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Y-a-t-il vraiment une rationalité à interdire la recherche et l’exploitation des hydrocarbures en France en 2040 ?
©Reuters

Cop 21

La loi sur la fin de la recherche et de l’exploitation des hydrocarbures en France en 2040. Quelle utilité ?

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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A la veille du changement d’année, les premières lois du nouveau quinquennat sont définitivement signées, et parmi elles celle qui concerne les hydrocarbures. L’explication de l’intérêt de ce texte est exposée de manière lapidaire « ainsi sont tenus les engagements de la France dans sa lutte contre le réchauffement climatique «.

La belle unanimité qui a présidé à l’élaboration de ce texte me permet-elle d’en discuter un peu le bien-fondé ? Je ne sais pas car nous vivons dans une atmosphère curieuse de mise au ban rapide pour expression de point de vue non conforme ! Je demande donc à mes lecteurs de me pardonner une nouvelle fois.

La première raison de cette mesure m’apparait être l’exemplarité souhaitée pour notre pays après l’organisation de la COP 21 et les mesures adoptées à cette occasion. La lutte contre « le réchauffement climatique » est apparue alors comme un combat acharné contre les hydrocarbures en évoquant la nécessité de les conserver sagement dans nos sous-sols. Cette position, défendue par les plus convaincus du péril immédiat qui allait frapper la planète, a finalement gagné une grande partie de l’opinion française et l’on peut comprendre qu’elle a finalement été acceptée par l’ensemble de la classe politique. Ainsi se manifeste la volonté d’être les « premiers » de la classe, face en particulier aux USA qui affirment leur volonté de rester les émetteurs impénitents de gaz à effet de serre.

La seconde raison, moins glorieuse, c’est que l’activité pétrolière a toujours été suspecte et mal aimée des français, même le Général de Gaulle n’a pas réussi à convaincre les foules de sa nécessité pour le pays qui avait, par contre, plébiscité le charbon ! On avait pu observer la levée de boucliers contre le « gaz de schiste » et les difficultés depuis une dizaine d’années pour obtenir des permis d’exploration. Cette loi est donc populaire, et, en ce sens, sa promulgation correspond bien à l’état de la société française d’aujourd’hui…et d’hier.

Est-ce pour autant rationnel ?

Cet affichage « exemplaire » est un leurre, notre production annuelle ne dépasse pas la moitié de la production quotidienne mondiale, c’est une goutte d’eau qui n’a et n’aura aucun effet d’entrainement. Notre consommation nationale d’hydrocarbures conduit à notre déficit commercial, et notre économie continue à dépendre de nos importations de pétrole et de gaz pour satisfaire notre industrie et nos besoins de mobilité. Ce n’est pas une loi portant sur la production nationale qui va changer cette situation, nous consommons du gaz, de l’essence, du bitume, des plastiques …et cela n’est pas près de se modifier en profondeur. On connait, par exemple, les efforts de communication et d’incitation pour faire adopter les voitures électriques et la lenteur de l’évolution des comportements. La question de savoir comment consommer moins de produits pétroliers dans notre pays a donc été éludée, elle aurait conduit à s’interroger aussi sur la volonté de réduire la production d’électricité nucléaire, et puisque les énergies nouvelles renouvelables (solaire et éolien) sont intermittentes sur la nécessité de voir de nouvelles centrales thermiques au gaz s’installer pour assurer la disponibilité du courant électrique. Cette orientation n’a donc aucune incidence sur les émissions de CO2 du pays, elle met simplement à mal une profession, celle des pétroliers et des gaziers.

Mais puisque nous recherchons ainsi notre part de responsabilité dans l’universel, c’est-à-dire le rôle de moteur dans le combat climatique, il serait bon, aussi, de bien apprécier comment se présente le problème de l’énergie sur le plan planétaire.

Le Fonds Monétaire International (FMI) par la voix de sa Directrice Générale nous dit que l’évolution vers une économie moins carbonée est inéluctable, et que la « finance verte » se développe, celle qui désinvestit de plus en plus dans les énergie fossiles … tandis que dans le même temps elle observe que le développement économique rapporté à la croissance démographique est une course contre la montre qui sera perdue si la démographie n’est pas maitrisée , ce qui passe d’abord par l’éducation des femmes …

Parmi les rapports à relire, celui de l’Africa Process Panel, sous la Présidence de Kofi Annan, qui préconise un accès à une énergie moderne, sure, durable et accessible financièrement. La moitié des personnes qui n’ont pas accès à l’électricité (600 millions) sont en Afrique sub-saharienne, la grande majorité des foyers fait encore la cuisine à partir de combustibles solides, bois ou charbon, provoquant maladies respiratoires chez femmes et enfants ainsi que morts prématurées. L’éducation croit avec l’urbanisation sous réserve que l’électricité soit au rendez-vous. Celle-ci ne peut avoir une chance de répondre aux besoins qu’à travers un mix électrique où les centrales à gaz devraient avoir une grande part à cause de leurs performances énergétiques, de leur modularité et de la rapidité de leur construction. Pour l’Afrique sub-saharienne, le progrès et donc l’éducation réussie passera par une utilisation de toutes les sources d’énergie et des techniques disponibles, les poêles modernes à cheminées, la généralisation du GPL(gaz butane et propane), le solaire, l’éolien, l’hydraulique petite et moyenne, le gaz, permettront de gagner la bataille de l’explosion démographique au prix d’un effort considérable, il faut passer de 800 de TWH à 2000 TWH en vingt ans. Ce sont des milliards qu’il faut dépenser pour avoir une chance de réussir. Ne pas augmenter les émissions de carbone tout en assurant la couverture électrique demandera des efforts que ces pays sont incapables de fournir tout seuls. Aujourd’hui les revenus pétroliers de ces pays baissent, leurs raffineries locales sont insuffisantes, le recours aux produits pétroliers augmente avec la démographie sans réduction des prix unitaires. L’annonce de la réduction des investissements dans les énergies fossiles les pénalise deux fois, dans leurs ventes et dans leurs achats. C’est ce que j’appelle les effets pervers des bonnes intentions.

Prendre des mesures indolores et populaires pour notre pays ne doit pas nous faire oublier que plus d’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’électricité, que plus d’un autre milliard ne l’ont que quelques heures par jour, que la moitié des consommateurs l’ont grâce aux centrales à charbon et qu’il va falloir mener de front politique de santé , d’éducation , d’énergie accessible financièrement tout en luttant contre les émissions de gaz à effet de serre, c’est-à-dire qu’il faut arriver à trouver des solutions pour éviter que ces objectifs soient contradictoires.

Montrer du doigt les énergies fossiles est peut-être populaire mais totalement inefficace, et ce ne sera pas la première fois que le FMI nous aura engagé dans une voie sans issue, ceux qui vivent avec les pays en difficulté le savent bien. C’est le mix énergétique, la recherche permanente de l’efficacité au meilleur prix en étudiant scrupuleusement les réalités locales qui va permettre d’avancer, sans idéologie et sans anathèmes. Il va falloir du pétrole et du gaz, et ceci pendant des dizaines d’années, pour nous comme pour les pays de l’Afrique sub-saharienne, ce qui ne nous empêchera pas de poursuivre nos installations et nos expérimentations dans l’utilisation de l’énergie solaire, dans la récupération et l’utilisation énergétique des déchets, dans la mini-hydraulique, dans la gestion des localités hors réseaux, dans la diffusion des GPL pour les cuisines …Mais il faut aussi ne pas appeler énergie propre ou verte n’importe quoi, il faut faire tous les calculs, fabrication, logistique, fonctionnement, maintenance et remplacement , et donc revenir sans cesse à la doctrine énoncée par Kofi Annan : un accès à une énergie moderne, sure, durable et accessible financièrement.

Article publié initialement sur le blog de Loïk Le Floch-Prigent

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