A quel point le FN est-il devenu le parti du métro à 18h ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Le FN est devenu le parti du métro à 18h.
Le FN est devenu le parti du métro à 18h.
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30% des Français estiment que Marine Le Pen est la mieux placée pour incarner l'opposition à François Hollande, loin devant Nicolas Sarkozy (18%) ou encore Alain Juppé (15%). Un résultat qui s'explique en grande partie par le glissement des classes moyennes vers le parti frontiste, durement touchées en période de crise économique. Leur conquête électorale résume tout l'enjeu des futures élections présidentielles.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Dans un sondage Ifop publié en septembre, il apparaît que Marine Le Pen récupérerait 14% des électeurs de 2012 de François Hollande et de Nicolas Sarkozy - cette proporsion montant à 28% si François Fillon représentait l'UMP - et 8% de ceux de Jean-Luc Mélenchon (voir ici page 7). Dans ces chiffres, les professions intermédiaires, comme les employés ou les ouvriers, plébiscitent toujours Marine Le Pen en premier lieu. Plus étonnant, les résultats présentent le même écart pour le secteur privé ou public. Le Front national serait-il devenu le parti des classes moyennes, et de la population active plutôt que d'électeurs anti-systèmes ?

Christophe Bouillaud : Déjà aux élections européennes, et ce d'après les sondages sortis des urnes, le FN avait rencontré un grand succès dans les CSP - (catégories socio-professionnelles moindres). Ce présent sondage confirme ce fait : l'électorat du FN est plutôt populaire, même s'il a aussi des électeurs dans les classes moyennes et supérieures.

La notion d'ant-système est difficile à saisir, du point de vue politique ou social ? Sur le plan politique (au sens de politique), la questions est tautologique. De toute façon, le FN occupe l'espace de l'extrême droite sur l'échiquier politique. Par définition, il est donc supposé être un parti anti-système.

S'il est question des électeurs anti-système sur le plan social, ces derniers sont peu insérés socialement et vont très peu voter. Et il est aujourd'hui acquis que les électeurs du FN ne sont pas des personnes totalement désinsérées socialement, au sens social d'anti-système. Si l'on suppose que celles et ceux qui assistent aux conférences de Zemmour recoupent l'électorat frontiste, une vérité criante apparaît : ce ne sont pas des citoyens désinsérés socialement, ce sont des citoyens ordinaires, moyens sur le plan socio-économique, pas des rejetés socialement.

Pour revenir aux élections européennes, il y a eu indéniablement une certaine progression du FN, cette dynamique demeure dans les classes populaires mais aussi dans des bastions de classes moyennes et supérieures. Joël Gombin a montré qu'il ne fallait pas surestimer le côté populaire de l'électorat frontiste, classe moyenne et classe supérieure sont aussi partiellement exaspérés (ou autre) et votent ainsi pour le parti d'extrême droite.

Ces bastions sont plus restreints que les gros bataillons populaires, mais ils n'en existent pas moins pour autant. En plus, les profils socio-professionnels en fonction de l'appartenance géographique ne sont pas forcément les mêmes : l'électeur frontiste de Fréjus n'est pas le même que celui de Hénin-Beaumont.

Sondage Ifop septembre 2014 sur les intentions de vote au premier tour des présidentielles de 2017, hypothèse où Nicolas Sarkozy est le candidat de l'UMP. Cliquez pour agrandir

Dimanche 13 décembre, Nicolas Sarkozy a affirmé qu'il voulait transformer l'UMP en "une armée de militants" pour en faire "le parti le plus moderne de France". Un parti incontournable comme "le métro à 18h", susceptible de rassembler et séduire les classes moyennes actives. Pourtant, dans le dernier sondage OpinionWay sur la personnalité politique la plus capable d'incarner l'opposition à François Hollande, Marine Le Pen arrive en tête avec 30%, suivie par Nicolas Sarkozy à 18%. Sur quelles catégories d'électeurs l'affrontement entre Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy est-il le plus visible ? Quelles sont celles qui sont le plus susceptible d'être grignotées par Marine Le Pen ?

Nicolas Sarkozy montre par cette déclaration qu'il souhaite effectivement  séduire la frange CSP - de l'électorat, dont on sait qu'il plébiscite fortement Marine Le Pen. L'audience des classes moyennes-supérieures, elles, lui sont déjà acquises. On a pu le voir à propos des élections européennes de cette année. Mais le faible taux de pénétration de Nicolas Sarkozy chez ces classes moyennes et populaires lui fait aujourd'hui défaut, et il est donc tactiquement logique de vouloir le récupérer.

En l'occurrence, il ne faut pas sous-estimer l'effet de calendrier qui est très profitable à Marine Le Pen. Nicolas Sarkozy vient tout juste d'être élu à la tête de l’UMP, et il n'a pas encore eu le temps d'incarner l'opposition au gouvernement. Son absence de proposition politique depuis deux ans joue aussi beaucoup. En effet, sa campagne pour la présidence de l'UMP a principalement porté sur des questions internes (changement de nom du parti, transparence), il a d’abord cherché à séduire les militants de l’UMP, il n'a pas visé le grand public, et son absence de positionnement sur le front socio-économique a d'ailleurs été assez remarquée.

D'ailleurs, nous voyons bien que rien de ce qu'il avance aujourd'hui n'est nouveau en comparaison de ce qu'il proposait en 2012. Mais il a encore largement le temps de proposer une offre programmatique plus alléchante, la campagne présidentielle ne commence que dans quelques longs mois.

Nicolas Sarkozy pourrait-il récupérer ces votes de 2012 ? Les thèmes de prédilection de la droite à destination de la classe moyenne devront-ils être rénovés dans le contexte socio-économique et européen actuel ?

L'un des thèmes forts de la droite face aux classes moyennes est la fiscalité des ménages. Egalement dans un contexte où les prix immobiliers suivent une tendance baissière, proposer un plan de la France des propriétaires aurait certainement un écho positif. Nicolas Sarkozy devra bien tenir à un moment un discours économique au-delà des thèmes de société, ou de l’immigration ou de l'espace Schengen, mais tout dépendra cependant sans doute du contexte européen au moment où il s’exprimera.

Ses choix programmatiques comme sa capacité à retrouver un électorat parmi la classe moyenne et populaire seront fortement déterminés par la conjoncture économique et européenne. Si la situation venait à se tendre du côté européen, il aurait alors l'obligation de faire un choix. Soit il devra affirmer davantage une ligne aujourd'hui occupée par Laurent Wauquiez, soit celle d’une droite classique avec Nathalie Kosciusko-Morizet ou Alain Juppé. Sans crise européenne, il réussira comme l'a fait la droite française depuis des années à éviter à la fois d’être complètement béat devant l’Europe et de défendre une ligne véritablement souverainiste, à rester en somme dans une saine ambiguïté sur le sujet. Il a pu le faire en proposant de rapatrier 50% des compétences de Bruxelles à Paris, et de renégocier les autres. Ce type de discours, pourvu qu’il reste abstrait, convient à tous les électorats, mais il n'est peut-être pas suffisamment précis pour marquer les esprits.

La synthèse entre les différents électorats et les intérêts rendra difficile un positionnement entrant dans les détails sur des thèmes comme les frontières, ou encore une plus grande indépendance économique. Pour l'instant, Nicolas Sarkozy a eu la chance de ne pas avoir à choisir.

On sent bien que l'électorat actuel est désorienté. Cette manœuvre sera difficile, car Nicolas Sarkozy a du mal à apparaître comme un homme nouveau. Il ne pensait sans doute pas que l'électorat aurait autant de mémoire. Les militants UMP sont certes ravis de retrouver leur leader, mais jusqu'à présent, il n'a pas été capable de créer la nouveauté qu'il espérait.

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