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40 ans d’Apple et toujours le même problème pour ses consommateurs : comment changer de marque quand toutes vos données sont hébergées dans le circuit fermé de la marque à la pomme
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La minute tech

Fondée le 1er avril 1976, la marque à la pomme fête son quarantième anniversaire, dont la réputation est aujourd'hui fondée sur des produits toujours plus performants et aux prix élevés. Certains utilisateurs sont ainsi tentés par la concurrence. Retrouvez ici tous les conseils pour quitter Apple sans perdre vos données.

Gilles  Dounès

Gilles Dounès

Gilles Dounès a été directeur de la Rédaction du site MacPlus.net  jusqu’en mars 2015. Il intervient à présent régulièrement sur iWeek,  l'émission consacrée à l’écosystème Apple sur OUATCHtv  la chaîne TV dédiée à la High-Tech et aux Loisirs.

Il est le co-auteur avec Marc Geoffroy d’iPod Backstage, les coulisses d’un succès mondial, paru en 2005 aux Editions Dunod.

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Atlantico : 40 ans après la naissance d'Apple, en quoi le succès de la firme à la pomme s'est-il bâti sur un circuit fermé aux autres technologies ?

Gilles Dounès : Un mot sur la problématique et l'angle que vous avez choisis, lesquels ont le mérite d'être intellectuellement stimulant puisque, d'une manière générale, les gens sont plutôt demandeurs pour entrer sur la plate-forme, plutôt que de chercher à en sortir, en particulier pour le Mac et pour l'iPhone… et ce, même s'ils ont pu aller voir si l'herbe était plus verte sur les autres plates-formes.

Pour en revenir à votre question, c'est plutôt sa "non-compatibilité" avec l'univers IBM dominant à ses débuts qui l’a mise en péril, et la formulation même de cette question montre combien il y a d'ambiguïtés à lever : en fait de "circuit fermé aux autres technologies", dès le milieu des années 1980, le Mac a su très facilement communiquer en réseau, y compris dans des parcs de machines hétérogènes, en utilisant un système "compatible" avec les protocoles de ses concurrents, comme Ethernet ou Token Ring.

Mais cette représentation d' Apple comme un "système fermé", aussi répandue qu’elle soit, est très largement erronée et basée sur une série d’ambiguïtés successives, exploitées par la concurrence avec pas mal d’hypocrisie, mais c’est le jeu. Les enjeux publicitaires, l’absence de compétences et le conformisme journalistiques en la matière ont fait le reste. C’est une escroquerie intellectuelle et un contre-exemple qui mériteraient d'ailleurs un séminaire en MBA ou en école de commerce : un psychologue parlerait de "projection", un sociologue plus de "stéréotype", de "stigmatisation" ou de "processus d'assignation", et l'homme de la rue tout simplement de "c…eries"… même si par ailleurs Apple aussi y a mis du sien.

Pour résumer et prendre un exemple en la matière :  le discours marketing dans l’industrie s’apparente beaucoup à celui dans le jeu politique, où à droite et au centre, tout le monde prétend "fédérer" autour de soi ou de sa solution, tout en faisant porter la responsabilité de la fragmentation à ses compétiteurs…

En ce qui concerne Apple, c’est un véritable stigmate qui remonte au tout début de l'histoire de l'entreprise, au moment du succès sans précédent de l'Apple II, et qui lui a collé comme un chewing-gum à la semelle… Le malentendu dure depuis 40 ans et s'articule principalement autour de trois axes, dont le premier est l'opposition compatible et non compatible : à partir de 1977, à peine plus d'un an après sa création, Apple va vendre l'Apple II comme des petits pains ; d’abord aux passionnés, ensuite aux établissements d'enseignement, aux familles, puis commence même à pénétrer le marché des entreprises.L’Apple II devient même le premier ordinateur personnel à mettre en péril la mainmise d'IBM sur le marché de l'informatique avec son modèle dominant, "mainframe" c'est-à-dire de grosses machines centrales distribuant les résultats de leurs calculs à des terminaux de saisie. Les hippies chevelus de la côte Ouest ont réalisé une levée de fonds invraisemblable en 1979, en réussissant une entrée en bourse tonitruante : IBM est obligé de sortir l'IBM PC en 1981 pour monter dans le train de la micro-informatique qui est en train de prendre de la vitesse.

Peu importe si l’Apple II est très largement ouvert, au point que même les clones pullulent : l'IBM PC est marqueté en direction des entreprises comme "compatible", c'est-à-dire compatible avec ses gros systèmes et compatible avec les "Compatibles PC" qui vont commencer à se multiplier, avec le MS-DOS de Microsoft comme dénominateur commun. Une volonté de maîtrise poussée à l'extrême : à la fois par la volonté de Steve Jobs de maîtriser jusqu'au bout un objet conçu comme "parfait" de son point de vue, mais également par les contraintes inhérentes à son volume extrêmement réduit. Le Macintosh 128K n'est pas évolutif et n'a pas de port d'extension prévu, à la différence de son prédécesseur, l'Apple II. De plus, pour limiter le recours à la mémoire vive très chère à l'époque, un grand nombre d'opérations du système sont situées dans la ROM de l'ordinateur et auxquelles les programmeurs doivent faire appel.

Les règles de programmation sont donc assez strictes, jusque dans l'interface utilisateur, et les programmeurs qui prennent des libertés avec elles le paieront d'ailleurs au prix fort, puisque leurs logiciels se retrouveront incompatibles avec la première évolution majeure du système, qui intervient deux ans plus tard en 1986. À cette occasion, le Mac a appris à lire les volumes de sauvegarde formatés sous MS-DOS, puis les fichiers Windows  : 30 ans plus tard, Windows 10 ne sait toujours pas faire la même chose avec les volumes Mac, sans un utilitaire qu'il faut se procurer séparément. Les règles de programmation sont donc " fermées ", au contraire de la plate-forme DOS, puis Windows qui sont tellement ouvertes commen en témoigne la prolifération des virus, au point de mettre en pièces la crédibilité de Microsoft à partir de l’été 2003. Même causes, mêmes effets : une politique identique de Google en matière de validation d’applications a fait d’Androïd l’hôte de la quasi totalité des malwares sur plate-formes mobiles.

Libre ?… Ou gratuit ? Dès l'Apple II, et avec le Macintosh à sa suite, les logiciels ont été protégés contre la copie. Ce qui n'était pas le cas du PC sous MS-DOS, puis sous Windows, pour lequel cela a été longtemps un argument de vente qui se partageait avec un clin d'œil complice, et qui a permis au PC de se diffuser très largement malgré son retard évident jusqu'à la sortie de Windows 95.

D'autre part, la montée en puissance de la diffusion d'une nouvelle plate-forme baptisée Linux a mis la plate-forme Mac en rivalité avec une autre communauté d'utilisateurs extrêmement soudée, autour du noyau Unix sur lequel les deux systèmes d'exploitation étaient désormais basés. La transition du système d'exploitation d'Apple vers ce qui est devenu Mac OS X avait été entamée à partir du rachat de NeXT – la société fondée par Steve Jobs après son renvoi d'Apple en 1985 – à la fin 1996. Cette évolution s'est poursuivie jusqu'à présent, avec des ramifications vers l'iPhone puis d'autres plates-formes comme l'iPad, l'Apple Watch ou l'Apple TV. Mais même si Apple est devenu un contributeur très important dans le monde du logiciel libre – avec pour ne citer qu'un seul exemple l'amélioration de WebKit qui va donner naissance à Safari, mais également à Chrome qui est devenu un rival important, ou SWIFT 2 son nouveau langage de programmation qui est totalement open source la controverse se double à présent d'une polémique organisée autour de la confusion entre libre/gratuit (free), et logiciel ou contenu propriétaires.

Le succès de l'iPod et de l'iTunes Music Store ne va rien arranger sur ce plan, bien au contraire, alors que le format AAC (Advanced Audio Codec et non pas Apple Audio Codec) développé par la marque à la pomme en collaboration avec Dolby est totalement ouvert, largement utilisé par ses concurrents tandis que les fichiers musicaux qu’Apple commercialise dans son kiosque en ligne sont protégées à la demande des majors de la musique, lesquels ne lâcheront prise qu'en 2008. On l'a vu en début de réponse : le Mac sait parfaitement communiquer avec l'ensemble de son environnement depuis son origine : certains Macintosh Performa étaient capables de démarrer soit sur Mac OS, soit sur Windows au milieu des années 1990, ce qui est toujours valable jusqu'au Mac actuel qui est la seule machine capable de démarrer indifféremment sur OS X, Windows ou Linux avec Boot Camp, ou de virtualiser indifféremment Windows ou Linux, avec des solutions tierces comme VMware ou Parallels. Mais c’est également le cas en matière de réseau, puisque le World Wild Web a été développé au CERN par Tim Berners-Lee sur l'ancêtre d'OS X ou que le protocole 802.11 pris à bras-le-corps par Apple à la fin des années 1990, qui va devenir le wi-fi que tout le monde connait aujourd’hui… La liste des contre-exemples aux idées reçues, pour rester poli, est sans fin.

Apple est d'autant moins " fermé " que jusqu'en 2006, en vertu de la paix des braves signée avec Microsoft en 1998, elle a très largement ouvert son porte-feuille de brevets à Redmond en échange du maintien de la Suite Office sur la plate-forme Mac. Et on ne parle même pas de virtual PC, la solution d'émulation de Windows très populaire à l'époque pour Mac OS X, racheté par Microsoft en 2003 qu'elle a laissé mourir à petit feu au moment où Apple recommençait à gagner en crédibilité.

Aujourd'hui encore, quels sont les mécanismes qui nous "capturent" dans le système d'Apple ? 

Vous faites sans doute référence au processus de "lock in", ou de verrouillage en bon français. Cela aussi va sans doute faire hurler une partie de vos lecteurs, mais le premier mot qui me vient à l'esprit c'est "l'amour". D'une part, parce qu'il y a, à l'origine même du projet Macintosh, une part d'anthropomorphisme assumé puisque qu'il s'agissait "d'apprendre l’Homme à l'ordinateur", mais également parce que les gens chez Apple ont compris que, comme dans une relation affective, on ne retient pas les gens de force en leur faisant du chantage ou en les retenant prisonniers, mais bien en faisant attention à eux.

Cela commence par le packaging, l'esthétique des produits, et d'une manière générale, le plaisir que l'on a à les regarder et à les utiliser. Les équipes d'Apple résument cela sous le terme de " design ", où la forme et la fonction participent de la même expérience holistique, au point qu'un enfant de trois ans ne va pas se poser de questions et commencer à essayer de l'utiliser par exemple ; on peut rapprocher cela du concept allemand de "gestalt". Même le prix, qui reste dans la fourchette haute vis-à-vis de des concurrents, participe de ce que l'on peut rapprocher d'une théorie de l'engagement.

Cela souvent a été raillé par les gens de l'extérieur, mais même si les produits Apple ont aussi des défauts, leurs utilisateurs témoignent d'une relation plus affective avec ceux-ci : quoi qu'il arrive, on n'a pas envie de les secouer comme un distributeur de confiseries qui refuse de rendre la monnaie, même si ça ne fonctionne pas.

Cela tient beaucoup au plaisir, à la dimension ludique de l'utilisation – cet attachement est comparable à celui des démences à leur PC de compétition – avec la diminution de ce qu'Andreas Pfeiffer a appelé "le taux de friction de l'interface utilisateur". Ce n'est même pas une cage dorée, puisque la porte est ouverte : c'est un univers confortable que l'on n'a pas envie de quitter, ou vers lequel on finit par revenir si jamais on s'en est éloigné. C'est d'ailleurs le pari d'Apple, qui compte bien que vous finirez, non seulement par renouveler votre iPhone ou votre iPad, mais également par lui acheter un Mac. On a souvent fait des analogies entre les industries automobiles et informatiques : dans ce cas également, les ressorts de l'attachement sont comparables, et pourtant le carburant ou les pneumatiques ne sont pas spécifiques à un constructeur en particulier. 

Quels sont les risques pris par les utilisateurs qui souhaitent changer de système ? Sont-ils condamnés à perdre l'ensemble de leurs données ?

Il y a, bien entendu, des gens qui se sentent plus à l'aise sur d'autres plate-formes, mais les utilisateurs d’iPhone ou de Mac qui décident de changer de plate-forme ne risquent rien, à part peut-être quelques crises d'énervement pour finir par se mordre les doigts et regretter leur nouvel achat !

Plus sérieusement, il est extrêmement facile de transférer les fichiers d'un appareil à l'autre, soit en utilisant iTunes (et oui), soit en utilisant le Cloud et les outils en ligne de Google, ou même en faisant appel aux logiciels proposés à cet effet par certains constructeurs comme HTC ou Samsung.

Concrètement, quelles sont les étapes à suivre permettant de se désengager de ce système ?

On l'a vu précédemment : le Mac est totalement ouvert sur l'univers Windows depuis des décennies et on peut passer soit par le Cloud, soit en branchant directement un disque dur ou une clé USB au format FAT 32, directement par la fonction "glisser/déposer". Quant à Android, il est même possible de procéder à partir d'iTunes ou d'utiliser des logiciels fournis par son nouveau constructeur. Les tutoriels sur le sujet ne manquent pas sur la toile même si, encore une fois, la tendance est plutôt au mouvement inverse.

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