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Yémen : les humanitaires français
victimes collatérales 
du "printemps arabe" ?
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Enlèvement ?

Au Yémen, la situation est particulièrement tendue : alors que le régime en place doit faire face à un important mouvement de contestation, trois humanitaires français ont disparu samedi dernier. La thèse de la l'enlèvement est désormais privilégiée et peut-être liée aux conflits internes qui agitent actuellement le pays. Explication...

Michel  Tuchscherer

Michel Tuchscherer

Michel Tuchscherer est professeur à l'Université de Provence, historien du Moyen-Orient aux époques moderne et contemporaine, actuellement directeur du CEFAS (Centre français d'archéologie et de sciences sociales de Sanaa)

 

 

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Atlantico : Comment analysez-vous la situation que rencontre actuellement le Yémen où trois humanitaires français ont disparu samedi dernier ?  

Michel Tuchscherer : Il faut replacer leur enlèvement (ou leur disparition) dans un contexte plus général. La situation au Yémen s’est dégradée de façon très rapide depuis une semaine. Dimanche 22 mai, le plan que le Conseil de coopération du Golfe (composé des Émirats du Golfe, du Sultanat d’Oman et de l’Arabie Saoudite) avait tenté de faire passer depuis un mois et demi a échoué pour la troisième fois, sans doute de façon définitive.

Il s’agissait d’un plan élaboré depuis début avril. Il proposait une transition pacifique de la crise que connait actuellement le Yémen. Un calendrier avait été mis au point : Ali Abdullah Saleh devait quitter le pouvoir dans un mois et des élections devaient suivre au bout d’un second mois. En contrepartie, le Président avait obtenu une immunité totale.

En effet, il existe trois groupes au Yémen qui sont partie prenante des oppositions qui se nouent dans le pays : le régime en place depuis 33 ans, la dizaine de partis d’opposition - les deux principaux étant le Parti réformiste musulman (qu’on appelle parfois islamiste) et l’ancien Parti socialiste du sud Yémen - et les tribus qui représentent quelque chose d’extrêmement important au Yémen.

A ces trois acteurs, il faut désormais ajouter le mouvement contestataire qui s’est construit dans le pays à partir du 15 janvier dernier en partie en écho à ce qui se passait à ce moment là en Tunisie, mais ancré aussi dans l'évolution récente de la société yéménite : il est composé essentiellement de jeunes, d’étudiants, de chômeurs, mais aussi des associations représentants la société civile. Leur mot d’ordre : "irhal", c’est-à-dire "dégage", pour que le Président quitte le pouvoir. Leurs revendications : État de droit, équité, dignité, régime parlementaire pluripartite, non-violence… des valeurs universelles donc.

Au départ, le mouvement ne concernait que les grandes villes, Sanaa, Taez, Aden et Hodeïda. Puis, il s’est petit à petit développé dans tout le pays. Pas une ville, aujourd’hui sans sa place rebaptisée place de la liberté ou du changement, occupée jour et nuit par les contestataires installés sous des tentes les principales villes du Yémen.

Ce mouvement contestataire s’en prenait dans un premier temps au système établi, englobant aussi les partis d’opposition car certains avaient été au pouvoir. Depuis février, ces partis d’opposition apportent leur soutien au mouvement, tout comme les tribus et une partie de l’armée. Cela ne veut pas dire, loin de là, qu’ils se soient ralliés à la totalité des revendications des contestataires. Mais il existe chez eux la volonté de tirer partie de la dynamique insufflée par le mouvement contestaire. En avril, au moment où ces dynamiques diverses étaient en place, les pays du Golfe ont proposé le plan pour une sortie de crise en douceur. C’est ce plan là qui a échoué dimanche 22 mai.

Tout règlement pacifique parait à présent exclu. Le Président, qui n’avait sans doute jamais véritablement l’intention d’abdiquer, a décidé de passer par la violence des armes aux épreuves de force. Celles-ci se sont multipliées depuis une semaine :

Les principales tribus des Hachid s'opposent à la garde républicaine, principal soutien au Président. Or cette confédération tribale, avec à sa tête la famille des Ahmar, a longtemps été alliée avec le pouvoir actuel. Il se trouve que les Ahmar sont aussi à la tête du Parti réformiste, le parti d’opposition actuellement le plus puissant. Ils ont pris leur distance à partir de 2007 avec le pouvoir en place et depuis mars dernier apportent leur soutien au mouvement contestataire des jeunes. Il s’agissait donc sans doute là d’une volonté délibérée de la part du régime en place de montrer que toute cette contestation se réduisait finalement à une lutte classique pour le pouvoir. Mais la jeunesse contestataire tout comme les partis de l’opposition sont restés à l’écart de ce bras de fer qui s’est déroulé dans les quartiers nord de Sanaa, la capitale.

Par ailleurs, dimanche soir, dans la ville de Ta’izz, les forces de sécurité ont chassé les contestataire de la place qu’ils occupaient depuis trois mois et demi. Il y a eu une vingtaine de morts.

La disparition des trois humanitaires français s’inscrit donc dans ce contexte. Les circonstances de ce qui semble être un enlèvement restent totalement obscures. Si l’hypothèse d’une prise d’otages par des islamistes extrémistes n’est pas totalement à exclure, elle paraît peu probable. Les groupes se réclamant d’Al-Qaïda, peu nombreux, sont très peu actifs dans cette région. Il peut s’agir d’un acte crapuleux. Mais le régime a aussi intérêt à montrer à l’étranger que s’il disparaissait, ce serait le chaos, dont les islamistes radicaux tireraient immédiatement bénéfice.

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