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De la "sécu" au "49-3" : François Fillon et Manuel Valls pris au piège mortifère de la contradiction
©Reuters

Rhétorico-laser

La semaine écoulée aura vu deux des grands noms de la course présidentielle mis en difficulté par leurs propres revirements. Gare aux effets délétères et durables sur leur crédibilité !

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Sans doute la situation des deux hommes et le sujet de la controverse sont-ils fort différents : Manuel Valls n’en est qu’au début d’une primaire fort incertaine pour lui, alors que F. Fillon est sorti grand vainqueur de la sienne. Le premier a anticipé la reprise d’une attaque sur son exercice du pouvoir, alors que le second a réagi à une polémique qui gonflait de jour en jour sur la distinction entre "grands" et "petits" risques en matière de santé. 

Il reste que les calculs politiques sont finalement assez proches dans les deux cas : pour le candidat à la primaire de la gauche, désamorcer la coalition montante du "Tout sauf Valls" qui aurait pu aisément prendre pour mot d’ordre "A bas Monsieur 49-3 !" ; pour François Fillon rassurer la droite juppéiste tout juste ralliée et surtout un électorat (même à droite) attaché au totem de la "Sécu".

Mais le succès d’un tel calcul est tout sauf assuré et pour la même raison dans les deux cas : la contradiction avec leurs positions précédentes met en péril leur CREDIBILITE, sans laquelle aucun discours de leur part ne peut être reçu.

Certes, Manuel Valls a eu l’habileté de ne pas cacher son revirement, instruit, a-t-il dit, par son expérience de Premier ministre qui y a eu tant recours. Mais ce renversement de l’argument pousse le paradoxe un peu trop loin. F. Fillon, lui, n’a pas voulu reconnaître son changement de cap et, de "malentendus" en "précisions" et autres "approfondissements", les éléments de langage ont déferlé dans les médias.   

Or, nier l’évidence de ce revirement -attestée par la suppression de la mesure controversée sur son site – non seulement ne sera pas efficace mais ajoutera à la confusion et à la polémique. Quitte à changer de position, il valait mieux le reconnaître d’emblée et mettre le sujet derrière soi. Il y avait bien des façons de le dire, surtout quand on est un aussi fin rhéteur que F. Fillon. Il vient encore de le prouver dans sa tribune du Figaro sur la question. Mais justement : cette tribune montre qu’il avait toutes les raisons et toutes les armes pour justifier la proposition attaquée, quitte à la conditionner à l’audit annoncé des comptes sociaux. Ceux-ci sont en effet bien loin de "l’équilibre" proclamé par la langue de bois socialiste et repris en chœur par trop de médias complaisants : 6,9 milliards d’euros de déficit prévus pour 2016 et plus de 10 milliards l’an prochain. Pourquoi la droite ne martèle donc pas ces chiffres au lieu de se perdre en circonvolutions rhétoriques ? En reculant trop vite, François Fillon ouvre la boîte de Pandore : la suppression de 500.000 postes d’agents publics est déjà sur la sellette en attendant les 100 milliards d’économie budgétaire, la dégressivité des allocations chômage etc. Nul doute que les adversaires (voire certains "amis") vont dérouler toute la pelote. 

La réaction de l’opinion (sondage JDD) est sans surprise : même si 72% des Français approuvent le recul sur la Sécu, la crainte devant la "radicalité" du programme Fillon reste presqu’aussi élevée qu’auparavant (-2 points), tandis que la croyance dans sa capacité à réformer le pays subit une érosion significative ( -9 points). C’est ce qui s’appelle perdre sur les deux tableaux.

Mais Manuel Valls commet une erreur au moins aussi grande en minant sa réputation d’homme d’autorité, symbolisé par l‘usage du 49-3 contre l’agitation irresponsable des Frondeurs. De plus, sur le fond, cette suppression est une mauvaise idée qui rendra le pays encore moins gouvernable. Enfin, sur le plan stratégique, en se posant dès avant le premier tour de la primaire comme "le rassembleur" des socialistes, il se trompe de scrutin, exactement comme l’avait fait à droite Alain Juppé. D’autant plus qu’à la différence de ce dernier, Manuel Valls n’a ni l’image ni le caractère d’un "rassembleur-de la famille" et c’est justement cela qui a fait sa fortune politique. En adoptant cette posture à contre-emploi, c’est cette fois l’erreur de Nicolas Sarkozy qu’il reproduit.

Au fond, les deux candidats ont oublié deux règles fondamentales de la rhétorique politique :

1/ le discours tenu doit être en adéquation absolue avec la personnalité et les valeurs de l’orateur, son ethos comme disait Aristote.  

2/ le vrai "rassemblement" s’opère par le ralliement de l’électorat sur une thèse claire et une solution crédible, non pas sur le plus petit commun dénominateur de l’opinion.

Règles qui doivent inviter les deux hommes à méditer sérieusement cet épisode et non à le réduire, comme le voudraient les communicants, aux péripéties d’une "séquence" qui, fêtes aidant, serait vite oubliée. L’histoire politique française est pleine de ces "séquences" qui ne veulent pas cesser.

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