Avoir des enfants est-il vraiment mauvais pour la planète ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants lors d'un rassemblement pour le climat.
Des manifestants lors d'un rassemblement pour le climat.
©Patricia De Melo MOREIRA / AFP

Atlantico Green

Spoiler : choisir une méthode statistique honnête aboutit à des résultats très différents.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Samuel Furfari

Samuel Furfari

Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie depuis 20 ans, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB). Il a été durant trente-six ans haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Auteur de 18 livres.

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Atlantico : Un climatologue allemand, Johannes Ackva, responsable de la recherche sur le climat pour l'association caritative Founders Pledge, a remis en cause une étude de 2017, publiée dans Environmental Research Letters, qui révélait qu’avoir un enfant de moins était la meilleure chose à faire pour réduire ses émissions et préserver l’environnement. Pourquoi le fait d’avoir des enfants n’est pas si mauvais pour la planète au regard des travaux du climatologue allemand ? La population peut-elle augmenter sans avoir un impact majeur sur les émissions des pays lorsque des plans crédibles de zéro émission nette sont déployés ?

Samuel Furfari : Il y a beaucoup d’exagérations dans l’étude de 2017. Nous sommes en train de regarder l’arbre sans voir la forêt. La réalité du monde est que pour avoir un minimum de prospérité, pour avoir un minimum de bien-être et un système de santé de qualité, il faut consommer de l'énergie. Les scientifiques constatent dans le monde entier, à part l’Union européenne, que les émissions de CO2 sont en train d'augmenter. Les pays en voie de développement cherchent de la prospérité.

Cela ne repose pas uniquement sur la question des enfants. Cela concerne la question du bien-être et de la nécessité de travailler. En dehors de l’UE, le rare endroit où les émissions de CO₂ ont diminué est aux Etats-Unis parce que le charbon qui était bon marché est remplacé parle gaz de schiste qui est encore plus bon marché. En substituant le charbon par du gaz de schiste, les émissions diminuent. Au passage, rappelons que nous nous n’avons même pas voulu savoir s’il y avait des réserves chez nous, et nous achetons le gaz américain. Mais partout ailleurs, les émissions augmentent. Le fait de se focaliser sur le nombre d’enfants et de se restreindre pour l’impact environnemental aboutit à se tromper de bataille.

Pour préserver la planète et réduire les émissions, l'argument de faire moins d'enfants a beaucoup été utilisé. Que pouvons-nous mettre en place ces prochaines années ? Plusieurs études scientifiques ont démontré que limiter la démographie pourrait amener à une réduction des émissions, mais très lentement. Comment pouvons-nous agir plus vite ?

Eddy Fougier : Il est sans doute difficile d’imputer au mouvement Ginks, pour Green Inclinations No Kids, ou « childfree », la baisse de la fécondité que l’on observe ces dernières années dans de nombreux pays. Il est aussi sans doute difficile d’évaluer l’ampleur de ce mouvement, qui fait cependant l’objet d’un certain intérêt de la part de la presse. Des sondages ont pu néanmoins montrer que la part des jeunes déclarant ne pas vouloir d’enfant pour des raisons climatiques était loin d’être négligeable. Une enquête Ifop indiquait ainsi qu’en 2006, seules 2 % des femmes interrogées ne souhaitaient pas avoir d’enfant. Elles étaient 13 % en 2022. C’était même le cas de 23 % des 15-24 ans. On retrouve ces Ginks en particulier chez les femmes très écologistes (23 %) ou proches d’EELV (19 %), mais aussi celles qui sont très féministes (25 %) et non hétérosexuelles (38 %). L’enfant peut être considéré par ces femmes comme un obstacle à leur propre épanouissement personnel. Mais cette réticence vis-à-vis de la fécondité peut être aussi le reflet d’une forme d’éco-anxiété et, plus largement, d’une vision pessimiste de l’avenir, qui a été notamment mise en évidence dans le rapport sur le bonheur dans le monde, dont la dernière édition vient d’être publiée. Ce rapport indique, après d’autres, que dans les pays développés, les jeunes sont moins heureux que les seniors. L’un de ses auteurs parle même dans The Guardian à propos du bonheur des jeunes de « baisses déconcertantes, en particulier en Amérique du Nord et en Europe occidentale ».

L’étude publiée en 2017 estimait que le fait de faire moins d’enfants était la meilleure chose que l'on puisse faire pour réduire nos émissions de CO2. Les travaux du climatologue allemand, Johannes Ackva, démontrent que les progrès réalisés pour réduire nos émissions à travers l’industrie, les véhicules électriques, les panneaux photovoltaïques permettent à la population mondiale d'avoir un moindre impact pour l’environnement par rapport aux générations précédentes ? Est-ce qu'il n'y a pas de l'espoir dans ces domaines-là dans le cadre des progrès dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

Samuel Furfari : Le monde évolue constamment grâce à l'innovation technologique. Il suffit de regarder où nous étions il y a 20 ans à 30 ans. Il est facile de se rendre compte que l’humanité consomme plus. C'est une évidence. Mais grâce à l’innovation, la consommation d'énergie par habitant diminue et il y a plus d’habitants sur Terre. Faut-il faire moins d'enfants pour essayer d'avoir moins d' émissions de CO2 ? Faire de tels efforts et prendre de telles décisions radicales est en fait tout à fait marginal. Ce qui compte réellement est la volonté des gens et le progrès. Ce n’est pas nécessairement le nombre d'enfants. Le contrôle et la réduction des naissances pour limiter l’impact sur l’environnement ne sont qu'une phobie européenne. Les Européens vont décider de faire moins d'enfants pour sauver la planète mais ailleurs dans le monde personne ne partage cet avis et n’agit ainsi.

Toutefois, avec les progrès économiques, le nombre d'enfants par femme diminue factuellement et de manière automatique. Le nombre d'enfants par femme diminue en fonction de la quantité d'énergie que l'on consomme. La fécondité d'une femme au Niger est de 7,3, tandis que la moyenne dans le monde est de cinq et en Europe elle est en moyenne de 2,5. Tout cela est corrélé en fonction de la consommation d'énergie. Dans mon livre, « Energie, mensonges d'état : la destruction organisée de la compétitivité de l'UE », j'ai publié un graphique qui montre comment la fécondité par femme chute en fonction de la consommation d'énergie. Si les pays africains consomment de l'énergie, cela va permettre aux nations en question de se développer et au final il y aura moins d’enfants. Cette évolution et ces fluctuations expliquent la stabilisation de la population humaine à 9, 10, 11 milliards mais pas beaucoup plus. Certains évoquent une humanité à 30 milliards d'habitants dans un futur proche. Cela est totalement fantaisiste. Je cite dans mon livre une étude de la Banque mondiale qui montrait l'impact de l'électrification en zone rurale. Dès que l'électricité arrivait dans les zones rurales, les femmes avaient moins d'enfants, par exemple aux Philippines. L'électrification a fait baisser le nombre d'enfants de 4,6 alors qu'il était de 5,5 avant. Et au Sénégal, il est passé de 7,4 à 6,2. Au fur et à mesure que les pays se développent, le nombre d'enfants diminue.

Lorsque nous entendons les potentielles solutions pour sauver la planète, des arguments anxiogènes sont annoncés, comme la fait de renoncer à avoir un enfant ou la nécessité d'abandonner certains modes de vie... Cela amène-t-il à du catastrophisme ? 

Eddy Fougier : Dans le rapport sur le bonheur dans le monde, les Français ou les Allemands de moins de 30  ans se déclarent moins heureux que les jeunes Serbes, Salvadoriens, Kosovars, Nicaraguayens, Moldaves ou Bosniens. Même si l’on sait que, dans les enquêtes, les ressortissants de pays émergents se montrent généralement plus optimistes que les habitants de pays riches, on a tout de même l’impression de marcher sur la tête, pour reprendre un slogan récent des agriculteurs. Comment l’expliquer ? A l’évidence, ce n’est pas nécessairement lié à une situation objective. La situation d’un jeune Kosovar ou Moldave, pour s’en tenir à des Européens, apparaît bien moins enviable que celle d’un jeune Français ou Allemand. On peut supposer que les premiers sont tout autant conscients que les seconds de la gravité des enjeux globaux (guerres, climat…).  

En revanche, il y a deux éléments qui les séparent à coup sûr. Le premier est cette obsession du déclinisme et du pessimisme collectif que l’on perçoit depuis quelques années dans les pays développés, qui peut même se muer quelquefois en un catastrophisme. Ceux-ci sont nourris et instrumentalisés par différents courants, notamment populistes, et contribuent à alimenter un sentiment d’inaction globale face aux grands défis, et une grande défiance vis-à-vis des gouvernants et plus largement des élites perçus comme incompétents, voire comme totalement indifférents. Or, dans un tel contexte, les mesures radicales tendent à être vues comme nécessaires face à l’urgence et à l’incurie des puissants et des nantis.

Le second élément est quelquefois la tentation de la haine de soi de la part des Occidentaux – ce sont les enfants occidentaux qui sont considérés comme des fléaux sur le plan climatique, pas les enfants en soi – dès lors que ceux-ci sont perçus à la fois comme étant à l’origine du dérèglement climatique, des inégalités et des désordres dans le monde, intrinsèquement racistes… Chez les plus radicaux, cela peut même aller jusqu’à une haine de soi de l’humanité en tant que telle. Elle est exprimée de la façon la plus radicale qui soit par le Mouvement pour l’extinction de l’humanité qui considère que « l’alternative optimiste à l’extinction de millions, si ce n’est de milliards d’espèces de plantes et d’animaux est l’extinction volontaire d’une seule de ces espèces : l’Homo sapiens, c’est-à-dire nous ». Comment ? « Quand tous les êtres humains auront choisi de ne plus se reproduire, la biosphère pourra retourner à sa splendeur d’autrefois ». En clair, il faut « purifier » la planète en la libérant de la présence des humains et pour cela, ceux-ci ne doivent plus faire d’enfants…  

Au final, on voit bien que la démographie est désormais au coeur des controverses en alimentant, d'un côté, la vision des adeptes du "grand remplacement" - qui s'inquiètent du poids démographique des non-Occidentaux en soi et dans nos sociétés - et, de l'autre, celle des adeptes du "grand effondrement" - qui, eux, s'inquiètent de l'impact démographique des Occidentaux sur le climat.   

Est-ce que toutes ces études qui incitaient à ne plus faire d'enfants pour préserver l'environnement n'étaient pas le fruit d'écologistes ou de militants décroissants ? Est-ce qu'il n'y avait pas un biais idéologique derrière ces études qui incitaient à ne plus faire d'enfants pour préserver l’environnement ?

Samuel Furfari : Vous faîtes bien de soulever la question. Derrière tout cela, il y a toujours le malthusianisme. C'est une litanie qui date maintenant du XIX siècle où on faisait croire aux gens que l’humanité allait droit dans le mur car on faisait trop d'enfants. Tout le monde a oublié qu’il y a une dimension technologique derrière tout cela. Thomas Malthus avait prédit des famines au Royaume-Uni à cause de la population croissante. Il n’avait pas prévu la révolution verte – la vraie, celle de l’agriculture – des années 1960.

On n'arrête pas de nous dire que l’on va droit dans le mur parce que l’on fait trop d'enfants mais c'est oublier le génie créateur de l'homme. Si le monde est ce qu'il est aujourd'hui, c'est grâce au génie de l'homme et aux progrès technologiques.

Le sablé était là du temps des pyramides, mais aujourd’hui on en fait une valeur ajoutée grâce à l’innovation. L'homme a transformé le monde grâce à son savoir et aussi grâce à l'utilisation des ressources pour arriver à la qualité de vie que nous avons.

En mettant en balance la qualité de vie que nous avons et l'utilisation des ressources, les gens ne souhaitent pas retourner en arrière. Si certains souhaitent renoncer au progrès, revenir en arrière ou faire moins d’enfants, grand bien leur fasse mais qu'ils n'obligent pas les autres. Si les personnes veulent être malthusiennes, ne pas avoir d'enfants et se faire stériliser comme certains jeunes le font, ils sont libres de leurs choix mais ils ne devraient pas interdire que le monde se développe. Le malthusianisme est vraiment un fléau malheureusement.

Une anecdote de ces jours-ci. En Ecosse un homme a interdit à son épouse qui devait accoucher d’utiliser l’usage de gaz pour aider à la respiration de la parturiente au prétexte que cette technique génère une production de CO₂. Quand on arrive à une telle dérive, il est urgent que les politiciens assument leur responsabilité en ayant créé un état de peur inqualifiable et totalement inutile.

Dernier livre de Samuel Furfari : « Énergie, mensonges d'État. La destruction organiser le la compétitivité de l'UE » , éditions L’Harmatan

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