"Voyage de mon frère Alexis au pays de l'utopie paysanne" d'Ivan Kremniov : un destin tragique sous les soviets et une méditation sur notre rapport à la nature. Un roman attachant mais quelques envolées politiques fastidieuses<!-- --> | Atlantico.fr
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Le livre "Voyage de mon frère Alexis au pays de l'utopie paysanne" d'Ivan Kremniov est publié aux Editions de l'Aube.
Le livre "Voyage de mon frère Alexis au pays de l'utopie paysanne" d'Ivan Kremniov est publié aux Editions de l'Aube.
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L'ouvrage "Voyage de mon frère Alexis au pays de l'utopie paysanne" d'Ivan Kremniov est à découvrir aux Editions de l'Aube.

Pascal Verdeau pour Culture-Tops

Pascal Verdeau pour Culture-Tops

Pascal Verdeau est chroniqueur pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).

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Voyage de mon frère Alexis au pays de l'utopie paysanne

De Ivan Kremniov

Edition de l' Aube

Traduction, préface et notes de Michel Niqueux

Parution le 3 février 2023

122 pages

17, 90 €

Notre recommandation : 3/5

THÈME

Ce court récit est donc un voyage au pays de l'utopie. Pas celle des bolcheviks et des lendemains radieux qui ne chantent plus guère, mais une sorte d'utopie agraire, une plongée, comme le disait Baudelaire, dans" le vert paradis des amours enfantines. " 

Le héros, Ivan Kremniov est un citoyen ordinaire, spécimen d'homo sovieticus, qui vit à Moscou dans les années 1920. Un jour, il estpropulsé, transporté dans le temps et se réveille en 1984, sous une autre identité, celle d'un américain nommé Charlie Man. 

Stupeur et désarroi : la capitale soviétique s' est métamorphosée, elle a été grignotée peu à peu, dévorée par la campagne. À perte de vue des champs, du gazon, des espaces verts. Une remise en cause radicale du dogme sur l'avènement de la classe ouvrière, car le pouvoir, désormais, appartient aux paysans, gardiens des valeurs séculaires de la sainte Russie et adeptes de la liberté d' entreprendre... 

La civilisation urbaine s' est évanouie, un grand Décret a signé la destruction des villes. Moscou compte 4 millions de chambres d'hôtel, destinées à l' accueil des ruraux de passage. 

Notre héros, Ivan Kremniov est pris en charge par une belle jeune fille et ses parents, qui lui ouvrent les portes de ce nouveau monde. Quel enchantement ! La vie même, autrefois perçue en noir et blanc, éclate de couleurs, les costumes des paysans sont clairs, bariolés, le gris terne des apparatchiks a disparu. 

Mais le destin se retourne. Kremniov s' efforce de faire bonne figure, de donner le change. Finalement, l'imposteur, ex Charlie Man, sera démasqué et arrêté.

POINTS FORTS

Cette fable inachevée, pour cause dedécès prématuré de son auteur ( il sera fusillé en 1937 ) ouvre sur une réflexion très contemporaine et interroge notre rapport entre villes et campagnes, notre ambivalence "d'homo modernus" tiraillé- surtout depuis la Covid- entre le rêve d'un retour à la terre et le désir de rencontres inassouvies dans nos megapoles. En fait, Alphonse Allais avait raison: il faudrait construire les villes à la campagne.

L'écriture est directe et joue sur un registre qui a dû hérisser le poil des bureaucrates soviétiques: l' humour. Des chapitres courts, enlevés, comme autant de petits cailloux blancs, balisent ce voyage initiatique.

Mon coup de cœur va au chapitre 4 intitulé : " chapitre Quatrième faisant suite au troisième et séparé de celui- ci simplement pour éviter des chapitres trop longs."

Bref, il y a du Jean Tardieu chez Kremniov.

QUELQUES RÉSERVES

Avec courage, l'auteur propose de bâtir une contre société, forcément subversive ou trop bourgeoise pour le pouvoir stalinien. Mais certaines envolées ou démonstrations sur la nécessité d'un autre système économique et social sont parfois hermétiques ou fastidieuses. Trop de théories sur le dépérissement de l'État nuisent à la fluidité du récit et nous font perdre de vue notre héros, si humain et fraternel.

ENCORE UN MOT...

Kremniov, comme dans les livres de Kafka, ignore les motifs du procès qui lui sera fait. Le destin tragique de son auteur, Alexandre Tchayanov, quirejoint celui de son personnage, me touche infiniment.

UNE PHRASE

“Kremniov, qui, à l' époque de l'autocratie, avait passé plusieurs années dans la clandestinité russe fut néanmoins abasourdi et anéanti en comprenant que sa situation était désespérée. Il tressaillit, en remarquant sur lui le regard attentif et soupçonneux des serveurs. Il quitta rapidement le restaurant et sortit sur la place.

Kremniov eut à peine le temps de faire dix pas que quelqu'un abaissa sur son épaule une main pesante et il s' entendit dire: " Stop, camarade, vous êtes arrêté. "” 

L'AUTEUR

Kremniov est le pseudonyme d' un économiste renommé, spécialiste de sociologie rurale, Alexandre Tchayanov. Ses thèses ont été fortement critiquées par Staline comme étant une défense des koulaks. 

Arrêté en 1930, il sera fusillé en 1937 puis réhabilité en 1987.

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