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La politique et la stratégie de Joe Biden face à Vladimir Poutine va-t-elle s'avérer payante ?
La politique et la stratégie de Joe Biden face à Vladimir Poutine va-t-elle s'avérer payante ?
©ANGELA WEISS, ALEXEY DRUZHININ / AFP

Géopolitico Scanner

Alors que se poursuivent les efforts diplomatiques pour désamorcer la crise autour de l’Ukraine (notamment via la rencontre entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine), le déploiement de soldats russes en Biélorussie a été dénoncé par Kiev. Washington incite ses ressortissants à quitter l’Ukraine immédiatement.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Ce conflit existentiel russo-ukrainien alimenté par la nouvelle guerre froide russo-occidentale peut-il vraiment être résolu autrement que par la guerre?

Depuis la chute pacifique et l’éclatement de l’URSS, la Russie, pays où il existe un taux d'imposition forfaitaire de 13 % (flat tax) digne d’Andorre ou de Monaco, n’a plus rien à voir avec l'Union soviétique. Les menaces géopolitiques majeures pour le modèle capitaliste occidental et les démocraties se trouvent plutôt du côté de l'islamisme radical, de la Turquie post-kémaliste néo-ottomane, des nouvelles mafias transnationales, des phénomènes d'ensauvagements et de fractures ethno-religieuses, et bien sûr du modèle antidémocratique chinois néo-maoïste. Mais les pays de l'Alliance atlantique, Etats-Unis en tête, ne semblent pas avoir changé de logiciel géostratégique. Les Etats-Unis, l’Europe et l'OTAN ont donc continué à penser la Russie comme le clone monstrueux de l’Union soviétique, un ennemi majeur. Les Etats-Unis, l'OTAN et l'Union européenne - vassalisée depuis 1950 - ont étendu leur puissance vers l’Europe centrale et orientale, jusqu’aux pays baltes et aux Balkans, ce qui a été ressenti par la Russie comme une humiliation, car il s'agit de son ancienne zone d'influence du temps de la guerre froide. Or, en 1994, puis en 1997, le prédécesseur et parrain politique de Vladimir Poutine, Boris Eltsine, avait ratifié le Partenariat pour la paix de l’OTAN, puis le Partenariat OTAN-Russie qui devaient permettre une coopération et tourner définitivement la page de la guerre froide. Il n'en était rien: les ingérences occidentales qui ont pris la forme d'interventions militaires directes en ex-Yougoslavie, en Irak ou en Libye, ou celles indirectes contre la Russie en Géorgie, en Tchétchénie, ou en Ukraine, sans oublier l’obsession américaine de renverser la dictature prosoviétique de Bachar al-Assad, ont dangereusement interrompu ce processus en poussant la Russie eltsinienne et poutinienne, qui avait initialement tout fait pour se rapprocher de l'espace occidental, à devenir un ennemi. Après l'Irak, la goutte d'eau qui fera déborder le vase sera le soutien américano-européen aux forces ukrainiennes anti-russes entre 2004 (révolution orange) et 2013-2014 (seconde révolution ukrainienne ou Euromaïdan) puis aux forces révolutionnaires arabes islamistes tournées contre l'allié majeur de la Russie en Méditerranée arabe, la Syrie. Ici, comme en Crimée ukrainienne, la stratégie américaine de changements de régime visait ni plus ni moins à faire perdre à Moscou le contrôle de ses bases militaires stratégiques installées depuis des décennies à l'Ouest de la Syrie (Tartous) et à Sébastopol, en Crimée, sans lesquelles la Russie perd son accès vital à la Méditerranée orientale et son statut de puissance maritime. La suite, ou plutôt la réaction, est connue: double intervention militaire russe spectaculaire en Syrie, pour sauver Bachar al- Assad de l'offensive des rebelles islamistes et djihadistes, puis en Crimée, avec l’annexion de celle-ci par la Russie, et en Ukraine orientale (Donbass). Dans les deux cas, les Russes ont conservé leurs acquis stratégiques sur leurs flancs sud.

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Prétextant de la menace croissante russe dans le contexte de la guerre civile ukrainienne et de l'annexion de la Crimée, les Etats-Unis, en guerre géo-énergétique avec la Russie pour l'approvisionnement en gaz de l'Europe (gaz russe versus gaz de schiste américain), firent adopter par l'ensemble des pays occidentaux des sanctions américaines et internationales contre la Russie, de ce fait poussée dans ses retranchements. A cet égard, les premières déclarations et décisions du président Joe Biden, pourtant supposé être plus mesuré que son prédécesseur Donald Trump, n'ont pas été dans le sens de l'amélioration des relations russo-américaines : après avoir qualifié Vladimir Poutine de "meurtrier", Joe Biden avait accusé la Russie durant l'été 2021 de tenter de continuer à influencer la politique intérieure américaine (comme si l'inverse n'était pas vrai...). Biden fit donc tout pour renforcer les sanctions contre Moscou en mettant sur une liste noire 35 personnes morales et physiques russes, mais aussi interdit aux entreprises et citoyens américains d'acquérir et acheter des bons du Trésor russe destinés à financer la dette de la Russie. Si un conflit de haute intensité devait éclater entre les forces atlantistes et la Russie, l'image d'un Trump violent et d'un Biden pacifique ne sera plus tenable, même par les médias démocrates.

La Russie, une menace plus grande que le terrorisme islamiste pour les atlantistes...

Si l'on en juge par les déclarations officielles de responsables atlantistes, par les mouvements de troupes en direction du Nord de l'Europe et de l'Europe orientale au détriment du Moyen-Orient et aux moyens et stratégies déployés contre la Russie au détriment de la lutte contre la menace islamiste en général, tout se passe comme si le péril islamiste préoccupait moins les Etats-Unis que la Russie, "ennemi principal". Ainsi, le général Joseph Dunford, chef d’état-major interarmées américain, avait déclaré, lors des auditions au Congrès dans le cadre de sa nomination, citant le cas ukrainien, que la Russie présentait « la plus grave menace à court terme pour la stabilité du monde entier »84. La Russie représente la « plus grande menace » pour la sécurité nationale des Etats-Unis, a confirmé Deborah James, la secrétaire des forces aériennes américaines, qui en conclut que « l’Amérique doit donc augmenter sa présence militaire en Europe". Dans cette perspective de hiérarchisation de l'ennemi privilégiant la menace russe sur le péril islamiste, la Pologne est bien évidemment toujours en première ligne, c'est ainsi que Witold Waszczykowski, le ministre polonais des Affaires étrangères (2015-2018) a fait écho à Déborah James en déclarant, lors de la conférence annuelle sur la sécurité « Globsec », organisée le 15 avril 2016 à Bratislava (Slovaquie) : « De toute évidence, l’activité de la Russie est une sorte de menace existentielle parce que cette activité peut détruire des pays (...), nous avons aussi des menaces non existentielles comme le terrorisme, comme les grandes vagues de migrants »85, de ce fait mises au second plan. Dans la même logique d'alliance atlantico-islamique pour endiguer l'ennemi russe, Waszczykowski confirmait, à Ankara, le 20 avril 2016, que son pays est très favorable à une intégration rapide de la Turquie dans l'Union européenne et qu'elle ne craint pas la suppression des visas pour les citoyens turcs, car la Turquie est « un des meilleurs atouts pour sécuriser le flanc est de l’OTAN face à la Russie ». La Pologne, qui joue comme jadis l'Angleterre le rôle de cheval de Troie des Etats-Unis dans l'Union, a subi des pressions américaines pour un soutien à la candidature turque (très souhaitée par les milieux anglo-saxons pour rendre l'UE ingouvernable et encore plus hétérogène) en échange d’installation de nouvelles bases américaines en Pologne.

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La russophobie existentielle des Etats-Unis : risque de guerre ou suicide géocivilisationnel ?

Le 2 février 2016, le secrétaire d’Etat Ashton Carter a clairement confirmé ce retour à la case départ stratégique de la guerre froide, et c'est dans ce contexte qu'est apparu le nouveau concept stratégique de « Third offset strategy » qui pose comme priorité de maintenir une supériorité militaire et technologique sur les Russes et les Chinois sur le long terme, l'idée étant de franchir un nouveau palier stratégique fondé sur le développement de systèmes d’intelligences artificielles, d’armes-robots, de nouveaux systèmes de brouillages des communications ennemies, etc (cf Robert Work). Comme on l'a vu en Syrie ou même avant en Afghanistan, plutôt que de coopérer face à un ennemi commun islamiste et jihadiste qui menace autant les Etats-Unis, l'Union européenne que la Russie en tant que sociétés « mécréantes » à conquérir, les occidentaux et les Russes ont au contraire renforcé leurs rivalités, s'espionnent et analysent leurs armes respectives dans l'optique d'une confrontation ultérieure.

Certes, il est vrai que, de son côté, le 31 décembre 2015, Vladimir Poutine a lui-même signé un document officiel sur la « stratégie de sécurité nationale de la Fédération de Russie » dans lequel les Etats-Unis sont clairement qualifiés de « menace pour la sécurité nationale ». Nous sommes donc revenus à l'époque de la guerre froide, et la stratégie des Etats-Unis et des pays-membres de l'OTAN et de l'UE y est pour beaucoup... Si les torts et visions diabolisantes respectives sont largement partagées, force est de reconnaître que la partie qui a rompu les liens et mis fin au rapprochement est l'Occident. Pour revenir aux dossiers afghan et syrien, personne ne peut nier que si les Russes ont systématiquement proposé de coordonner et collaborer étroitement contre l'ennemi islamiste principal dans le cadre d'une vaste coalition panoccidentale ou euro-occidentale, ce sont les Etats-Unis qui ont toujours refusé pareil dispositif en accusant à chaque fois les Russes de défier l'Occident, de perpétrer un génocide en Tchétchénie, de frapper les "modérés" en Syrie ou de défendre la dictature d'Assad et d'aggraver la situation en Ukraine au lieu de l'améliorer.

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Face aux puissances occidentales universalistes que sont l'Amérique et l'Europe de l'Ouest, la Russie post-soviétique et la Chine partagent la même philosophie des relations internationales fondées sur la souveraineté des Etats, la préservation de leurs zones d’influence respectives, ainsi que le refus de la théorie occidentale du droit d’ingérence humanitaire et de la démocratie libérale et moralisatrice à visée mondialiste. Les politiques de sanction (Irak, Serbie, Russie, Iran, Cuba, Corée du Nord, etc), aussi contre-productives que souvent injustifiées, n’auront fait que conforter Moscou dans l’idée que l’Occident ne lui laisse d’autre choix que de se rapprocher de Pékin. On assiste ainsi, depuis le début des années 2000, à une convergence de plus en plus profonde des visions diplomatiques des deux grandes puissances créatrices de l'Organisation de la coopération de Shanghai (OCS, dont sont membres aussi l'Ouzbékistan, l'Inde, le Pakistan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, et probablement bientôt l'Iran, voir carte n° 3). Certes, l'OCS est composée, comme les BRICS, d'Etats parfois ennemis entre eux (l'Inde et la Chine), mais outre que la Chine et la Russie, son noyau dur, sont des alliés stratégiques face à l'OTAN et aux Etats-Unis, il représente tout de même un ensemble multipolaire qui dispose de 38 % des ressources mondiales de gaz, de 20 % de celles en gaz, de 40 % du charbon, de 30 % de l'uranium de la planète et des deux armées les plus puissantes après les Etats-Unis, de surcroît nucléaires. De fait, face à l’unipolarité américaine, la Russie et la Chine défendent l’avènement d’un monde multipolaire, afin de de contrer l’encerclement de leurs terres et mers par l’OTAN, l'UE, les forces anglo-américaines et leurs alliés en Asie. Il est vrai que Moscou avait averti, dans les années 1990-2005, que toute tentative de faire basculer dans le camp de l'OTAN l'Ukraine et la Géorgie ("plan Brzezinski", voir supra) serait un casus belli. On a d'ailleurs vu, entre 2003 et 2013, les conséquences dramatiques - pourtant prévisibles - de la politique des Etats-Unis, de l'OTAN et de l'Union européenne de soutien aux dirigeants antirusses dans "l'étranger proche" de Moscou. A la fin de sa vie, le concepteur même de la doctrine de l'endiguement de l'URSS, George Kennan88, déplorait l'obsession antirusse de l’OTAN et des Etats-Unis, qui persistaient à traiter la Russie post-soviétique comme l’URSS en accentuant l’encerclement et les sanctions contre Moscou: " Russes vont réagir progressivement de manière particulièrement hostile et cela changera leur politique (...). Cette expansion (de l’OTAN) ferait se retourner les Pères Fondateurs de notre pays dans leur tombe ». Les stratèges de Washington devront finir par comprendre que leur attitude vis-à-vis de Moscou et de Pékin a plus de chance d'accélérer, par réaction anti-hégémonique, la fin de l'unipolarité étatsunienne que de la prolonger, et que cela ne peut que renforcer l’avènement d’un nouveau désordre multipolaire tourné contre l'Amérique. Ce mouvement renforcera non seulement les liens entre la Chine, la Russie, l’Iran et l’Inde, mais il attirera aussi contre lui des pays du monde musulman et des acteurs souverainistes pas forcément anti-occidentaux, pour qui l'hégémonie américaine est rédhibitoire, donnant ainsi corps à, l'alliance anti-hégémonique que redoutait tant Zbigniew Brzezinski l dans le Grand Echiquier. Quant à la Chine, elle ne peut plus tolérer de se laisser enfermer par les Américains et leurs alliés dans les eaux du Détroit de Formose, alors que le contrôle de ses places maritimes ou leur accès sont la condition sine qua non de son statut de puissance mondiale. D'où l'accroissement subit de ses forces navales, certes, très en deçà de celles de Washington, mais en plein développement.

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Alexandre del Valle a publié avec Jacques Soppelsa le livre "La mondialisation dangereuse" aux éditions de L'Artilleur 

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