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Y a-t-il encore place pour un souverainisme libéral et éclairé en France?
©AFP

Oui

Malgré la piètre performance de Marine Le Pen à le défendre, le souverainisme économique est loin d'être passé de mode en France et a fortiori, en Europe.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Après le second tour des élections présidentielles (et singulièrement après le débat de ce second tour où Marine Le Pen s’est aventurée dans les questions économiques pour y ridiculiser les positions souverainistes sans les avoir comprises), faut-il conclure que le souverainisme libéral est condamné en France ? Cette conclusion est évidemment tentante, tant la victoire d’Emmanuel Macron semble prouver que la modernité se situe dans une intégration de la France à l’Europe poussée jusqu’au fédéralisme, et que la recherche d’une voie souveraine dans le développement économique paraît dépassée.

Pourtant, il suffit d’entendre les positions d’Emmanuel Macron face à Angela Merkel lors de sa rencontre à Berlin pour comprendre comment la question de la souveraineté revient obstinément dans les politiques européennes, et comment c’est sur elle qu’éternellement bute le débat sur l’approfondissement de l’Europe.

Le souverainisme allemand structure l’Europe

La grande naïveté française consiste à occulter avec constance les ambitions souverainistes des États-membres de l’Union, et singulièrement les ambitions allemandes dans le débat européen. Le rappeler est souvent stigmatisé comme s’il s’agissait d’une affirmation populiste ou identitaire. Il suffit, en France, d’essayer de comprendre la stratégie allemande, de suggérer que celle-ci ne se résume pas à un amour béat et aveugle de l’Europe, pour être soupçonné voire accusé d’être un troublion d’extrême droite ou germanophobe.

Pourtant, Angela Merkel, hier encore face à Emmanuel Macron, n’a pas dissimulé les calculs que l’Allemagne fait sur la question européenne. En quoi l’Europe est-elle utile à l’Allemagne? Telle est la question que posent l’AFD ou Pegida, et qu’Angela Merkel n’hésite pas à relayer dans ses déclarations officielles devant le président Macron. La chancelière sait que sa réélection dépend de sa capacité à apporter une réponse convaincante à ses concitoyens: soit la souveraineté allemande profite de la construction européenne et les résultats électoraux sont bons, soit elle coûte sans rapporter, et les Allemands sanctionnent.

Il n’y a que l’élite française pour stigmatiser ce comportement généralisé en Europe, et cette stigmatisation idiote est probablement l’une des raisons qui explique la montée des extrêmes dans notre pays.

N’ayant pas cette pudeur absurde, les Allemands savent clairement ce qu’ils veulent en Europe. Ils imposent par exemple à la Grèce un remède de cheval qui tue le cheval plus qu’il ne le soigne. Après une série de mesures d’austérité suicidaire, la Grèce reste désespérément condamnée à la récession. S’il fallait chercher une preuve de l’utilité du réflexe souverainiste, on la trouverait là. La coopération européenne mal comprise et mal maîtrisée peut condamner certains États membres à la désespérance.

Souverainisme ne veut pas dire anti-européisme

Contrairement aux équations simplistes distillées avec malice par les élites parisiennes, le souverainisme ne veut pas dire le rejet de l’Europe, bien au contraire (l’Allemagne le prouve, d’ailleurs). On voit bien que, sans une vision souverainiste de la France, l’Europe patine. Depuis le traité de Maastricht, en effet, c’est-à-dire depuis 25 ans, l’Europe n’a fait aucun progrès notable faute d’une ambition française souveraine assumée en Europe.

Au contraire même, l’intégration européenne est fragilisée. Le Royaume-Uni est parti, et les politiques intégrées, comme dans le domaine de l’agriculture, ont reculé. Le seul domaine où le progrès existe est celui qui intéresse l’Allemagne: la politique monétaire. Mais, pour le reste, l’idée européenne, et la pratique européenne elle-même sont en recul.

C’est en ce sens que les “européistes” commettent une erreur fondamentale sur le moteur qui permet à notre continent de s’unir. L’Allemagne n’est pas porteuse de coopération européenne, et sa vision du continent est essentiellement utilitaire. Angela Merkel l’a d’ailleurs fait sentir hier en expliquant clairement que les traités pouvaient être rediscutés dès lors que cela servait à quelque chose – entendez dès lors que cela servait les intérêts allemands.

Seule la France porte l’idée d’une Europe unie et ambitieuse autour de valeurs partagées, au-delà des intérêts immédiats. C’est pourquoi le progrès de l’Europe ne peut s’émanciper de la souveraineté française et de ses appétits continentaux historiques. Le vrai moteur du continent, c’est notre ambition de l’unir, de le fédérer, autour d’une vision humaniste et équilibrée. En ce sens, le vrai européisme, c’est le souverainisme français.

Pour un souverainisme ordo-libéral

Cela signifie-t-il que, face à la vision sans ambition de l’Allemagne pour l’Europe, l’alternative repose sur les dérives étatistes et dépensières des souverainistes français actuels? Je vise ici les délires de la France Insoumise où la dépense publique devrait se rapprocher des 70% du PIB, et même, à certains égards, du discours du Front National où le souverainisme est un prétexte pour refuser l’assainissement indispensable de nos finances publiques?

Non, bien sûr. Le souverainisme doit s’ancrer dans une vision “libérale” de l’économie, qui repose sur les deux piliers salutaires de notre avenir: d’une part, le rétablissement des comptes publics joint à une baisse des prélèvements obligatoires, d’autre part, un retour à la prospérité par la stimulation de l’esprit d’entreprise. Cet ordo-libéralisme est au demeurant une question de bon sens. Aucune économie ne peut raisonnablement se développer en accordant aux dépenses publiques passives le poids de rentes étouffantes comme c’est le cas dans l’économie française d’aujourd’hui.

Au demeurant, c’est l’absence d’ordo-libéralisme qui freine les ambitions européennes de la France. Parce que la France ressemble à une machine sclérosée à fabriquer des rentes indues, elle n’est pas crédible en Europe, et elle est traitée avec la condescendance goguenarde qu’elle mérite. Que d’ambitions François Hollande n’a-t-il pas passées à la trappe (celle d’un plan d’investissement européen à 1.000 milliards, par exemple) pour conserver le droit, à la table des négociations, de ne pas tenir ses engagements budgétaires?

Cette paresse française à réformer est la première cause de notre affaiblissement international, et il faudra durablement en faire le procès à la gauche française.

Pour un ordo-libéralisme raisonné

Faut-il pour autant considérer que la relance européenne passe par l’intégrisme ordo-libéral dont l’Allemagne fait preuve, et qui va jusqu’à imposer à la Grèce des excédentaires budgétaires primaires totalement déraisonnables? Non, bien sûr, et c’est le rôle de la France d’expliquer que l’ordo-libéralisme est un instrument au service d’une ambition souveraine et continentale, et non une fin en soi.

Dans tous les cas, la tenue des comptes publics n’est pas une religion mais un passage au service de la prospérité. Elle ne se substitue jamais à une politique industrielle raisonnable et maîtrisée. D’ailleurs, l’Allemagne ne s’y trompe pas: Angela Merkel défend sa règle d’or et les intérêts de l’industrie allemande sur la scène européenne. C’est pourquoi la balance commerciale de l’Allemagne est largement excédentaire, quand la balance commerciale française est déficitaire.

Le bon sens qui doit occuper les élites françaises consiste donc aujourd’hui à reconstruire une vision souveraine de la France dans une Europe approfondie où la rénovation de nos soubassements économiques et productifs se nourrira d’une intégration accrue de l’Union. Cela signifie que la priorité ne doit pas être accordée à la refonte des traités, mais plutôt à la mise au jour d’une vision industrielle de notre pays, où l’Europe sera un moyen avant d’être une fin.

On le voit dans un dossier comme celui de GM&S, faute de cette stratégie à long terme, tout approfondissement de l’Europe se traduit par un affaiblissement de la France. Et tout affaiblissement de la France dû à l’approfondissement de l’Europe se traduit par de l’instabilité politique intérieure.

Avant de parler d’une refondation de l’Europe, prenons donc le temps de parler d’une refondation de la France et des réformes structurelles à mener pour la mettre en oeuvre.

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