts de la compréhension du rêve. Rien n’indique aujourd’hui que se souvenir de ses rêves, c’est mieux que de ne pas s’en souvenir. Pour pouvoir répondre à cette question-là, il faudrait qu’on puisse répondre à la question de la fonction du rêve. Or, pour l’instant, on n’a que des hypothèses…

Quelles sont-elles ?

Il y a une hypothèse qui est très en vogue, c’est que le rêve jouerait un rôle dans la consolidation de la mémoire. De nombreuses études ont montré que le sommeil permet de consolider des choses que l’on a apprises dans la journée. A partir de là, plusieurs se sont dit : si le rêve apparaît durant le sommeil, cela veut dire que le rêve permet aussi de consolider la mémoire. Pour autant, quasiment aucun résultat expérimental n’argumente en faveur de cette hypothèse. Il y a d’autres hypothèses, plus intéressantes à mon sens, selon lesquelles le rêve favoriserait la créativité ou la régulation émotionnelle.

Parce que, comme vous avez pu l’observer, les grands rêveurs sont plus créatifs ?

Nous, non, mais d’autres équipes ont effectivement montré une corrélation positive entre fréquence de rapport de rêve et créativité. L’hypothèse, c’est que le rêve qui, dans le sommeil, fait des associations bizarres et improbables entraînerait ainsi la pensée à plus de flexibilité et à faire des associations originales. Le rêve lancerait des pistes et permettrait de cultiver une certaine créativité cérébrale, en matière de connections, notamment. C’est une idée vraiment intéressante parce que cela voudrait dire que le rêve joue bien un rôle dans la survie de l’individu. Il se trouve que par ailleurs, on ne dispose pas de substrat physiologique ou psychologique pour expliquer la créativité. Il existe une autre hypothèse également intéressante selon laquelle le rêve jouerait un rôle dans la régulation émotionnelle. Michel Jouvet a, lui, avancé l’idée que le rêve jouerait un rôle dans l’individuation psychologique, dans le maintien de la personnalité au fil du temps. Cela, aussi, paraît pertinent. Et puis, il y a, bien sûr, l’hypothèse de Freud selon laquelle le rêve serait un lieu privilégié de l’expression de l’inconscient. Enfin, il faut aussi envisager l’hypothèse que le rêve n’a peut-être pas de fonction…

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