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Zone euro : crise spéculative ou crise d'aversion au risque ?
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Confusion

Selon Patrick Artus et Isabelle Granet, nous avons commis une erreur fondamentale en ne faisant pas la différence entre les pays atteints par une crise de liquidité de ceux atteints par une crise spéculative. Extrait de "La crise de l'euro, comprendre les causes, en sortir par de nouvelles institutions" (1/2).

Patrick Artus Isabelle Gravet

Patrick Artus Isabelle Gravet

Patrick Artus est Directeur des études économiques et de la recherche de Natixis, professeur associé à l'Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne, membre du Conseil d'analyse économique auprès du Premier ministre et du Cercle des économistes. Il est l'auteur de nombreux livres, dont récemment La France sans ses usines (avec M-P Virard) aux éditions Fayard.

Isabelle Gravet est professeure de sciences économiques et sociales à l'Institution des Chartreux à Lyon, chargée de cours à l'Université de Lyon II.

Ils sont les auteurs de "La crise de l'euro, comprendre les causes, en sortir par de nouvelles institutions" aux éditions Armand Colin.

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La crise fondamentale est une crise de balance des paiements dans la zone euro, le capital ne circulant plus des pays excédentaires (en épargne et en commerce extérieur) du Nord de la zone euro (essentiellement Allemagne) vers les pays du Sud de la zone euro (France, Espagne, Italie, Grèce, Irlande).

Mais ce sudden stop (arrêt des flux de capitaux internationaux) peut recouvrir deux réalités bien différentes : une crise de solvabilité des pays emprunteurs, ou une crise de liquidité de ces pays. Dans le premier cas, les pays emprunteurs sont insolvables : ils ne pourront jamais rembourser leur dette extérieure ; il est donc normal que les investisseurs arrêtent de leur prêter.

Que faire alors, en face d’une crise de solvabilité ? Il faut normalement réduire la dette extérieure du pays, la restructurer, afin de rétablir la solvabilité du pays (sa capacité à rembourser sa dette) ; il faut ensuite mettre en place des conditions pour que la solvabilité du pays ne se dégrade pas à nouveau : réformes structurelles pour accroître sa capacité de production. Une dévaluation pour restaurer sa compétitivité prix n’est pas possible dans le cadre de la zone euro.

Dans le second cas, si un pays est confronté à une crise de liquidité, il est solvable mais cependant il ne trouve plus de prêteur. Il faut alors qu’un prêteur public (dans les cas des pays émergents, c’est le FMI, le Fond Monétaire International) intervienne pour se substituer aux prêteurs privés et éviter que le pays ne soit mis en cessation de paiement.

Cette intervention doit être rapide, puisqu’une crise de liquidité peut se transformer en crise de solvabilité. En effet, un pays ne pouvant plus emprunter ne peut plus financer ses investissements et sa capacité de production chute.

Les gouvernements européens et les autorités européennes n’ont pas su faire le tri dès le départ entre les pays confrontés à une crise de liquidité et les pays confrontés à une crise de solvabilité. Au début de la crise, le message, surtout de la part de la BCE, a été qu’il ne pouvait pas y avoir de pays de la zone euro faisant défaut sur sa dette. Puis le message a changé complètement, puisqu’une implication du secteur privé (PSI : Private Sector Involvement) était envisagée. La perte pour les investisseurs privés situés essentiellement en zone euro a créé un énorme mouvement de défiance vis-à-vis de toutes les dettes des pays en difficulté et conduit à la crise de l’été 2011.

Puis le message a encore évolué à l’automne 2011 : seule la Grèce devra restructurer sa dette , les autres pays ne feront jamais défaut.

Erreurs de gestion de la crise : le déclenchement d’un cycle dépressif à court terme

L’absence de distinction claire entre les pays atteints par une crise de liquidité et les pays atteints par une crise de solvabilité est donc la première erreur de gestion de la crise. Elle a favorisé la contagion de la crise à l’ensemble des pays périphériques. La seconde erreur de gestion de la crise est la gestion des programmes de réduction des déficits publics qui a débouché sur l’enclenchement d’un cycle dépressif. L’objectif initial a été de réduire très rapidement les déficits publics afin de converger vers une situation de déficits publics presque nuls, correspondant à la « Règle d’or » que l’Allemagne veut mettre en place dans la zone euro. Cette simultanéité des programmes de réduction rapide des déficits publics dans tous les pays de la zone euro conduit à l’apparition d’un multiplicateur budgétaire très élevé c’est-à-dire d’un effet négatif très important de la réduction des déficits publics sur le PIB de la zone euro ; il est même possible que dans certains pays on soit passé dans la partie droite de la courbe de Laffer, c’est-à-dire dans une situation où une politique budgétaire plus restrictive aggrave le déficit public en raison de l’importance de son effet négatif sur l’activité.

On observe effectivement aujourd’hui un effondrement de la croissance de la zone euro au point que plusieurs pays ne peuvent plus réduire leurs déficits publics, d’où l’apparition d’une réflexion sur des mesures visant à relancer la croissance de la zone euro : investissements supplémentaires de la Banque Européenne d’Investissement ou à partir des fonds structurels européens, ralentissement du rythme de réduction des déficits publics. Mais il reste, en qui concerne l’ajustement économique des pays, des positions assez radicalement opposées. Une position qu’on peut appeler pour simplifier la « position allemande » consiste à demander d’abord la mise en place de politiques de convergence (réduction forte des déficits publics, des déficits extérieurs, des écarts de compétitivité-coût), avant d’entamer le processus d’unification fiscale et politique.

L’unification vient alors quand la zone euro est devenue beaucoup plus homogène. Au contraire la « position française » consiste à demander la mise en place rapide de mécanismes de solidarité (achats de dette, investissements européens...) sans transfert de souveraineté économique (budgétaire), ceci ne venant que plus tard.

Les deux positions sont critiquables : la position allemande par le risque de récession cumulative dans les pays en difficulté qu’elle fait apparaître ; la position française par l’impossibilité d’obtenir des pays du Nord de la zone euro une solidarité sans transfert de souveraineté. Toutes les avancées vers le fédéralisme (mise en commun de certains impôts, de certaines parties des systèmes de protection sociale ; de certains financements) nécessitent règles (éviter des déficits publics inutiles) ou harmonisation (des taux d’imposition, de la générosité des systèmes de protection sociale) pour qu’elles ne génèrent pas un subventionnement chronique et anormal de certains pays par les autres.

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Extrait de "La crise de l'euro, comprendre les causes, en sortir par de nouvelles institutions", Armand Colin (10 octobre 2012)

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