Cette confondante naïveté dont la France fait preuve au Burkina Faso et en Afrique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Des manifestants protestent contre la présence française au Burkina Faso, à Ouagadougou, le 20 janvier 2023.
Des manifestants protestent contre la présence française au Burkina Faso, à Ouagadougou, le 20 janvier 2023.
©OLYMPIA DE MAISMONT / AFP

Géopolitico Scanner

Le ministère des Affaires étrangères a révélé que la France retirerait ses troupes du Burkina Faso à la suite d’une demande de Ouagadougou.

Loup Viallet

Loup Viallet

Loup Viallet est spécialiste en économie internationale et en géopolitique africaine. Il est l’auteur de La fin du franc CFA (2020) et Après la paix (2021).

Voir la bio »

Atlantico : Que se passe-t-il actuellement au Burkina Faso ? Pourquoi la présence française y est-elle si critiquée ?

Loup Viallet : La nouvelle junte au pouvoir à Ouagadougou vient d’expulser bruyamment la force Sabre de son territoire, prenant de cours la diplomatie française. Le départ de ces troupes était déjà en discussion, la communication rapide de la junte a permis de mettre en scène cet événement comme un acte de souveraineté. Publiquement, c’est une humiliation. Stratégiquement, cette événement révèle la fébrilité et la déroute de notre politique africaine. « Il n’y a pas de politique africaine de la France » avait déclaré le président Macron en 2017 à l’université de Ouagadougou dans son discours fondateur sur l’Afrique : nous y sommes.

Y-avait-il des signes avant-coureur de cette évolution de la situation ?

Il y en avait tellement que début janvier le gouvernement a chargé sa secrétaire d’Etat à la francophonie de se rendre sur place pour s’entretenir avec le chef de la junte afin d’apaiser les tensions. Son tortillement bienveillant n’aura servi qu’à nous ridiculiser un peu plus. La junte au pouvoir avait été portée par des manifestations pro-russes et anti-françaises dont les slogans mensongers laissaient entendre que la France aidait les groupes terroristes et contribuait à l’insécurité pour mieux exploiter le pays. Dans son discours de politique générale, le premier ministre de la junte avait accusé à demi-mot la France d’être un « partenaire déloyal » avant de se rendre à Moscou pour sa première visite hors du continent africain pour renforcer la coopération sécuritaire avec le Kremlin. En décembre dernier, le chef de la junte n’a pas repoussé l’invitation de Vladimir Poutine à participer au prochain sommet Russie-Afrique. Mieux : il a accordé un permis de quatre ans au groupe minier russe Nordgold pour exploiter un quatrième gisement d’or dans le Nord du pays. « La France est disponible pour créer un avenir ensemble » avait plaidé la ministre de la francophonie Zachararopoulou. En refusant de tracer des lignes rouges, notre diplomatie s’est pris les pieds dans le tapis toute seule. En attendant la France soutient encore et toujours la stabilité de la monnaie du Burkina sur ses derniers publics, comme elle le fait avec le Mali. Elle est un peu le dindon d’une farce tragique : une large partie du territoire burkinabè est déjà sous contrôle de groupes djihadistes liés à Al-Qaida et à l’Etat islamique. L’exemple du Mali voisin n’est pas rassurant : depuis le départ de Barkhane, le département d’Etat américain a relevé une hausse d’environ 30% des actes terroristes et les exactions de civils des mercenaires de Wagner ont renforcé les postures protectrices des djihadistes au yeux des populations locales.

A quel point ces décisions sont-elles motivées et encouragées par des populistes africains ? Que cherchent-ils ?

Au Burkina Faso comme au Mali, les militaires qui ont pris le pouvoir par des coup d’Etat, avec l’appui de la rue et de relais étrangers, se sont déclarés « autorités de transition ». La protection du régime russe à travers l’aide formelle du Kremlin ou les partenariats officieux avec la galaxie Wagner(finance, communication, mercenariat) permet à ces régimes de faire durer leur transition le plus longtemps possible sans avoir à respecter un calendrier démocratique ni avoir de comptes à rendre à leur population.

Quel est le rôle de la Russie dans la fabrication et l’entretien de ce sentiment anti-français au Burkina et ailleurs ?

Vladimir Poutine développe une stratégie sur le continent africain depuis 10 ans. Ses cibles privilégiées sont des Etats faillis qui comptent parmi les plus corrompus, sous-équipés et les moins éduqués du continent. L’appartenance historique (révolue) à l’ancien « pré carré » français permet à la Russie de se poser comme une alternative au modèle occidental qu’incarnerait la France, mais aussi de surfer sur une misère matérielle et éducative en fabriquant un bouc-émissaire à peu de frais. La propagande russe travaille les sociétés africaines sur différents niveaux. Elle abreuve les réseaux sociaux de rumeurs et de fausses nouvelles, principalement sur Facebook et dans les boucles Telegram et Whatsapp. Twitter est très peu utilisé par les politiques et les populations civiles africaines, mais il est aussi saturé de comptes propagandistes, pour influencer les perceptions occidentales. On y a vu par exemple circuler des vidéos d’un vrai/faux charnier monté de toutes pièces par des éléments de Wagner et des éléments de l’armée malienne le lendemain du départ de Barkhane de la base de Gossi au Sud du Mali. Les corps provenaient probablement du massacre perpétré un mois plus tôt par les mercenaires russes dans le village de Moura, situé au nord-est de Gossi. Depuis début octobre, une fake news apparue des années plus tôt sur les réseaux sociaux camerounais, tourne de plus en plus : il s’agit de « révélations » sur « les 11 accords secrets » qui maintiendraient l’Afrique sous tutelle de la France. La dénonciation de l’accord de 2018 par la junte Burkinabè offre un triste écho à cette propagande.

Y a-t-il un risque que la situation actuelle fasse tache d’huile ?

La conflictualité à nos frontières extérieures progresse à la vitesse d’un cheval au galop. Compte-tenu de l’exemple malien et du désordre sécuritaire dans lequel il se trouve, le pivot russe de la junte burkinabè constitue une source de déstabilisation supplémentaire pour le voisinage maghrébin et ouest-africain de la bande sahélienne. Les frontières du Niger, du Bénin, du Ghana, de la Côte d’Ivoire sont plus que jamais sous pression. Leurs Etats vont avoir besoin d’appuis solides, non pas pour « créer un avenir ensemble », mais pour garantir que les populations du nord et du sud de la Méditerranée en aient encore un. Empêcher le morcellement de la porte sud de l’Europe. Constater nos interdépendances, éliminer et discréditer les sources de déstabilisation, ré-organiser les conditions de la paix et de la prospérité, renouer des alliances, rétablir des projets d’envergure pour amorcer ensemble la transition énergétique, mettre en échec la stratégie destructrice du Kremlin et les manœuvres populistes.

Loup Viallet est spécialiste en géopolitique et en économie internationale. Il est l’auteur de La fin du franc CFA (VA Editions, 2020) et d’Après la Paix (Va Editions, 2021)

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !