Des mots, des mots, des mots... Quand François Hollande part à la reconquête de l'Elysée avec une obsession rhétorique qui pourrait vite se retourner contre lui <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Des mots, des mots, des mots... Quand François Hollande part à la reconquête de l'Elysée avec une obsession rhétorique qui pourrait vite se retourner contre lui
©Reuters

Rhétorico-laser

Le "beau discours" de François Hollande salle Wagram n’a guère été convaincant sur le fond, délaissé pour des procédés rhétoriques qui peuvent aisément se retourner contre leur auteur.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
Voir la bio »

On nous l’aura répété à satiété sur tant de médias, et pas seulement gouvernementaux : le Président(candidat) a fait un "beau discours" à la salle Wagram : formules ciselées, images frappantes, questions rhétoriques et, bien sûr, anaphores, le tout accompagné d’un vrai engagement corporel de l’orateur. Etait-ce enfin le retour du François Hollande inspiré, celui du Bourget, que l’on n’avait entendu qu’une seule fois depuis 2012, devant le Congrès réuni en janvier dernier ? 

Pourtant l’impression l’a emporté très vite que l’intervention présidentielle était restée loin du compte, c’est-à-dire de la question posée qui n’avait rien d’anecdotique : "la démocratie face au terrorisme". 

Voilà qui aurait demandé une argumentation solide et d’abord des définitions précises des termes clés : "démocratie", "république" "islamisme", "Etat de droit", "France" (une "idée", mais laquelle ?). Et une thèse claire : a-t-on, oui ou non, tout fait contre le terrorisme dans le cadre de cet Etat de droit ? Rien de tout cela. Ce qui est un peu ennuyeux pour un discours, supposé de fond, prononcé devant deux distingués "think-tanks"…

Ah ! C’est vrai, il y a eu ce très beau moment sur "les arguties juridiques", véritable feu d’artifice oratoire. Le procédé s’appelle la "rétorsion" : elle consiste à reprendre l’expression de l’adversaire (devinez qui ?) pour la retourner contre lui afin d’en monter l’absurdité et/ou le danger. 

Mais la manœuvre est des plus risquées car elle invite à la contre-rétorsion. Appliquons-la à F. Hollande sur son propre totem, "l’Etat de droit" :

"Etat de droit, un Etat où la justice n’est pas un Pouvoir mais, aux termes mêmes de la Constitution, une simple "autorité" ?

Etat de droit, une justice où le parquet reste soumis à la Chancellerie, comme nous en fait régulièrement grief la Cour européenne des droits de l’homme ?

Etat de droit, où le même parquet dresse des réquisitions plus étendues que celles de l’instruction contre un adversaire majeur du Pouvoir ? Et les publie par "pur hasard" (sic) le jour même où s’ouvre le procès d’un ancien dignitaire dudit Pouvoir ?

Etat de droit, quand 100 000 peines de prison sont en attente d’exécution ?

Etat de droit, quand les dépenses de justice par habitant sont parmi les plus faibles de l’OCDE ?

Etat de droit, quand des individus, dont la dangerosité n’est pas "supposée" mais avérée, sont laissés en liberté ou en semi-liberté ?

Etat de droit, quand la surpopulation carcérale atteint un sommet historique parce que l’on a refusé délibérément la construction des places nécessaires ?

Etat de droit, quand la jungle des migrants de Calais grossit de jour en jour dans l’illégalité et la misère absolues ?

Etat de droit, quand des dizaines de décision de justice demeurent inexécutées à Notre Dame des Landes ?

Etat de droit, quand la loi sur la Burqa n’est plus appliquée de peur de soulever les "quartiers" ?

Etat de droit, quand "la liberté d’aller et venir", si chère au Président, est réduite à néant par des groupuscules politiques ou syndicaux ? 

Etat de droit, quand l’inégalité des droits sociaux est sans cesse accrue entre secteur public et secteur privé ?

Etat de droit, quand l’Etat s’exonère des règles, normes et contrôles en tout genre, dont il accable les entreprises ?   

Etat de droit, quand l’on a soi-même fait adopter l’une des lois les plus liberticides de la Vème République, celle sur le Renseignement ?

Etat de droit, quand l’on a, soi-même encore, proposé de constitutionnaliser l’état d’urgence qui est bel et bien l’un de ces "états d’exception" que l’on prétend honnir ?"

Nous voilà, sauf erreur, à 15 termes pour l’anaphore… Comme pour un certain "Moi, Président".

Mais que le lecteur n’attende pas que la droite réponde du tac au tac, ni à l’anaphore par l’anaphore. Comme Nicolas Sarkozy en 2012, tétanisé par le "Moi-Président", elle laisse passer la charge.

Et ce, pour deux (tristes) raisons :

La première, de fond, est que la tradition majoritaire de la droite française est au moins aussi liberticide que celle de la gauche. On l’a bien vu lors du vote massif de la loi sur le Renseignement.

La seconde, de forme, tient à sa faiblesse rhétorique ; pire, à son désintérêt pour la rhétorique dont elle a, sauf en 2007, laissé le monopole à la gauche depuis la victoire de F. Mitterrand en 1981.

Quand viendra donc, et par qui, son grand réveil oratoire ? 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !