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Xi Jinping, nouvel empereur à vie ? La Chine en marche vers un nouveau totalitarisme (et ça ne présage rien de bon sur ses intentions vis-à-vis de l’Occident)
©WANG ZHAO / AFP

Le verrou saute

Le Parti communiste chinois vient de proposer de retirer de la Constitution la disposition qui prévoit que le Président et le vice-président de la République populaire de Chine ne puissent pas effectuer plus de deux mandats consécutifs.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter 

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Le Parti communiste de Chine vient de proposer de supprimer la partie de la constitution chinoise dans laquelle il était dit que le président et le vice-président ne pouvaient pas être reconduits deux fois. Il a aussi proposé d'intégrer les "Pensées" de Xi Jinping sur le "Socialisme chinois ("with Chinese characteristics") à l'aube d'une Ere Nouvelle" à la Constitution. Ce renforcement du pouvoir personnel de Xi Jinping, aussi bien pratiquement que symboliquement est-il la preuve d'un retour à des réflexes purement communistes, celui du culte de la personnalité comme observé en Chine à l'époque de Mao ?

Antoine Brunet : Cette décision est majeure. L'Etat chinois étant un Etat-Parti qui est de facto contrôlé  par le Parti Communisre Chinois (PCC), il ne fait aucun doute que la proposition du PCC sera acceptée par les instances de l'Etat Chinois. Au terme de quoi, Xi Jinping aura la capacité d'exercer le pouvoir en Chine jusqu'à la fin de sa vie, à la fois en tant que Secrétaire général du PCC et en tant que Président de la République de Chine. Auparavant, Deng Tsiao Ping, Jiang Zemin et Hu jintao avaient, chacun à leur tour, vu leur exercice du pouvoir central limité à seulement 10 années.
C'est donc un retour au pouvoir personnel au sein du PCC qui avait été la norme pendant pratiquement toute la période Mao (1949-1978). Pour autant, on ne reviendra pas au communisme en Chine. 
Le Communisme est un modèle qui combine le collectivisme sur le plan de l'organisation économique et le totalitarisme sur le plan de l'organisation politique (la Corée du nord est actuellement le dernier pays communiste). Or il n'est question, ni pour Xi ni pour le PCC de revenir au communisme et d'abandonner le modèle par lequel ils ont remplacé le communisme en 1978, un modèle qui consiste à combiner le capitalisme avec le totalitarisme (comme cela fut déjà le cas en Allemagne et au Japon dans l'entre deux guerres). Ce modèle de la Chine post-Mao, que je propose d'ailleurs de qualifier de capitarisme, a d'ailleurs été à l'origine de la formidable irruption économique de la Chine et de sa formidable montée en puissance géopolitique au cours des quarante dernières années.
On ne change pas un modèle qui gagne. C'est pourquoi le PCC et ses dirigeants conserveront le capitalisme. Ils conserveront aussi le totalitarisme qu'ils entendent même renforcer encore: depuis 2012, le PCC a rappelé à la population (y compris aux dirigeants des grandes entreprises privées) que c'était lui et lui seul qui définitivement exerçait le pouvoir dans la société chinoise ; au nom de la lutte anti-corruption, le clan Xi Jinping a simultanément laminé les diverses factions qui existaient encore au sein du PCC  ; le PCC a en quelque sorte accepté de canoniser Xi Jinping de son vivant en intégrant ses pensées dans les statuts du PCC et demain dans la Constitution chinoise ; enfin, Xi s'apprête à retirer bientôt aux membres du PCC eux-mêmes le droit de renouveler leur dirigeant suprême. Tout est ainsi en ordre de marche pour que la société chinoise dans son ensemble obéisse sans rechigner aux orientations politiques décidées par le cercle restreint autour de Xi Jinping.
Ce qui interroge c'est pourquoi donc le PCC effectue-t-il maintenant,  un tournant à 180°  dans son fonctionnement interne et abandonne-t-il maintenant un fonctionnement relativement collectif pour revenir à un fonctionnement très concentré autour d'un leader suprême.  Notre réponse provisoire, c'est que Xi et le PCC  se réjouissent que, depuis 2000, la Chine n'a cessé de marquer des points face aux Etats-Unis dans tous les domaines : industriel, commercial, économique, financier, monétaire, technologique, diplomatique, institutions internationales, armements, cybernétique, bases militaires à l'étranger....De ce fait, ils considèrent désormais que, s'ils ne commettent pas d'erreur, ils sont en capacité d'infliger, dans les années qui viennent, une défaite géopolitique majeure (militaire ou non) aux Etats Unis . C'est la raison pour laquelle ils ont décidé de verrouiller totalement la société chinoise en sorte qu'aucune opposition intérieure ne vienne perturber les dirigeants chinois au moment où, sur le front extérieur, ils entendent porter l'estocade définitive aux Etats Unis et à leurs alliés.
Barthélemy Courmont : Il convient d’abord de noter que cette décision n’est pas une grande surprise. Le 19eme Congrès du Parti communiste chinois, qui s’est tenu à l’automne dernier, n’a pas consacré un successeur de Xi Jinping, comme c’est généralement le cas en marge du renouvellement de l’équipe dirigeante pour un second mandat de cinq ans. À cela vient s’ajouter le fait que les membres permanents du bureau politique, qui sont des proches de Xi, sont également de sa génération, soit nés entre 1950 et 1957 (Xi est de 1954).
Pas de jeune figure montante identifiée lors de ce congrès et au sommet de l’Etat, aussi l’annonce de ce qui ressemble forcément à un troisième mandat de Xi après 2022 était attendue depuis plusieurs semaines. Reste désormais à savoir les objectifs que Xi s’est fixé. Souhaite-t’il effectuer un troisième mandat, ce qui le conduirait au-delà de 70 ans, ou s’engager dans une sorte de présidence à vie? C’est à ce titre que les comparaisons avec Mao Zedong (qui n’était cependant pas président de la République populaire de manière continue) sont de mise. Attention toutefois à ne pas non plus faire d’amalgame. Xi Jinping a indiscutablement rassemblé autour de lui des pouvoirs plus grands que ses prédécesseurs, et jamais depuis le départ de Deng Xiaoping (qui n’était cependant pas président) un homme n’a semblé à ce point en position de force au sommet des institutions chinoises.
Mais faut-il nécessairement y voir un retour du culte de la personnalité comparable à celui de Mao et une volonté de s’installer au pouvoir à perpétuité? L’avenir le dira, mais plus que d’extrapoler sur la concentration, et même l’incarnation du pouvoir, cette décision pose la question de la représentation des élites politiques nées dans les années 1960, la génération « perdue » qui a subi dans sa jeunesse la révolution culturelle. Et elle apporte des éléments de réponse. Sauf accident, le prochain dirigeant chinois ne figure pas dans la liste des membres permanents du bureau politique, et n’émergera que dans le futur.

Quel rôle joue aujourd'hui le Parti Communiste dans la définition du pouvoir et des institutions dirigeantes ?

Antoine Brunet : Le Parti Communiste Chinois est le Parti Unique  ; il est le seul parti autorisé en Chine. L'Administration est donc totalement dominée par le Parti Unique. On est donc en présence  à la fois d'un Etat qui est dominé par le Parti Unique (un Etat-Parti) et d'un Parti qui domine totalement l'Etat (un Parti-Etat).

Barthélemy Courmont : Le parti est au centre de la vie politique chinoise, mais aussi de son économie, des orientations sociétales ou encore de la politique étrangère. On parle d’Etat-parti, et même parfois de parti-Etat, pour désigner ce système fondé sur la domination du Parti communiste sur les institutions. Cela n’est pas nouveau, mais les évolutions économiques et sociales des trente dernières années soulevèrent de légitimes questions concernant l’assouplissement de ce système. À ce titre, le discours fleuve de Xi lors du 19eme congrès, à l’occasion duquel il a mentionné à de multiples reprises la consolidation du parti comme objectif de sa mandature, a apporté des réponses. Plus que jamais, Etat et parti sont étroitement liés en Chine, et ce n’est pas sous le pouvoir de Xi Jinping que cela changera.

Comment cette proposition est-elle accueillie en Chine ?

Antoine Brunet : Tant la population que les membres de base du Parti Communiste n'ont pas voix au chapitre et savent qu'ils n'y ont pas droit. De toute façon, les journaux ont pratiquement disparu et les radios et les télévisions sont contrôlées par le Parti-Etat et pratiquent une censure absolue). Il reste les réseaux sociaux qui sont surveillés par Baidu qui identifie facilement les auteurs de messages de réprobation, ce qui permet ensuite au Parti-Etat de les sanctionner lourdement.  

Barthélemy Courmont : Xi Jinping est un dirigeant plutôt populaire en Chine. Le sentiment de fierté nationale retrouvé, les promesses de devenir la première puissance économique mondiale, mais aussi les résultats de la campagne anti-corruption (tentative de renouer un lien entre les dirigeants et la société, et de consolider la légitimité du pouvoir) sont les piliers de cette popularité. Aussi cette proposition ne devrait pas être mal accueillie. Il convient cependant de poser la question du type de dirigeants que les Chinois souhaitent fondamentalement, au-delà de la nature du régime et du poids des institutions. Si la limite à deux mandats présidentiels pouvait être perçue en Occident comme un progrès, certes timide mais réel, est-ce également le cas en Chine?

Tant que n’émergera pas de personnalité identifiée comme incontournable successeur de Xi, soit parce qu’il n’y en a pas, soit parce que Xi a pris soin d’écarter les rivaux, la question du départ de l’actuel président ne sera pas posée avec insistance. Rappelons enfin que la question du culte de la personnalité, qui est vue (sans doute à juste titre) comme une hérésie en Occident, n’est pas perçue de la même manière en Chine. Mao domine ainsi toujours la place Tian Anmen et son portrait l’entrée de la cité interdite, sans que personne n’y trouve à redire.

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